05 février 2023
"BOUQUINAGE" - 140
" — Mon cher, fit le marquis avec une philosophie dédaigneuse, persuade-toi bien de ceci : c'est que, de tous les maux les plus incurables, le pire c'est la misère. On n'en guérit que difficilement. Tu as eu le bonheur la première fois, et tu t'es arraché des griffes de tes créanciers avec une certaine adresse ; crois-moi, ne tente plus le hasard, le hasard est comme les femmes, il tourne à tout vent.
— Que veux-tu donc que je fasse ?
— Que tu te maries, pardieu !
— Et avec qui ? et comment ? murmura le baron avec un découragement profond dans la voix.
— Mon cher, reprit le marquis, il y a trois sortes de mariages pour les gentilshommes comme nous : le premier est le mariage de convenance, c'est-à-dire un assortiment assez respectable et fort ennuyeux de rang, de naissance et de fortune. Celui-là nous est interdit quand nous sommes un peu ruinés, comme tu l'étais, comme je le suis. Le second est la mésalliance intéressée. Pour redorer son écusson et donner le foin à ses chevaux, on épouse la fille d'un croquant qui vous apporte le Pérou dans un pan de sa chemise, dont le père vous appelle Monseigneur mon gendre et vous déteste cordialement, en songeant qu'il est obligé de payer bien cher l'honneur de vous avoir dans sa famille. Le troisième est le mariage d'inclination ; celui-là est ad libitum : on prend sa femme dans une gentilhommière qui branle au vent, dans les coulisses de l'Opéra ou sur la route des Porcherons, peu importe ! nul n'y regarde et n'y trouve à redire. Or, le premier t'était interdit pour une foule de raisons ; tu as fait le second, et ce dernier te fournit les moyens de contracter le troisième. Tu es assez riche pour que ta femme ait le droit d'être pauvre.
— Sans doute ! murmura le baron d'un air qui signifiait : “que m'importe tout ce que tu me dis !”
— Mais, reprit le marquis de Simiane, il faut te hâter cher, dans six mois, si tu n'as pris femme, tu seras le plus pauvre gentilhomme de France et de Navarre."
00:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
Les commentaires sont fermés.