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20 décembre 2020

IMAGINAIRE(S) [120]

 

tardi.jpg"Le lendemain matin nous avons une gueule de bois carabinée mais nous sommes plutôt contents. On boit du café noir, les Nègres et moi, dans la cuisine. On parle lentement, comme les lendemains de cuite. Je suis content de ce que j’ai fait. Je veux en savoir un peu plus. Ils m’expliquent leur point de vue. Le Zimbabwin, leur contrée, elle s’est libérée et c’est un Front de Libération, le FLZ qui s’est installé au pouvoir. Mais si je comprends bien, il y a une ethnie qui marche sur la gueule des autres, dans le FLZ, et qui pis est, musulmane, tandis que mes deux singes, ils sont moitié féticheurs, moitié marxistes athées. Ils m’expliquent : les musulmans, là-bas, c’est l’équivalent des bourgeois ici, ce sont de grandes familles, des chefferies, de tous temps mouillées avec les expéditions arabes qui descendaient l’Afrique, remontant le Nil et plongeant bien au-delà dans l’intérieur, à travers le Soudan, jusqu’en plein cœur du continent, faire des razzias, kidnapper à grande échelle, des populations entières qui se revendaient sur la mer Rouge, les hommes pour le travail, les femmes aux bordels, les mômes ça dépend.

Mes hôtes, ils ont fait scission, créé le MPLZ, le Mouvement Populaire de Libération Zimbabwite, organisé la guérilla dans le Sud, avec leurs tribus à eux, des chrétiens, des fétichistes. Toutes ces histoires de religions, je dis franchement que ça m’emmerde. Ils disent d’accord, que ce sera extirpé au fur et à mesure du mouvement réel des masses ; qu’eux-mêmes ils sont bien libérés de toutes histoires de transcendance. Mais qu’il faut pas être trop en avant des masses, il semble que c’est Lénine qui l’a dit, je comprends mal quand ils s’échauffent, leur accent est assez ardu.

Combien de temps que je parle ? Une heure ? Deux ? Je n’ai pas dit un mot de l’affaire N’Gustro. Patientez. Tout le décor doit être mis en place, ou vous n’y comprendrez rien que la surface des choses, qui est de peu d’intérêt, réservée aux hebdomadaires."

 

[Jean-Patrick Manchette, L’affaire N’Gustro, 1971]

 

19 décembre 2020

IMAGINAIRE(S) [119]

 

tardi.jpg"Certain soir, à l’heure où l’hiver commençait à noyer les rues dans les ténèbres, je vis une ombre s’aventurer prudemment le long des murs, à l’abri des bornes cavalières. L’homme portait un haut de forme et une redingote. Je crus reconnaître le dandy que nous avions croisé dans l’escalier de Chardon.

– Holmes !

Dans la minute qui suivit, il se trouvait près de moi, le visage tendu dans cette expression de chien de chasse qu’il prenait en ces circonstances. En bas, l’homme, comme prévu, avait pénétré dans la maison de l’emballeur.

– C’est lui, dit Holmes.

Il endossa sa jaquette, mais tandis qu’il enfilait ses bottes je remarquai de subtils mouvements de l’obscurité, dans la rue : des ombres se déplaçaient de porte en porte.

– Il y a des gens Holmes.

– Je descends. Vous attendez là.

– Mais Holmes.

– Vous attendez. Si j’ai besoin de vous, je vous appellerai, vous le savez !"

 

[René Reouven, Le détective volé, 1988]

18 décembre 2020

IMAGINAIRE(S) [118]

tardi.jpg"Je comprends votre réaction, Watson. J’ai éprouvé la même chose que vous. Mais ce n’est pas possible. Comment pourrions-nous arrêter Moriarty? Quelles charges avons-nous contre lui ? Au vu de quelles preuves pourrions-nous l’inculper? Mes soupçons, dans le fond, ne reposent que sur des déductions et des suppositions, et si je devais en faire part à Lestrade, il me rirait au nez. Moriarty, lui, ne rirait pas. Il ferait intervenir ses conseillers juridiques qui obtiendraient sa libération sans condition, après quoi sa vengeance serait terrible. Non, nous pouvons déjà nous estimer heureux de connaître le monstre que nous devons combattre, et de savoir qu’il accepte ce duel contre moi. Observons les règles de l’honneur, et poursuivons notre avantage. Croyez-moi, Watson  –c’est là que se trouve notre seul espoir d’écraser la tyrannie de cet homme."

 

[Michael Dibdin, L’ultime défi de Sherlock Holmes, 1978]