23 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [93]
"Maigret s’était rarement senti aussi dépaysé, comme en dehors de la vie normale, avec un malaise semblable à celui qui nous prend quand, dans un rêve, le sol se dérobe sous nos pieds.
Dans les rues enneigées, les rares passants marchaient en s’efforçant de garder l’équilibre, les voitures, les taxis, les autobus roulaient au ralenti tandis qu’un peu partout des camions de sable ou de sel longeaient au pas les trottoirs.
Derrière presque toutes les fenêtres brûlaient des lampes électriques et la neige tombait toujours d’un ciel gris ardoise.
Il aurait presque pu dire ce qui se passait dans chacune de ces petites cases où les humains respiraient. Depuis plus de trente ans, il avait appris à connaître Paris quartier par quartier, rue par rue, et pourtant, ici, il se sentait plongé dans un monde différent, où les réactions des êtres étaient imprévisibles.
Comment vivait Félix Nahour, quelques heures plus tôt encore ? Quelles étaient ses relations exactes avec ce secrétaire qui n’en était pas un, avec sa femme et ses deux enfants ? Pourquoi ceux-ci étaient-ils sur la Côte d’Azur et pourquoi…
Il y avait tant de pourquoi qu’il ne pouvait que les aborder un à un. Rien n’était clair. Rien n’était net. Rien ne se passait comme dans d’autres familles, d’autres foyers."
[Georges Simenon, Maigret et l’affaire Nahour, 1966]
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