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16 janvier 2023

"BOUQUINAGE" - 120

"Avant tout, il s'agit de genres de la modernité industrielle, produits tardifs, dans l'histoire littéraire, d'une grande évolution des mentalités. Une telle affirmation peut surprendre : pourquoi faire remonter littératures et illustrations d'imaginaire seulement à la seconde moitié du XVIIIè siècle pour le roman gothique, et au XIXè pour ses héritiers ? En quoi la fantasy de Tolkien, écrite au cœur du XXè siècle, diffère-t-elle des romans arthuriens du Moyen Âge ? Et même, pourquoi ne pas faire remonter la naissance des genres de l'imaginaire aux tout premiers récits, d'emblée empreints de merveilles et d'héroïsme, les épopées de Gilgamesh (XVIIIè et XVIIè siècles avant notre ère) de l'Iliade et de l'Odyssée (VIIIè siècle avant notre ère), les mythes, contes et folklores transmis au fil de l'histoire ?

Sous des apparences parfois proches à nos yeux de lecteurs contemporains, ces œuvres n'ont en réalité que peu en commun, car elles relèvent de conceptions du monde et de la fiction fondamentalement différentes. Les œuvres antiques, médiévales et classiques, dans toute leur diversité, ont pour point commun un horizon de la croyance, tel qu'alors, au fil de ces très longs siècles de création, l'usage du surnaturel est et demeure absolument prépondérant : il constitue la norme, et non l'exception. Encore au XVIIè siècle français, les romans pastoraux et chevaleresques, les poèmes narratifs, les grandes tragédies, les fables et les contes, partagent le même goût pour d'autres mondes enchantés ou mythiques, et la question âprement débattue entre les Anciens et les Modernes est celle de l'usage du merveilleux chrétien ou du merveilleux païen (antique).

Pour que les genres “de l'imaginaire” imposent leur spécificité, il faudra que la rationalité scientifique devienne le mode dominant de compréhension du réel — transformation majeure promue par les Lumières en Europe —  et que, de manière concomitante, le “réalisme” devienne un objectif de la fiction, ce qui ne se produit là encore que tardivement. Les Anglais distinguent ainsi entre “romance” (le roman médiéval et baroque, le roman d'aventures merveilleuses) et “novel”, le roman réaliste qui s'impose dans la première moitié du XVIIIè siècle (avec les œuvres de Defoe, Richardson ou Fielding). Le décor est désormais posé pour une redécouverte du surnaturel dès lors considéré comme étrange, lointain, inquiétant, ne faisant plus partie d'un paysage mental habituel ou familier : c'est le roman gothique, dont le nom (donné par Horace Walpole dans le sous-titre, “A Gothic Story” de son roman Le Château d'Otrante lors de sa seconde édition en 1765) dit le lien avec la période médiévale qui revient en force dès les débuts du romantisme. S'y exprime très clairement une fascination angoissée pour un passé devenu étranger, qui revient nous hanter, avec ses figures de cruels religieux et aristocrates et son architecture de manoirs et d'abbayes en ruines, dans des romans comme Les Mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe en 1794, Le Moine de Lewis en 1796, Melmoth du Révérend Maturin en 1820, mais aussi, de l'autre côté de l'Atlantique, La légende de Sleepy Hollow de Washington Irving, publiée également en 1820 avant d'inspirer le cinéma gothique de Tim Burton, qui en propose une adaptation en 1999.

Le reste du corpus fantastique enchaîne directement sur l'immense succès remporté en Europe par le roman gothique. “La Vénus d'Ille” de Prosper Mérimée date de 1837 par exemple, et l'essentiel de l’œuvre majeure de l'américain Edgar Allan Poe est publiée entre 1835 et 1845. Tout un pan du cinéma fantastique populaire, plus tardif, lui emprunte directement son ambiance caractéristique, dans les séries de films autour des créatures de la nuit produites par les studios américains Universal dans les années 1930 puis par les Anglais de la Hammer dans les années 1960, où Christopher Lee devient, après Bela Lugosi, un mémorable Dracula."

 

 

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