15 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 178
"Et pourtant, je ne parvenais pas à imaginer que pareille chose pût m'arriver. Je n'éprouvais point de haine contre le Komintern, je n'étais que l'un des acteurs de la guerre que menaient des prolétaires internationalistes consciencieux contre la clique bureaucratique qui suivait Staline.
Certes, la clique gagnait toujours. Si demain Staline ordonnait à Dimitrov de hisser la croix gammée sur l'immeuble du Komintern à Moscou, Dimitrov le ferait. Si Staline disait à Wollweber de publier un pamphlet proclamant que Lénine était un pickpocket... Wollweber le ferait. Les années avaient profondément transformé le Komintern. L'avant-garde révolutionnaire n'était plus maintenant qu'une dague empoisonnée dans les mains de Staline.
Parfois, me maudissant de ma lâcheté, à croire que je voulais encore ranimer la flamme de ma foi, je me repassais divers épisodes de ma vie militante. À dix-huit ans, j'avais eu l'impression d'être un géant ; à vingt et un, c'était encore plus simple : “Il suffisait de lancer des grenades à la gueule de la contre-révolution” ; à vingt-deux, j'avais fait le tour du monde au service du Komintern -maigre, affamé, féroce- et j'en étais fier ; à vingt-neuf, les polices d'une demi-douzaine de pays européens me recherchaient en tant que principal agitateur des Fronts de mer du Komintern. À trente et un, j’œuvrais à transformer les prisons hitlériennes en écoles du prolétariat internationaliste. Et maintenant, à trente-trois ans, je me posais cette question : “Tout cela n'a-t-il jamais été que mensonge, imposture, et utopie sanglante ?”
Aucun homme ne peut se débarrasser de son passé."
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