Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 194

"Si le spectre communiste avait eu raison des puissances du capital au terme d'une guerre civile particulièrement meurtrière, une apparition effrayante, sorte d'image inversée, reflet négatif déformé, était née de ce combat. Le communisme était hanté à son tour par un spectre, celui d'une bureaucratie qui le parasitait progressivement. Le communisme de guerre avait eu raison de la guerre, mais peut être aussi du communisme."

 

 

besancenot.jpg

30 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 193

"Dans deux domaines capitaux, le léninisme aboutit en effet à un échec. Il n'a pas réussi à répondre aux nombreuses interrogations que pose la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière en système capitaliste avancé. Il n'est pas davantage parvenu à poser correctement les problèmes de construction d'une société prolétarienne. En particulier : une fois passée la période des grandes conquêtes révolutionnaires, Lénine a gravement sous-estimé l'importance de la démocratie ouvrière : il n'a pas compris à quel point était indispensable une opposition soumettant le pouvoir, quel qu'il soit, à une vigilante et incessante critique."

 

 

009294663.jpg

29 mars 2023

Se lever !

lordon.jpg

12:59 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |

"BOUQUINAGE" - 192

"— Mais peut-on penser à un autre type d'histoire ?

— Oui, justement la langue allemande dispose d'un autre terme : la Geschichte, qui désigne non pas l'histoire accomplie, mais l'histoire au présent, sans doute déterminée en grande partie pas le passé déjà accompli, mais seulement en partie, car l'histoire présente, vivante, est aussi ouverte sur un futur incertain, imprévu, non encore accompli et par conséquent aléatoire. L'histoire vivante n'obéit qu'à une constante (pas à une loi) : la constante de la lutte des classes. Marx n'a pas employé le terme de “constante” que j'emprunte à Lévi-Strauss, mais une expression géniale : “loi tendancielle”, capable d'infléchir (pas de contredire) la première loi tendancielle, ce qui signifie qu'une tendance ne possède pas la forme ou la figure d'une loi linéaire, mais qu'elle peut bifurquer sous l'effet d'une rencontre avec une autre tendance et ainsi jusqu'à l'infini. À chaque intersection, la tendance peut prendre une voie imprévisible, parce qu'aléatoire.

En résumé, pourrait-on dire que l'histoire présente est toujours celle d'une conjoncture singulière, aléatoire ?

— Oui, et il faut se souvenir que conjoncture signifie conjonction, c'est-à-dire rencontre aléatoire d'éléments en partie existants mais aussi imprévisibles. Toute conjoncture est un cas singulier, comme toutes les individualités historiques, comme tout ce qui existe.

(...)

Il découle de ce qui précède que ce qui culmine dans le matérialisme, vieux comme le monde -primauté des amis de la Terre sur les amis des Idées, selon Platon-, c'est le matérialisme aléatoire, requis pour penser l'ouverture du monde vers l'événement, l'imagination inouïe et aussi toute pratique vivante, y compris la politique.

... vers l'événement ?

— Wittgenstein le dit superbement dans le Tractatus : die Welt ist alles das fall ist, phrase superbe mais difficile à traduire. On pourrait essayer ainsi : “le monde est tout ce qui arrive” ou plus littéralement : “le monde est tout ce qui nous tombe dessus”. Il y a encore une autre traduction, celle de l’École de Russell : “le monde est tout ce qui est le cas” (the World is what the Case is).

Cette superbe phrase dit tout, car il n'existe au monde que des cas, des situations, des choses, qui nous tombent dessus sans avertir. Cette thèse, qu'il n'existe que des cas, c'est-à-dire des individus singuliers totalement distincts les uns des autres, est la thèse fondamentale du nominalisme.

Marx n'a-t-il pas affirmé que le nominalisme était l'antichambre du matérialisme ?

— Justement, et j'irais plus loin. Je dirais que ce n'est pas seulement l'antichambre mais le matérialisme lui-même.

(...)

Ainsi, le monde est fait exclusivement de choses singulières, uniques, possédant chacune son nom propre et ses propriétés singulières. “Ici et maintenant”, qui à la limite ne peut être montré du doigt puisque le mot est déjà une abstraction — il faudrait parler sans mots, c'est-à-dire montrer, ce qui signifie la primauté du geste sur la parole, de la trace matérielle sur le signe.

(...)

Un dernier mot sur la question de l'événement historique : on peut dire que ni Marx, ni Engels ne se sont approchés d'une théorie de l'histoire, au sens de l'événement historique imprévu, unique, aléatoire, ni d'une théorie de la pratique politique. Je me réfère à la pratique politico-idéologico-sociale du militantisme politique, des mouvements de masse et de leurs éventuelles organisations, qui ne dispose pas de concepts, et encore moins d'une théorie cohérente pour être pensée. Lénine, Gramsci et Mao ne l'ont pensée qu'en partie. Le seul qui a pensé la théorie de l'histoire politique, de la pratique politique au présent, c'est Machiavel. Il y a là une autre lacune à combler, dont l'importance est décisive et qui, une fois de plus, nous renvoie à la philosophie."

 

 

philo.jpg

00:00 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |

28 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 191

"Le médecin serre une dernière fois son épaule et retourne à sa place. Il la regarde comme il l’a toujours fait pendant toutes ces année, droit dans les yeux, sans faillir.

— Non, André ne m’en a pas parlé. Je ne l’ai pas vu depuis trois semaines. Vous savez, vous, où est André ?

Elle veut parler mais ses oreilles se mettent à bourdonner, elle se voit en pyjama, ses cheveux sont lâchés, ils sont beaux encore, n’est-ce pas, ses cheveux ? Elle tient à la main un téléphone, c’est la nuit, elle est seule, elle crie. C’est la nuit, elle vient d’être réveillée par la sonnerie du téléphone et elle ne se souvient pas des mots dits mais elle sait qu’elle a crié très fort. Où est André ?

Le médecin ne la quitte pas du regard et elle ne peut y lire autre chose que de la douceur, de la gentillesse, de la franchise. Elle se lève, elle se sent forte tout à coup, c’est un sentiment qui lui est familier, elle ne tombe jamais en dépression, on croit qu’elle va tomber, on croit qu’elle va cette fois-ci rompre mais non, elle se redresse, elle va se remettre en route. Elle sourit. Elle rédige son chèque et part avec l’ordonnance.

Le docteur B. reste assis à son bureau. Malgré lui, son cœur se serre. Il regarde l’heure, c’est déjà dix-neuf heures et il n’y a plus personne dans la salle d’attente. Il voudrait pouvoir la suivre, cette patiente, l’accompagner pendant un moment, ne plus être son médecin mais simplement un ami qui aurait le courage de lui révéler ce qu’elle a effacé de sa mémoire mais qui la réveille toutes les nuits à la même heure, comme un fantôme qui n’aurait pas terminé son travail."

 

 

appanah.jpg

 

 

27 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 190

"En somme, Anson avait raison. L’université est une jungle comme le reste du monde, avec cette seule différence que, là, les choses se passent entre gens mal armés pour la lutte, précisément parce qu’ils ont choisi cette carrière afin de s’y sentir à l’abri."

 

bouffée.jpg

26 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 189

"Partout dans le monde, la bourgeoisie vit grâce au parasitisme économique, basé essentiellement sur l'exploitation des travailleurs et l'extorsion des consommateurs. Son mode de vie est d'ailleurs principalement international, et notre bourgeoisie française est connectée à celles des autres pays comme ceux du Sud, dans lesquels elle s'implante et dont elle pompe une partie des ressources. Notre pays est l'un des sièges sociaux du capitalisme mondial, avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon et désormais la Chine (et dans une moindre mesure la Russie). Nous travaillons dans ce siège social, un lieu où nous produisons de moins en moins de biens et de plus en plus de services destinés à assurer la mise en œuvre de la production au niveau mondial. Certains de nos “champions” — ou “fleurons” comme n'ont toujours pas peur de dire nos grands médias — exploitent les ressources naturelles et la main-d’œuvre bon marché des pays du Sud, tout en menant un parasitisme politique localement dans une démarche toute coloniale.

Ce processus est poliment appelé “mondialisation des échanges”, comme si c'était à d'authentiques “échanges” que l'on assistait. L'aristocratie européenne puis sa bourgeoisie ont mis au pas l'ensemble des continents du monde, en forçant ses habitants à se convertir à la religion capitaliste (et, tant qu'à faire, au christianisme, les deux fonctionnant particulièrement bien ensemble). En Asie, les flottes européennes sont venues forcer la Chine et le Japon à s'ouvrir aux délices du commerce international. Ce que l'on nous décrit comme une fatalité historique, un processus inéluctable de l'histoire humaine, n'est que le fruit d'actions violentes de mise au pas de toutes les économies du monde."

 

 

 

parasites.jpg

00:00 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |

25 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 188

 

"C’est une idée profondément ancrée chez les militants de base que celle d’un parti révolutionnaire toujours en lutte contre des ennemis, de l’extérieur ou de l’intérieur. On constate, ici encore, une sorte de fossilisation du discours politique depuis 1917. En fait, le discours stalinien des années 1930 reprend quelques grands thèmes bien assimilés par le militant moyen : un parti qui lutte contre les innombrables ennemis qu’a suscités une révolution unique dans l’histoire, un parti des opprimés, des prolétaires, la construction du socialisme dans un seul pays… L’aboutissement théorique de ce discours est aberrant du point de vue strictement marxiste : c’est l’idée d’après laquelle “plus on avance dans la construction du socialisme et plus la lutte des classes s’intensifie”, idée clef de l’idéologie stalinienne, qui va servir à justifier les purges et la terreur des années 1930. Difficilement acceptable pour le bolchevik d’origine, issu souvent de l’intelligentsia, cette théorie passe tout à fait dans la vulgate politique des militants de l’époque stalinienne, peu formés politiquement.

(…)

Entre 1924 et 1940, cinq millions et demi de citoyens soviétiques adhèrent au parti, à un rythme d’ailleurs irrégulier. Des années de recrutement massif (1924, 1929-1932, 1939) alternent avec des années où il devient très difficile d’entrer au parti.

(…)

Durant cette période, près de deux millions et demi de communistes quittent le parti, surtout dans les années 1930. Ainsi, pour deux adhésions, on enregistre, approximativement, un départ.

(…)

Quelles raisons peuvent pousser un communiste à quitter le parti ? Il semble que les motifs de désaccord politique avec la ligne générale aient été rarement mis en avant. Les membres du parti invoquent surtout la surcharge de travail qu’occasionne leur militantisme, l’hostilité du milieu familial à leur engagement politique, le peu d’initiative qui leur est laissée. Ils font part aussi de leur refus d’assumer de nouvelles tâches, de leur déception de n’avoir pas obtenu d’améliorations matérielles après leur adhésion au parti.

Quitter le parti, c’est cependant, dans la grande majorité des cas, en être exclu au terme d’un contrôle ou d’une purge.

(…)

La purge a trois fonctions. La première est de maintenir la fiction d’un parti-élite, d’une avant-garde composée des individus les meilleurs idéologiquement, moralement et socialement, d’éliminer tous ceux qui ne méritent pas le digne nom de communiste.

(…)

La seconde fonction de la purge est d’assurer le monolithisme idéologique du parti face aux déviations, aux oppositions de toute sorte, réelles ou supposées, ou tout simplement à tout discours “politiquement douteux” qui mettrait en doute l’idéal officiel proclamé.

(…)

La troisième fonction de la purge, surtout à partir de 1934, est de rechercher les responsables des difficultés que rencontre un régime parvenu, officiellement, à son but, le socialisme."

 

 

 

werth.jpg

00:00 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |