19 janvier 2018
Marx, vous avez dit Karl... (2)
En cinq ans, il était passé de la philosophie contemporaine à la philosophie militante, de la philosophie au communisme, et du rêve à l'action. Philosophe humaniste agissant : tel est bien la définition qu'on peut donner de Karl Marx autour de la trentième année.
Luc Somerhausen, 1946
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La théorie de Marx est une «critique» dans la mesure où chacun de ses concepts condamne l'ordre existant dans sa totalité.
Herbert Marcuse, 1954
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Il est peu de personnalités dans l'histoire universelle chez qui l'évolution individuelle se conjugue de façon aussi intime avec celle de l'ensemble de la société.
Georg Lukacs, 1955
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Il est impossible de dissocier chez Marx le sociologue du révolutionnaire, l'historien de l'économiste. Mais il n'a pu être efficacement, c'est-à-dire scientifiquement, sociologue, historien et surtout révolutionnaire que parce qu'il a été économiste, que parce qu'il a bouleversé la science économique...
Ernest Mandel, 1967
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Marx savait parler un langage simple, clair et direct mais en même temps il ne faisait aucune concession sur le contenu scientifique de ses théories. Il estimait que les ouvriers avaient droit à la science, et qu'ils pouvaient parfaitement surmonter les difficultés propres à tout exposé vraiment scientifique. Cette règle d'or est et reste plus que jamais une leçon pour nous.
Louis Althusser, 1969
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Le marxisme est l'ensemble des contresens qui ont été fait sur Marx.
Michel Henry, 1976
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Je ne me sens pas une obligation de fidélité à Marx, mais quand vous regardez les analyses concrètes que fait Marx à propos de 1848, de Louis Napoléon, de la Commune, dans les textes historiques plus que dans les textes théoriques, je crois qu'il replace bien les analyses de pouvoir à l'intérieur de quelque chose qui est fondamentalement la lutte des classes, et qu'il ne fait pas de la lutte des classes une rivalité pour le pouvoir.
Michel Foucault, 1977
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L'oeuvre de Marx se situe par rapport à notre époque à peu près comme la physique de Newton par rapport à la physique moderne. Pour arriver à celle-ci, il faut passer par celle-là, prendre ses concepts, les modifier, les compléter, les transporter en leur adjoignant d'autres concepts. Ni fétichiser Marx, ni l'envoyer aux poubelles.
Henri Lefebvre, 1983
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Commémorer Marx selon son génie, ce serait, d'abord, libérer Marx du marxisme en général et de ses diverses moutures. Non pour laver le père fondateur des pêchés commis par des bâtards irrespectueux, débiles ou malhonnêtes et le retrouver dans son authenticité, mais pour faire cesser un mensonge qui a commencé précisément il y a un siècle et qui empoisonne la vie politique contemporaine. Dans les années qui suivirent la mort de Marx et singulièrement depuis 1889, date de la fondation de la IIè Internationale, s'est imposée une fable, bientôt reprise, amplifiée, réactivée : la fusion entre une conception du monde à caractère scientifique née dans la tête d'un (ou deux) homme(s) : LE marxisme, et une force socio-matérielle, produite par l'histoire et productrice d'histoire : le mouvement ouvrier !
François Châtelet, 1983
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L'attitude anti-étatique de Marx n'a jamais varié. Entre 1843 et 1883, pendant quarante années de son activité publique, tant théorique que politique, Marx considère la lutte contre l'Etat comme la tâche primordiale du prolétariat et comme la condition première de son émancipation. Marx oppose à l'Etat, organisme parasitaire et oppressif, érigé au dessus de la société, dans l'intérêt de la classe économiquement dominante, une société sans classes et sans Etat, d'où seraient bannis les antagonismes sociaux et qu'il qualifie de socialiste.
Victor Fay, 1983
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L'activité intellectuelle de Marx, qui fusionna rapidement avec son activité pratique en une union homogène qui devait se perpétuer jusqu'à la fin de sa vie, partit de la nécessité de l'émancipation humaine. Elle était en ce sens un produit des idées de liberté qui firent irruption sous les formes les plus diverses en Europe et en Amérique depuis le siècle des Lumières -ou, plus exactement, depuis la Réforme- à travers la Révolution française et ses héritiers, les démocrates révolutionnaires des années 20 et 30 du XIXè siècle, les jeunes-hégéliens et les premiers groupes socialistes. Elle peut être résumée dans l'exigence de «renverser toutes les conditions au sein desquelles l'homme est un être diminué, asservi, abandonné, méprisé» [Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel]. Tout au long de sa vie, Marx est resté fidèle à cet objectif d'émancipation.
Ernest Mandel, 1983
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Or la pensée de Marx est tout sauf un système clos. Marx a toujours présenté son oeuvre comme une recherche ouverte, comme une conception du monde, de la nature et de l'homme en transformation continue. La méthode de Marx est «un fil conducteur» -pour reprendre ses termes. C'est un outil d'analyse qui a sans cesse besoin d'être affiné pour comprendre le processus historique dans sa détermination concrète, pour saisir les sociétés dans leur totalité et en découvrir les contradictions, pour expliquer et transformer le monde. La pensée de Marx est essentiellement critique. Critique, du verbe grec krinein, juger. Critique radicale car, pour Marx, critiquer c'est remonter à la racine des choses -et mettre ainsi en lumière comment il est possible de les modifier jusqu'à la racine.
Pierre Joye, 1983
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Pour dissiper le doute sur l'actualité du marxisme -celui de Marx il s'entend- il n'est que de le lire, de constater le mordant de son écriture, sa netteté, son tranchant. Rien ne vit davantage que cette ironie corrosive, cette vigueur tonifiante dont jaillit toujours la critique et quelquefois une espèce de joie, comme un signe de santé, le torrent de l'intelligence qui ne recule devant aucun obstacle, aucun interdit, aucun tabou. A côté de Marx, le lucide de Tocqueville parait mièvre et compassé, et Hugo, qui écrivit pourtant à la même époque et aborda à sa manière les mêmes thèmes, à côté de Marx, Hugo est simplement illisible. On pourrait multiplier les comparaisons. Marx ou l'éternelle jeunesse.
Marcel Liebman, 1983
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Pour transformer le monde, Marx n'aura cessé, sa vie durant, de l'interpréter.
Jean Mortier, 1983
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Marx a montré qu'au départ les hommes produisent leur propre histoire. Nous ne vivons pas en société, nous produisons la société pour vivre et nous devons rendre compte de toutes les productions qui font notre être social. L'essence de l'homme, c'est la totalité des rapports sociaux en devenir. Marx l'a formulé avec sa fameuse thèse sur Feuerbach.
Maurice Godelier, 1983
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L'attitude vis-à-vis de Marx et de son oeuvre comprend, à mon avis, deux aspects complémentaires. D'un côté, il faut restituer cette oeuvre dans toute son ampleur philosophique, scientifique et critique. D'autre part, il faut se servir de cette pensée comme d'un instrument d'analyse, de recherche, de découverte. Cet instrument ne vaut que si l'on s'en sert : il doit perpétuellement s'affirmer.
Henri Lefebvre, 1983
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Ni Marx ni Engels ne furent des prolétaires (...) Son évolution vers le communisme n'est donc point déterminée par une expérience immédiatement vécue ou par ses propres conditions d'existence misérables (qui sont postérieures à cette adhésion...). Elle est essentiellement déterminée par le résultat d'un travail intellectuel ou par des motivations morales.
Ernest Mandel, 1986
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Par définition, la science est faite pour être dépassée. Et Marx a assez revendiqué le titre de savant pour que le seul hommage à lui rendre soit de se servir de ce qu'il a fait et de ce que d'autres ont fait avec ce qu'il avait fait pour dépasser ce qu'il a cru faire.
Pierre Bourdieu, 1987
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Généralement, il n'abandonne pas ce pour quoi il s'était passionné : Marx n'est pas l'homme des reniements. La pensée de la liberté est la constante profonde de toute son oeuvre et de toute son action. S'il pense une liberté qui ne se ramène pas purement et simplement à la compréhension de la nécessité, sa pensée est nécessairement une pensée du possible.
Michel Vadée, 1992
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Pas sans Marx, pas d'avenir sans Marx. Sans la mémoire et sans l'héritage de Marx, de son génie, de l'un au moins de ses esprits. Car ce sera notre hypothèse ou plutôt notre parti pris : il y en a plus d'un et il doit y en avoir plus d'un.
Jacques Derrida, 1993
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Marx a assumé son rôle d'intellectuel sans partager les ambitions et les prébendes de l'intelligentsia, mais sans non plus singer la condition ouvrière. Le véritable engagement pour Marx n'était pas politique au sens de l'adhésion à un parti «compris dans le sens essentiellement éphémère», mais révolutionnaire, par appartenance au «parti au sens éminemment historique».
Louis Janover, 1994
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La carrière de Marx se présente comme la quête tourmentée d'une harmonie existentielle entre l'action politique et la création théorique. L'inachèvement de la théorie est en quelque sorte la rançon des échecs politiques du mouvement ouvrier auquel Marx a tenu à s'identifier . Restée un «torse», l'oeuvre scientifique n'en continue pas moins à être présente et entière comme appel révolutionnaire lancé à l'humanité en péril de mort.
Maximilien Rubel, 1994
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Faisant le bilan de son rapport à Hegel dans ses textes de jeunesse, Marx utilise sans hésitation l'expression d' «impératif catégorique», par laquelle Kant désignait la source de l'action morale. Chez Marx il s'agit de l'impératif de supprimer toutes les conditions dans lesquelles l'homme est un être humilié, asservi, abandonné et méprisable. Cette préoccupation éthique traverse toute l'oeuvre jusqu'au Capital.
Maximilien Rubel, 1995
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Marx a été avant tout un analyste et un théoricien de la société capitaliste. Il s'est gardé de toute spéculation concernant l'avenir.
Jacques Bidet, 1995
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Marx nous a offert un authentique principe d'intelligibilité du social en désignant l'infrastructure matérielle comme fondement caché de la société.
Robert Fossaert, 1997
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Tout le projet de Marx a consisté à débusquer, derrière la trompeuse apparence, les rapports sociaux fondamentaux. Dans le capitalisme, seul le travail est source et mesure de la valeur, et le profit se forme comme un surplus.
Michel Husson, 2002
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Marx-Engels n'étaient pas hostiles à la démocratie représentative en tant que telle, mais soucieux de multiplier les instances de décision à tous les niveaux de la vie sociale, particulièrement à la base.
Jacques Texier, 2002
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L'actualité de Marx, c'est celle du capital lui-même. Car, s'il fut un formidable penseur de son époque, s'il a pensé avec son temps, il a aussi pensé contre et au-delà de son temps, de manière intempestive. Son corps-à-corps, théorique et pratique, avec son ennemi irréductible, la puissance impersonnelle du capital, le porte jusqu'à notre présent. Son actualité d'hier fait son actualité d'aujourd'hui.
Daniel Bensaid, 2009
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Karl Marx n'a jamais confondu la fermeté sur les exigences de lucidité et les principes de l'émancipation avec un quelconque sectarisme doctrinal. Quant à son projet politique, fondé sur l'humanisme et la solidarité à l'égard des exploités, il fut toujours celui d'une émancipation multiforme des individus et des peuples. Il n'avait pas d'autre horizon que celui d'une société affranchie des conflits de classe et réconciliée de ce fait avec elle-même. La classe ouvrière, écrivait Marx, est une classe universelle : à travers sa propre émancipation, elle permet l'émancipation de tous. Le dominé n'aspire pas à prendre la place du dominant, mais à éradiquer cette domination. Comme le chante l'hymne de Pottier et Degeyter, «l'Internationale sera le genre humain».
Henri Pena-Ruiz, 2012
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Trois grands thèmes centraux développés par Marx restent valides. Le premier est l'analyse des classes comme outil central de compréhension des sociétés. Le deuxième est la critique du capitalisme comme forme spécifique de société de classes. Le troisième est la possibilité de voir émerger une alternative d'émancipation de la société capitaliste.
Erik Olin Wright, 2017
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Ce qui est pertinent dans son oeuvre aujourd'hui, c'est sa façon d'analyser les formes que prend la lutte sociale. Son idée est que la lutte transforme les conditions de la lutte en même temps que les acteurs de cette lutte. L'émancipation, pense-t-il, ne vient pas après la lutte, ce n'est pas pour le lendemain, ce n'est pas seulement un «but». Contrairement à beaucoup de marxistes pour qui les classes préexistent à la lutte, Marx pense que les classes se constituent de et par la lutte, à travers la lutte. C'est de la lutte que les acteurs s'émancipent.
Pierre Dardot, 2017
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Une pensée en révolution permanente.
Isabelle Garo, 2017
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