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06 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 261

"MG nous avait alors tous installés dans la bibliothèque et nous avait expliqué les choses à sa façon. Le monde était un endroit très vaste, et tout aussi dangereux. Les gens ne vivaient que pour gagner de l'argent. Plus ils en gagnaient, plus ils en voulaient. Les guerres venaient de ça. La pollution aussi. Savions-nous ce que la Terre était devenue ? Non, nous ne le savions pas : nous savions à peine ce qu'était la Terre. Nous savions juste que nous étions nés là-bas.

La Terre était devenue une planète morte.

Plus un centimètre carré de nature sauvage. Rien que de maigres parcs, rien que des mers artificielles, remplies de poissons crevés. Des guerres, des famines, des attentats. Et Mars ? Oh, Mars était encore un endroit agréable, mais cela ne durerait pas. L'argent des hommes achetait tout. Il achetait la pluie, il achetait le désert, il achetait le vent dans les arbres et le chant des oiseaux. Mais ici — le cratère, l’Éden —, ici, les hommes ne venaient pas."

 

 

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05 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 260

"L'avenir, cependant, n'était pas figé, il laissait toujours de la place à l'inattendu, l'improbable ; tous ceux qui avaient utilisé l'équipement von Lessinger le savaient bien : le voyage dans le temps restait encore un art, pas une science exacte."

 

 

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04 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 259

"Ceci constitue une aubaine pour le néolibéralisme des sociétés occidentales, qui requiert une soumission à l’ordre du marché et la fructification du capital à quoi chaque humain productif est réduit. L’engouement pour l’homme augmenté signale la dernière version de la servitude volontaire : réclamer toujours davantage de moyens technologiques pour être un animal laborans efficace, proactif et infatigable… Faute de vouloir imaginer ce qui serait le mieux, on préférera encourager la production de plus, toujours plus !"

[Jean-Michel BESNIER]

 

 

"L’homme augmenté est un grand classique de la littérature de science-fiction. Il y prend la figure du mutant, fruit de quelque accident ou évolution génétique lui donnant des capacités surhumaines, mais aussi de l’humain complété par de multiples technologies, juste à sa main, tel le smartphone, ou plus invasives, à la façon d’une puce implantée dans son corps, le rendant en théorie “meilleur”, plus “efficace” ou plus “intelligent”, lui permettant également d’accéder à d’autres réalités à même de l’enrichir. (…)

Dans les sociétés occidentales marquées, hier comme aujourd’hui, par un même credo dans la capacité des nouvelles technologies à nous rendre la vie meilleure, voire à nous changer en humains soi-disant  “supérieurs”, le livre de science-fiction fait plus que jamais fonction de paratonnerre. Par la puissance de ses récits, parfois indémodables, il nous permet de décrypter certains discours entre le marketing et une propagande ne pouvant s’avouer comme telle. Et il nous offre ainsi une salutaire prise de recul.

De fait les meilleurs textes sur l’humain augmenté le traitent sous l’angle de la critique sociale et politique."

[Ariel KYROU]

 

 

"On accepte qu’un roman traite de l’homme augmenté que dans les trois situations suivantes : qu’il soit classé comme un roman de science-fiction ; qu’il soit un essai ; qu’il soit le produit d’un écrivain augmenté dans le sens où l’écrivain utilise le roman, en totalité ou en partie, comme un prolongement de soi.

(…)

Pourquoi la littérature de l’imaginaire, et les dystopies en particulier, nagent-elles en pareille disgrâce dans le milieu de la littérature blanche française ? (…) Pourquoi le reste du monde juge-t-il avec une si grande légèreté les genres, tandis que nous, en France, on se pince le nez et on détourne le regard ?"

[Diana FILIPPOVA]

 

 

"Les métavers apportent l’espoir à tout un chacun de devenir un héros virtuel, mais ne promettent pas un nouveau monde.

Tel un Far West virtuel, les métavers prolongent la société occidentale, il s’agit d’une fuite en avant où la conquête des terres virtuelles est portée par l’espoir que rien ne change, et ce malgré l’urgence environnementale et la montée en puissance de préoccupations sociétales."

[Fanny PARISE]

 

 

 

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03 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 258

"Il tendit brusquement le bras pour ôter la couverture, et tous virent alors quel châtiment Delgado s'était attiré en révélant certaines choses sans permission — ce châtiment auquel il faisait plus ou moins allusion lorsqu'il disait que Murray devrait avoir le cœur bien accroché.

Ma spécialité est le cancer et la gangrène.

Par l'effet d'un conditionnement diabolique, d'un processus psychosomatique de l'avenir que nul ne pouvait expliquer, son corps s'était putréfié à mesure qu'il répondait aux questions. Sous la couverture, des épaules aux chevilles, ses chairs n'étaient plus qu'un magma semi-liquide, une boue infecte, nauséabonde.

Au loin, stridentes comme les rires de l'enfer, retentissaient les sirènes des ambulances."

 

 

 

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02 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 257

"Elle sourit vaguement. Elle pouvait avoir trente ou trente-cinq ans. Elle avait l’œil marron et le visage délicat. Son sourire vague découvrit peu à peu ses dents qui étaient petites et régulières. Roucart s'avançait vers elle en l'appelant sa chère enfant et il avait la voix paternelle cependant que ses gros yeux bleus parcouraient sans cesse la silhouette mince de la jeune femme, et il s'étonnait hautement de la voir ici, d'abord elle ne chassait jamais, ensuite elle avait fait ses adieux à tout le monde hier après-midi et elle était partie en taxi à la gare.

— Pour une surprise, c'est une surprise, une bonne surprise ! clama-t-il et elle prit en main le calibre 16 et le tourna vers lui et avant même qu'il eût cessé de sourire elle lui vida les deux canons dans le buffet.

Ensuite il était étendu sur le dos contre la pente pleine de feuilles pourries. Il avait des trous plein le torse et sa veste kaki était remontée sous son menton à cause du choc et sa chemise à carreaux était à moitié sortie de son pantalon. La tête nue de Roucart était penchée et tournée sur un côté, sa joue reposait dans la boue, ses yeux et sa bouche étaient ouverts, sa casquette était par terre, retournée. De la salive miroitant dans sa bouche, l'homme eut une petite contraction de la paupière et puis mourut. Dans le lointain s'entendit le bruit bénin de trois coups de feu. La jeune femme s'en alla."

 

 

 

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01 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 256

"L'idée selon laquelle l'art ne devrait rien avoir à faire avec la politique est elle-même une prise de position politique."

 

 

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31 mai 2023

"BOUQUINAGE" - 255

 

Que la vie en vaut la peine

"C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midi d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes

Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit
D’autres viennent
Ils ont le cœur que j’ai moi-même
Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s’éteignent des voix

D’autres qui referont comme moi le voyage
D’autres qui souriront d’un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D’autres qui lèveront les yeux vers les nuages

Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n’était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre

Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n’est qu’un commencement

Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l’échiné et le cœur dévasté
Cet impossible choix d’être et d’avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche

Malgré la guerre et l’injustice et l’insomnie
Où l’on porte rongeant votre cœur ce renard
L’amertume et
Dieu sait si je l’ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie

Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu’on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu’on aime et de ce qu’on croit un martyre

Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon
Dieu qui ne savent pas ce qu’ils font

Malgré l’âge et lorsque soudain le cœur vous flanche
L’entourage prêt à tout croire à donner tort
Indiffèrent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche

La cruauté générale et les saloperies
Qu’on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu’on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d’une injure ou d’un cri

Cet enfer
Malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu’on voulait pourtant ce qu’on voulait
De toute sa croyance imbécile à l’azur

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle"

 

 

 

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30 mai 2023

"BOUQUINAGE" - 254

 

"Il est fondamentalement faux d'opposer la culture bourgeoise et l'art bourgeois à la culture prolétarienne, à l'art prolétarien. Ces derniers n'existeront en fait jamais, parce que le régime prolétarien est temporaire et transitoire. La signification historique et la grandeur morale de la révolution prolétarienne résident dans le fait que celle-ci pose les fondations d'une culture qui ne sera pas une culture de classe mais la première culture vraiment humaine.

Notre politique en art, pendant la période de transition, peut et doit être d'aider les différents groupes et écoles artistiques venus de la révolution à saisir correctement le sens historique de l'époque, et, après les avoir placés devant le critère catégorique : pour ou contre la révolution, de leur accorder une liberté totale d'autodétermination dans le domaine de l'art.

Pour le moment, la révolution ne se reflète dans l'art que de manière partielle, quand l'artiste cesse de la regarder comme une catastrophe extérieure, et dans la mesure où la confrérie des artistes et poètes, anciens et nouveaux, devient une partie du tissu vivant de la révolution, apprend à voir celle-ci non du dehors mais de l'intérieur.

Le tourbillon social ne s'apaisera pas de sitôt. Nous avons devant nous des décennies de lutte en Europe et en Amérique. Non seulement les hommes et les femmes de notre génération, mais aussi ceux de la génération à venir, seront les participants, les héros et les victimes de cette lutte. L'art de notre époque sera entièrement placé sous le signe de la révolution.

Cet art a besoin d'une nouvelle conscience. Il est par-dessus tout incompatible avec le mysticisme, que celui-ci soit franc ou qu'il se déguise en romantisme, la révolution ayant pour point de départ l'idée centrale que l'homme collectif doit devenir le seul maître, et que les limites de sa puissance sont seulement déterminées par sa connaissance des forces naturelles et sa capacité de les utiliser. Cet art nouveau est incompatible avec le pessimisme, avec le scepticisme, avec toutes les autres formes d'affaissement spirituel. Il est réaliste, actif, collectiviste de façon vitale, et empli d'une confiance illimitée en l'avenir."

 

 

 

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