19 mai 2015
Etre ou ne pas être Charlie ?
Tout qui vagabonde sur internet et les réseaux sociaux sera frappé par les chamailleries qui continuent autour de « Charlie » plusieurs mois après les massacres de sinistre mémoire.
Les « Je ne suis pas Charlie » continuent à vouloir en découdre avec les « Je suis Charlie », à moins que ce ne soit le contraire.
Et chaque péripétie de l’actualité, comme le départ futur d’un Luz meurtri révélé hier par la presse, alimente la discorde.
Ces affrontements stériles relèvent d’un contresens concernant le credo repris massivement après l’assassinat de Charb et de ses amis.
« Je suis Charlie » était un cri émotionnel de ralliement pour toutes celles et tous ceux qui condamnaient sans ambiguïté l’attentat et réaffirmaient clairement leur attachement à la liberté d’expression.
Ni plus ni moins.
Et il était important de rassembler un grand nombre de citoyens autour de ces convictions qui devraient être partagées par tous, mais qui dans le monde actuel ne le sont hélas pas !
« Je suis Charlie » n’a jamais signifié « J’aime Charlie Hebdo », que des millions de personnes qui ont manifesté n’avaient par ailleurs jamais lu !
Pour mémoire, Charlie Hebdo était à l’époque un hebdomadaire au tirage limité, 60.000 exemplaires, dont à peine 30.000 étaient vendus !
« Je suis Charlie » signifiait encore moins, pour celles et ceux qui le connaissaient, « Je suis toujours d’accord avec la ligne éditoriale du journal », ou « J’adore tous les dessins publiés « (des milliers chaque année !), ou « Je prends mon pied à la lecture de chaque article », ou d’autres absurdités de même acabit.
Il est inutile de préciser que ce qui reste de la rédaction n’a jamais rien exigé de tel et n’est pas à l’origine du vaste mouvement de solidarité rapidement déployé. Même si ce soutien était évidemment le bienvenu, il va sans dire que les rescapés auraient volontiers préféré éviter une telle catastrophe.
Il est donc consternant de voir aujourd’hui des cuistres persister sur le terrain du dénigrement et des ragots, ou plus désolant encore se réjouir des difficultés que rencontrent des « survivants » à surmonter leur traumatisme.
Comme si la sérénité pouvait revenir d’un coup de baguette magique après cette tragédie, alors que les membres de l’équipe restent placés en permanence sous protection policière ! Comme s’il était simple de poursuivre un projet journalistique avec un collectif décimé, privé de quelques uns de ses piliers historiques !
Cet acharnement d’esprits chagrins contre Charlie Hebdo est la traduction de confusions, parfois complaisamment entretenues.
Notamment à partir d’un amalgame entre l’ensemble des musulmans et les intégristes islamistes, que d’aucuns ont beaucoup de difficultés à combattre sous prétexte que l’islam serait la religion des « opprimés » !
Le concept vaseux -et dangereux- d’ « islamophobie » est le reflet de cet égarement (1).
Toute critique de la religion serait dorénavant bannie et tout droit au blasphème criminalisé !
Une dialectique tordue métamorphose ainsi les victimes en coupables et les coupables en victimes.
L’obscurantisme a déjà fait beaucoup de dégâts dans l’histoire de l’humanité et veut continuer à imposer ses délires au XXIème siècle.
La lutte contre le fanatisme pour un monde éclairé sera difficile. Et elle passe par la réaffirmation d’une conception égalitaire, démocratique, universaliste et laïque de la société.
Vaste et difficile programme, mais tout aussi indispensable que la lutte politique contre le capitalisme dans tous ses aspects.
Le chemin pour s’émanciper des barbaries est pavé d’obstacles que nous devrons franchir coûte que coûte.
Il y va de notre avenir commun.
@
Note
(1) Charb avait finalisé un texte deux jours avant l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo. Celui-ci n’est pas un « testament » comme certains médias avides de sensationnalisme l’ont proclamé, l’auteur ne pouvant naturellement pas anticiper son décès ! Le destin a donc décidé qu’il s’agissait de son dernier livre, un dernier livre percutant où il aborde les questions de « la foi », la « condescendance des élites », les processus « d’infantilisation » à l’œuvre , la « prétendue islamophobie de Charlie Hebdo » ou la « liberté d’expression ». L’opuscule se termine par une réflexion amusée et amusante concernant « l’athéophobie » ! Bref, une lecture à recommander chaudement… Charb, Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, Les Echappés, Paris, 2015.
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