09 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [79]
"Ne regrettons point ces temps féconds en guerriers, où, de tous côtés, des héros campagnards, chacun a la tête de deux ou trois cents vassaux, se harcelaient sans fin. Les germes de dissension qu’on ne trouvait plus assez fréquemment dans vos climats, on a été les chercher aux extrémités de la terre et, du sein des deux Indes, le commerce vous apporte de nouvelles semences de haine, de discorde et de guerre.
Ces sources fécondes ne sont pas épuisées ; il reste encore des pays à découvrir. Nations infatigables ! votre courage est-il abattu ? Eh quoi ! vous borneriez-vous à vos derniers progrès, comme si la terre manquait à vos recherches ? N’irez-vous jamais arborer vos étendards et bâtir quelque fort directement sous les pôles ? Réveillez-vous, peuples actifs : il reste encore des richesses à piller, des contrées à dévaster, du sang à répandre.
Mais pourquoi porteriez-vous les yeux sur ces objets ? Vos possessions ne sont-elles pas immenses ? votre luxe n’est-il pas monté au suprême degré ? est-il de nouveaux vices à introduire parmi vous ? et ne commencez-vous pas à secouer le joug importun de toute espèce de devoir? Sans doute vous êtes bien, et jamais vous ne fûtes mieux. Le peu de chemin qui vous reste pour arriver à la perfection, vous l’aurez bientôt fait. Quand la sagesse moderne, qui se cache encore timidement dans l’ombre, aura paru au grand jour, quand elle aura levé sa tête altière et qu’elle verra l’Europe à ses pieds adopter généralement ses maximes, alors vous n’aurez ni principes de religion ni principes de morale : vous serez au comble de la félicité."
[Charles-François Tiphaigne de la Roche, Giphantie, 1760]
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