17 août 2025
POLARS EN BARRE [21]
"Pour son troisième roman, Hammett abandonna l’ «op» et créa un nouveau détective, un homme solitaire qui opère de préférence en dehors d’une agence de détectives privés et en dehors de la loi. Spade n’en conserve pas moins bien des traits du «Continental op» : ils adhèrent au même code moral du détective ; ils croient l’un comme l’autre en un sens personnel du bien qui dépasse le code civil ; ils considèrent les policiers corrompus ou incompétents avec dédain tout en respectant à contrecœur les bons ; ils possèdent tous deux une expérience à toute épreuve des rues malfamées et des ruelles sans issue de la ville ; plus important encore, ils ont tous deux le cœur endurci qu’il leur faut pour mener à bien leur travail.
Abandonnant la narration à la première personne adoptée pour toutes les nouvelles et pour les romans avec l’ «op», Hammett choisit, pour Le Faucon maltais, une voix narrative à la troisième personne ― limitée, toutefois ―, qui donne au personnage de Spade une force accrue. Spade est l’incarnation romantique du code du détective privé."
Richard Layman
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"Nul n'est prophète en son pays, ce proverbe semble avoir été inventé pour les écrivains américains. Edgar Allan Poe n'aurait jamais eu sa place dans la littérature mondiale sans les Français. Combien a-t-il fallu de temps pour que Hermann Melville prenne la sienne au-dessus du XIXe siècle, au côté de Walt Whitman ?
Et des écrivains qui ont eu depuis une large audience comme Mark Twain, Jack London, Frank Norris n'ont eu que de l'extérieur leurs lettres de noblesse.
Ainsi, l'histoire littéraire américaine est-elle marquée de ces maudits d'une autre sorte, et il faut bien dire que Dashiell Hammett prend ici place, à qui l’on reconnaîtra la paternité d'un genre décrié, mais qui, à mon sens, domine ce siècle-ci, plus haut que William Faulkner ou Ernest Hemingway sans mésestimer l'œuvre de ceux-ci.
Je me souviens du sentiment de malaise qui avait pris le Congrès des Écrivains américains à New-York, en 1939, quand je l’avais dit à haute voix. Je n'ai pas changé d'avis. Les romans, pour ainsi dire «élisabéthains» de Dashiell Hammett m’ont appris sur la nature de la société moderne plus que de gros traités, et 'Red Harvest' demeure le grand roman de la naissance du mal, du surgissement du fascisme dans ses origines lointaines aux États-Unis comme produit de la guerre de 1914.
On ne fait que travestir un tel roman en roman policier. Faudra-t-il, pour que Dashiell Hammett soit situé, aussi longtemps que pour Stendhal ?
'Red Harvest', c'est à la fois 'Le Rouge et le Noir' et 'Les Chroniques italiennes'.
Il m’est impossible de laisser le silence se faire sur sa tombe sans avoir dit cela."
Louis Aragon, Les romans élisabéthains de Dashiell Hammett, Les Lettres Françaises, N° 859, 9-15 janvier 1961.
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