24 novembre 2019
Brûler Polanski et son oeuvre ?
Le dernier film de Roman Polanski, «J’accuse», suscite passions et polémiques. En cause les multiples accusations de viols et de violences envers les femmes portées à l’encontre du très controversé réalisateur.
Avec des interrogations récurrentes : peut-on encore trouver un intérêt à la filmographie d’un homme aussi odieux ? Faut-il boycotter cette œuvre récompensée il y a peu à la Mostra de Venise ? Aller voir ses longs métrages ne revient-il pas à légitimer la culture du viol et la pédo-criminalité ? Peut-on séparer l’homme de son travail artistique ?
Cette problématique de la «relation» entre les œuvres d’art et celles/ceux qui les produisent n’est pas neuve.
En quelques lignes, mon point de vue.
Les êtres humains ne sont pas des saucissons que l’on peut découper en tranches. Il ne s’agit donc pas de «séparer» qui que ce soit ou de construire des murs entre les différentes facettes d’une personnalité !
Les êtres humains sont des êtres complexes traversés par de multiples contradictions et soumis à quantité de tensions.
Ils divergent sur leur vision du monde et de l’existence ; ils défendent des opinions -politiques ou philosophiques- différentes ; ils ont une conception variable de l’éthique. Il ne sont jamais totalement des saints ou des démons, mais certains franchissent parfois la ligne rouge de l’inacceptable pour toute vie en société.
Il serait par conséquent naïf de penser que les «artistes» pourraient échapper aux turpitudes humaines, qu’ils pourraient constituer une «caste d’individus supérieurs» surplombant les contingences des mortels.
On peut être un personnage infréquentable, délinquant ou criminel, raciste ou sexiste, fasciste ou stalinien, violent ou belliciste, alcoolique ou héroinomane, et néanmoins posséder de réels «talents artistiques», qui peuvent légitimement être appréciés par beaucoup...
Dans le cas contraire, il faudrait revisiter l’ «histoire de l’art» et jeter aux oubliettes une majorité de «créateurs» !
Ainsi, il ne serait plus possible d’aimer la poésie d’Aragon qui, durant toute une période, a justifié les crimes de Staline ! Ainsi, il ne serait plus possible de lire «Voyage au bout de la nuit» de Céline, antisémite revendiqué ! Ne parlons même pas du Marquis de Sade ! Ainsi, il faudrait retirer de sa playlist un Ferré, peu avare en propos misogynes, un Montand qui entretenait des relations troubles avec les (très jeunes) femmes, ou un Michael Jackson, réputé pédophile ! Et que dire de ces cinéastes ou acteurs qui se comportèrent en délateurs ou calomniateurs à l’époque du maccarthysme, que dire d’une Marylin Monroe ou d’un John Wayne soutiens de l’impérialisme US lors des guerres de Corée ou du Vietnam ?
Alors oui, on peut visionner les films de Polanski sans être un gogo. On peut se rendre dans une salle obscure pour applaudir «Le bal des vampires» , «Le bébé de Rosemary» ou son dernier «J’accuse», sans cautionner pour autant la perversité du réalisateur ou sans devenir le «complice» ( !) d’un prédateur sexuel !
Dans le domaine artistique, un artiste doit d’abord être évalué à son «art», et en la matière les opinions (personnelles) des uns et des autres sont évidemment discutables et souvent discutées ! Ceci ne signifie aucunement que l’on soit dupe de la personnalité des auteurs (ou autrices !) d’œuvres littéraires, musicales ou cinématographiques !
En ce qui me concerne, il est probable que je verrai le dernier film de Polanski consacré à l’Affaire Dreyfus, énorme machination judiciaire avec pour arrière-fond l’antisémitisme.
«Oui mais…» ajoute-t-on ici, il y aurait des «intentions cachées», un «message» sous-jacent (pour faire court, en «s’identifiant» à Dreyfus, Polanski s’érigerait en malheureuse «victime»), bref une démarche artistique ambigüe…
Mais, consciemment ou inconsciemment, c’est le propre de beaucoup d’œuvres !
Et puis, il n’est pas interdit de parier sur l’intelligence critique des spectateurs et des spectatrices…
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