18 août 2025
POLARS EN BARRE [22]
"A l’appel de Dashiell Hammett, le roman policier se met à délirer, comme sous le coup d’une forte fièvre. Il parle gras, sent la sueur et la crapule ; ses personnages se pochardent, se battent et s’abattent dans la plus complète indignité.
Une phrase dans La Moisson Rouge définit à elle seule l’esthétique d’un genre qui a pris mauvais genre : « Enjambant les débris, le bootlegger descendit lentement les marches jusque la chaussée. Reno le traita de pouilleux, de mangeur de poisson et lui logea quatre balles dans la tête. »
Image saisissante ayant pour dénominateur commun, à chacune de ses composantes, la violence que l’on retrouve dans le décor, présenté à l’état de ruines, dans le langage de l’acteur, dans l’action : quatre balles de sang-froid, dans l’écriture qui laisse jaillir la description sans apprêt, ou plutôt sans ménagement.
Cette citation démontre combien l’osmose a aussitôt existé entre roman noir et film noir. Le premier procède d’une vision cinématique qu’il est aisé de transposer en une vision cinématographique. Il n’est pas récit mais image en mouvement.
[…]
L’œuvre de Hammett, dans sa finalité, se caractérise par la pureté morale. (…) Le détective ― comment ne pas voir en lui une projection de l’auteur ? ― est le seul à garder les mains propres. (…) Il résiste à toutes les tentatives de corruption ou de compromis (…) Il est un anarchiste dangereux.
Et voici le véritable objet du procès intenté à Dashiell Hammett. Coupable de scepticisme envers les institutions de son pays ― la police et surtout la justice. Coupable de contester ses valeurs morales. Coupable de bousculer le protocole et les formes. Coupable de faire trop bon marché de la vie humaine, de piétiner les doigts d’un cadavre au lieu de se découvrir devant lui. Coupable de ne pas jouer le jeu du roman bourgeois, de se refuser à faire pleurer les midinettes en tirant de vieilles ficelles. (…)
A travers Hammett, ce n’est pas l’immoralité ― apparente ― du roman policier noir qui est en cause mais son pouvoir subversif."
Francis Lacassin
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