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14 février 2018

Marx dans le texte (1)

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(...) Mais il ne nous est pas toujours possible d'embrasser la profession à laquelle nous nous croyons appelés, car nos rapports avec la société ont, dans une certaine mesure, commencé avant que nous puissions les déterminer.

(...) L'idée maîtresse qui doit nous guider dans le choix d'une profession, c'est le bien de l'humanité et notre perfectionnement. On aurait tort de croire que ces deux intérêts s'opposent nécessairement, que l'un doive fatalement ruiner l'autre : l'humaine nature est ainsi faite que c'est seulement en oeuvrant pour le bien et la perfection du monde qui l'entoure que l'homme peut atteindre sa propre perfection. S'il ne crée que pour lui-même, il deviendra peut-être un savant célèbre, un grand sage, un poète distingué, mais jamais un homme accompli, un homme vraiment grand.

[Méditations d'un adolescent devant le choix d'une profession, 1835]

 

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[Maison natale de Karl Marx à Trèves (Trier)]

 

(...) Qu'au milieu de ces multiples occupations j'aie dû, pendant le premier semestre, passer bien des nuits blanches, soutenir bien des luttes, subir bien des impulsions extérieures et intérieures, que finalement je n'en sois guère sorti plus riche, qu'elles m'aient fait négliger la nature, l'art, le monde, éloigner mes amis, c'est la réflexion qu'a paru faire mon corps. Un médecin me conseilla la campagne et c'est ainsi que pour la première fois, traversant la ville dans toute sa longueur, j'ai franchi la porte et ai gagné Stralow. Je ne me doutais pas que le jeune homme débile et anémié que j'étais trouverait là robustesse et force physique.

Un voile était tombé, mon saint des saints était en pièces, il fallait y établir de nouveaux dieux.

Partant de l'idéalisme que, soit dit en passant, j'ai confronté et nourri avec ce que me fournissaient Kant et Fichte, j'en suis arrivé à chercher l'idée dans le réel lui-même.

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(...) Pendant mon indisposition, j'avais appris à connaître Hegel d'un bout à l'autre, ainsi que la plupart de ses disciples. A la suite de plusieurs rencontres que j'ai eues à Stralow avec des amis, je me suis retrouvé dans un club de docteurs, parmi lesquels quelques privats-docents et le plus intime de mes amis berlinois, le docteur Rutenberg. Bien des vues contradictoires se manifestaient là dans la discussion, et je m'attachais de plus en plus solidement à cette philosophie d'aujourd'hui, à laquelle j'avais pensé échapper, mais toute musique s'était tue en moi et j'étais saisi d'une vraie rage d'ironie, comme il était normal après tant de négations.

[Lettre à son père, Heinrich Marx, le 10 novembre 1837]

 

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[Hegel]

 

La forme de cette étude aurait été plus rigoureusement scientifique et d’autre part, pour plusieurs développements, moins pédante, si sa destination primitive n’avait pas été celle d’être une dissertation de doctorat. Des raisons extérieures me décident à la faire néanmoins imprimer sous cette forme. Je crois y avoir en outre résolu un problème, insoluble jusqu’ici, de l’histoire de la philosophie grecque.

Les gens compétents savent que pour l’objet de cette étude, il n’existe pas de travaux antérieurs que l’on puisse de quelque manière utiliser. Les papotages de Cicéron et de Plutarque, on les a ressassés jusqu’à l’heure présente. Gassendi, qui a libéré Epicure de l’interdit dont l’avaient frappé les Pères de l’Eglise et tout le Moyen Age, l’époque de la déraison réalisée, ne présente dans son exposé qu’un moment intéressant. Il cherche à accommoder sa foi catholique avec sa science païenne, Epicure avec l’Eglise, ce qui est assurément peine perdue. C’est comme si on voulait jeter la défroque d’une nonne chrétienne sur le corps splendide et florissant de la Laïs grecque. Loin de pouvoir nous instruire sur la philosophie d’Epicure, c’est plutôt d’Epicure que Gassendi prend des leçons de philosophie.

On voudra bien ne voir dans cette étude que l’ébauche d’un écrit plus important où j’exposerai par le détail le cycle des philosophies épicurienne, stoïcienne et sceptique dans sa connexion avec l’ensemble de la spéculation grecque. Les défauts de cette étude en ce qui concerne la forme ou d'autres imperfections seront alors supprimés.

Hegel, il est vrai, a déterminé dans l’ensemble avec exactitude l’élément général de ces systèmes, mais le plan admirable de grandeur et de hardiesse de son histoire de la philosophie, date de naissance proprement dite de l’histoire de la philosophie, l’empêchait d’entrer dans le détail ; d’autre part, l’idée qu’il se faisait de ce qu’il appelait spéculatif par excellence empêchait ce penseur gigantesque de reconnaître dans ces systèmes la haute importance qu’ils ont pour l’histoire de la philosophie grecque et pour l’esprit grec en général. Ces systèmes sont la clef de la véritable histoire de la philosophie grecque. Au sujet de leur connexion avec la vie grecque on trouve une esquisse assez profonde dans l’écrit de mon ami Köppen : « Frédéric le Grand et ses adversaires ».

Epicure.jpgSi j’ai ajouté en appendice une critique de la polémique menée par Plutarque contre la théologie d’Epicure, c’est parce que cette polémique n’est pas un phénomène isolé, mais caractérise une espèce : elle représente parfaitement le rapport de l’entendement théologien à la philosophie.

Entre autres choses, nous n’envisagerons pas, dans la critique, la fausseté générale du point de vue de Plutarque, quand il traîne, pour l’y juger, la philosophie devant le tribunal de la religion. N’importe quel raisonnement peut être remplacé par ce passage de David Hume : «C’est certainement une sorte d’injure pour la philosophie de la contraindre, elle dont l’autorité souveraine devrait être reconnue en tous lieux, à plaider sa cause en toute occasion au sujet des conséquences qu’elle entraîne, et à se justifier auprès de tout art et de toute science qu’elle vient à choquer. On pense alors à un roi qui serait accusé de haute trahison à l’égard de ses propres sujets»

La philosophie, tant qu’il lui restera une goutte de sang pour faire battre son cœur absolument libre qui soumet l’univers, ne se lassera pas de jeter à ses adversaires le cri d’Epicure : «Impie n’est pas celui qui fait table rase des dieux de la foule, mais celui qui pare les dieux des représentations de la foule» [Diog. X 123]

La philosophie ne s’en cache pas. Elle fait sienne la profession de foi de Prométhée : «En un mot, j’ai de la haine pour tous les dieux» [Eschyle 975]

 

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[Prométhée enchaîné]


Cette profession de foi est sa propre devise qu’elle oppose à tous les dieux du ciel et de la terre qui ne reconnaissent pas comme la divinité suprême la conscience de soi humaine. Cette conscience de soi ne souffre pas de rival.

Mais aux tristes sires qui jubilent au spectacle de l’apparente dégradation de la situation sociale de la philosophie, elle fait à son tour la réponse que Prométhée fit à Hermès, serviteur des dieux : «Sache que je ne changerais pas ma misère contre ton esclavage. J’aime mieux être lié à ce rocher que d’être le messager fidèle de Zeus, ton père ! » [Ibid., V, 966-970.]

Dans le calendrier philosophique, Prométhée occupe le premier rang parmi les saints et les martyrs.

[Différence de la philosophie naturelle chez Démocrite et chez Epicure, thèse de doctorat, mars 1841]