23 octobre 2016
Le « fédéralisme » à l’épreuve du CETA
Il y aurait beaucoup à dire (et à écrire) sur la récente passe d’armes autour du CETA.
Une bataille a été gagnée ; pas la guerre !
Elle a été riche en enseignements sur la globalisation du capitalisme et les mauvaises manières politiques utilisées pour imposer les conséquences de celle-ci dans tous les aspects de la vie quotidienne des citoyens.
Mais, et ce sera l’objet de mon propos ici, cette échauffourée en dit long aussi sur nos propres tensions « nationales ».
La Wallonie est montée au front, pas la Flandre ni l’Etat Belgique dominé par celle-ci !
Certes, il y a également des opposants aux différents « traités » en gestation dans les coulisses internationales, au nord du pays ; à commencer par les organisations syndicales ! Mais ceux-ci n’ont pu compter sur des « relais politiques » suffisamment consistants, et leurs préoccupations n’ont donc pas été relayées sur le « terrain de leurs institutions »…
Le bras de fer engagé entre l’Exécutif wallon et l’autorité européenne est ainsi un révélateur supplémentaire des contradictions qui travaillent –de longue date- notre réalité, avec la coexistence de deux peuples aux trajectoires dissemblables nourrissant des rapports de forces internes divergents.
Le centre de gravité politique en Flandre se situe nettement à droite, le centre de gravité politique en Wallonie est positionné plus à gauche. La droite nationaliste et libérale donne le ton en Flandre tandis que la gauche (de gouvernement) est aux manettes en Wallonie !
Une petite parenthèse : sans les avancées dans la « fédéralisation » du pays au cours des 40 dernières années, il n’existerait ni « régions », ni « communautés », ni « parlements régionaux » ni «parlements communautaires », ni « gouvernements régionaux » ni « gouvernements communautaires ».
Aujourd’hui, il n’y aurait donc pas un parlement et un gouvernement (wallons) pour rejeter le CETA, et celui-ci aurait bel et bien été ratifié dans le cadre d’un « Etat unitaire », tel que nous l’avons connu à l’époque de la « Belgique de papa », lorsqu’il était dominé par le CVP !
Ces derniers jours (il est instructif de le noter), avec ou sans CVP, de terribles pressions ont d’ailleurs été exercées sur les parlementaires et ministres wallons en provenance de Flandre et de l’Exécutif fédéral composé, pour rappel, de trois partis flamands et du seul MR francophone (minoritaire en Wallonie !).
Cet épisode confirme l’importance du « droit démocratique des peuples à l’autodétermination », même si les réponses apportées à ce droit fondamental, chez nous, s’avèrent jusqu’ici insuffisantes et boiteuses (les 6 « grandes réformes de l’Etat » ont alimenté une certaine confusion institutionnelle [1] ).
A l’évidence, la classe dominante se serait volontiers passée de ce « petit caillou dans la chaussure » que constitue la contestation wallonne du CETA, une contestation majoritaire dans la société civile et dans les institutions ad hoc.
Ce qui démontre que la reconnaissance de la « question nationale » (le landernau politique et les médias ont toujours préféré parler de « problèmes communautaires ») et de la nécessité d’y apporter des réponses adéquates, constituerait un élément important dans la définition d’une stratégie de transformation de la société, ici et maintenant.
A condition, naturellement, que la gauche abandonne sa frilosité en la matière [2] et n’hésite pas à emprunter la voie « confédéraliste » pour revendiquer une véritable « autonomie/indépendance » pour les peuples actuellement regroupés dans cet ectoplasme étatique qu’est la Belgique !
Ceux-ci doivent pouvoir « disposer d’eux-mêmes », (re)conquérir une authentique souveraineté pour se dégager des tutelles géostratégiques, politiques, économiques et culturelles qui représentent autant d’obstacles à leur émancipation…
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[1] Je ne m’attarderai pas dans cet article sur la problématique de la « Communauté française », rebaptisée « Fédération Wallonie-Bruxelles », une « entité » qui, selon moi, devrait être supprimée !
[2] Le « belgicanisme » du PTB, qui n’est rien d’autre qu’un « nationalisme belge », est assez consternant. Ce parti revendique même la « refédéralisation » des principales compétences acquises par les différentes entités, à rebours de l’histoire ! Et, manifestement, il ne se pose guère de questions concernant sa propre réalité : ses parlementaires sont issus de Wallonie et de Bruxelles, uniquement. ! Il ne devrait pas non plus lui échapper, lui qui aime maintenant commenter les sondages, que ceux-ci le gratifient d’un joli 15 % en Wallonie pour 3 % seulement en Flandre ! De quoi susciter quelques interrogations qui dépassent les sempiternelles lamentations sur la « manipulation médiatique », non ?
RESOUDRE LA QUESTION NATIONALE
POUR RENFORCER LES TRAVAILLEURS !
La « question nationale » (QN, ou les « problèmes communautaires » dans la novlangue des « élites ») a déjà fait couler des tonnes d’encre. Il est vrai qu’elle est aussi vieille que la Belgique et qu’elle taraude ses différentes composantes depuis maintenant 186 ans !
Je ne vais évidemment pas épuiser cette problématique en quelques lignes, juste pointer quelques éléments du débat, de manière forcément schématique.
- La QN n’est pas un artifice ou une taquinerie de l’histoire, mais la matérialisation d’une conflictualité issue de la cohabitation obligée de deux peuples, dans le cadre de la constitution d’un « Etat tampon » sous l’égide des grandes puissances européennes de l’époque. Avec une Flandre plus « rurale » et une Wallonie plus « industrielle », et une domination linguistique imposée par une bourgeoisie francophone (désireuse d’utiliser le facteur de la langue pour créer un « sentiment national belge ») se superposant, pour les Flamands, à l’exploitation économique et sociale du « prolétariat » propre au capitalisme.
- La responsabilité du mouvement ouvrier « socialiste» (lui aussi sous hégémonie francophone) dans cette configuration particulière entre dominants et dominés, est grande. Son refus, ou son absence de volonté, à prendre en considération cette « oppression » spécifique du peuple flamand, a favorisé l’emprise du catholicisme et permis l’émergence d’un « mouvement national flamand » marqué à droite. Pendant des décennies, l’action de celui-ci a été vertébrée par des exigences« culturelles et linguistiques » légitimes, non sans succès d’ailleurs. Ce long combat, mené sous la direction d’une droite prenant plus en compte cette dimension revendicative « nationale », couplé à l’incapacité de « la gauche » à prendre rapidement la mesure de cet enjeu, a forgé les rapports de forces qui, aujourd’hui encore, sont décisifs en Flandre. C’est la négation de la QN qui a donné à la droite toute sa vitalité, pas sa reconnaissance !
- Le « mouvement wallon», qui s’est -notamment- construit en contrepoint de ce « mouvement flamand », a connu une évolution structurelle et politique significative, avec les guerres mondiales du 20ème siècle, et singulièrement au lendemain de la seconde conflagration planétaire, avec la « question royale » et la grève de 1960-1961. L’émergence du courant « renardiste » et la revendication du « fédéralisme et des reformes de structure » ont donné, durant cette période, une assise populaire large à ce mouvement.
- Les multiples conflits autour de la QN ont débouché sur un lent processus de dislocation de l’ « Etat Belgique ». Depuis près d’un demi -siècle, différentes « réformes institutionnelles » majeures ont contribué à façonner le visage de l’actuel « Etat fédéral ».
- Chacun est libre d’adopter la « politique de l’autruche» devant cette dynamique ou de se réfugier dans une attitude passéiste. Mais il s’agit de positionnements contreproductifs, car il est parfaitement illusoire de vouloir faire tourner la roue de l’histoire dans un sens inversé, il est vain d’exiger le démantèlement des importants changements institutionnels accumulés pour en revenir à un « Etat unitaire » tel qu’il existait à l’époque d’un Gaston Eyskens !
- Nous vivons, en 2016, dans un « Etat fédéral» (appellation contrôlée depuis 1993), organisé autour d’ «entités fédérées » qui ont acquis des compétences substantielles dans des matières économiques, fiscales, sociales ou culturelles.
- Mais ce « fédéralisme de papa», suis-je tenté d’écrire, ne peut être l’épilogue définitif de notre évolution institutionnelle. Le « droit des peuples à l’autodétermination » reste un droit démocratique essentiel, et rien de ce qui relève de la démocratie ne peut être ignoré par celles et ceux qui sont engagés dans la longue lutte pour l’émancipation humaine. Le processus à l’œuvre n’a pas encore atteint le bout d’une logique d’autodétermination populaire.
- A l’évidence, la « 6ème réforme de l’Etat» n’est pas la Der des Ders ; il y en aura d’autres. Il revient à la gauche de s’y préparer en s’engageant en faveur d’une perspective garantissant une pleine souveraineté des peuples. Ce qui passe naturellement par une rupture conséquente avec un « belgicanisme » désuet, et sa prétention à sauvegarder l’unité fictive de ce pays, voire sa monarchie (par définition archaïque) !
- Ce n’est pas le point de vue d’un parti comme le PTB, qui a toujours été indisposé par cette QN, source selon lui de la « division des travailleurs» ! Il ne veut pas comprendre que le mouvement ouvrier flamand est plus faible et plus « droitier » parce qu’il subit aussi le poids (entre autre idéologique) d’une droite qui a prospéré sur le « communautaire », et que celle-ci continuera à s’affirmer tant que la QN subsistera, d’une manière ou d’une autre. Une fois que les « régions » seront devenues totalement autonomes, il ne sera plus possible de prétendre que ce sont les Wallons responsables des « maux de la Flandre ». Sans son bouc émissaire favori, le roi nationaliste sera alors nu ! Ce qui divise les travailleurs du Nord et du Sud, ce n’est pas la QN, c’est l’absence de solution véritable à cette QN !
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