08 mai 2023
MÉMOIRE
00:39 Publié dans Infos - Communiqués | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
"BOUQUINAGE" - 232
"Les deux jeunes hommes avaient peu de choses en commun, mais ils ne s’en rendaient pas compte car ils partageaient plusieurs traits de caractère superficiels. Tous deux, par exemple, étaient excessivement soigneux de leur personne, très soucieux de questions d’hygiène et de l’état de leurs ongles. Après leur matinée sous le pont de graissage, ils passèrent presque une heure à se faire une beauté dans le cabinet de toilette du garage. Simplement vêtu d’un short, Dick n’était plus tout à fait le même que lorsqu’il était habillé. Dans ce dernier état, il semblait être un jeune homme chétif, d’un blond terne, de taille moyenne, décharné et peut-être fragile des poumons ; une fois nu, Dick apparaissait tout différent ; il se révélait plutôt comme un athlète bâti à l’échelle d’un mi-moyen. Le tatouage d’une tête de chat, bleue et grimaçante, couvrait sa main droite ; sur une épaule s’épanouissait une rose bleue. D’autres marques, qu’il avait dessinées et exécutées lui-même, ornaient ses bras et son torse : une tête de dragon avec un crâne humain entre ses mâchoires ouvertes ; des femmes nues à forte poitrine, un diable brandissant une fourche ; le mot paix accompagné d’une croix dont émanaient, sous la forme de traits grossiers, des rayons de lumière divine ; et deux compositions sentimentales : l’une, un bouquet de fleurs dédié à maman-papa, l’autre, un cœur qui célébrait le roman d’amour de DICK et CAROL, la jeune fille qu’il avait épousée à l’âge de dix-neuf ans et dont il avait divorcé six ans plus tard afin d’“agir en homme d’honneur” avec une autre jeune femme, la mère de son dernier-né. (“J’ai trois fils dont je m’occuperai décidément, avait-il écrit en faisant sa demande de remise en liberté sur parole. Ma femme est remariée. J’ai été marié deux fois, seulement je ne veux rien avoir à faire avec ma deuxième femme”).
Mais ni le physique de Dick ni les tatouages qui le décoraient ne produisaient une impression aussi remarquable que son visage qui semblait composé de parties dépareillées. On aurait dit que sa tête avait été coupée en deux comme une pomme, puis recollée avec un léger décalage. C’était un peu ce qui était arrivé ; les traits imparfaitement alignés étaient la conséquence d’une collision de voiture en 1950, accident qui imprima une dissymétrie à son étroit visage à la mâchoire allongée, laissant le côté gauche un peu plus bas que le côté droit, et il en résulta que les lèvres étaient légèrement de biais, le nez de travers, et les yeux, non seulement situés à des niveaux différents mais de taille inégale, l’œil gauche étant vraiment serpentin, avec un regard louche et venimeux, maladivement bleu, qui, même s’il avait été acquis involontairement, semblait néanmoins annoncer une lie amère au fond de sa nature."
00:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
07 mai 2023
"BOUQUINAGE" - 231
"Une fois notre service terminé, Lee et moi nous allions à la maison pour y trouver Kay en train de lire, soulignant des passages au crayon jaune. Elle faisait la cuisine pour trois et parfois Lee nous quittait pour se payer une bourre à moto sur Mulholland. C’est alors que nous parlions. Lee était toujours à la périphérie de nos conversations, comme si c’était tricher que de parler de la force brute qui était notre point d’ancrage sans qu’elle fût présente : Kay parlait de ses six années d’université et de ses deux maîtrises que Lee avait financées grâce à ses bourses de boxeur, disant aussi à quel point son travail de professeur remplaçant convenait à merveille à la “dilettante surdiplômée” qu’elle était devenue, je lui racontais comment j’avais grandi, petit Boche à Lincoln Heights. On ne parla jamais de mes dénonciations à la Brigade des Étrangers ou de sa vie avec Bobby De Witt. Nous avions tous les deux l’intuition et le sens de l’histoire de l’autre, mais l’un comme l’autre, nous ne voulions pas de détails. J’avais la main, sur ce point : les frères Ashida et Sam Murakami étaient morts depuis longtemps, mais Bobby De Witt se trouvait à un mois d’être libéré sur parole à L.A., et je savais que Kay avait peur de son retour. Si Lee était effrayé, il ne le montra jamais, mis à part le moment où Harry Sears lui avait refilé le tuyau, et jamais cela ne l’avait gêné, même au cours des meilleurs moments passés ensemble –ceux que l’on passait à travailler côte à côte aux Mandats et Recherches. J’appris, cet automne-là, ce qu’était réellement le travail de police, et Lee fut mon professeur. De la mi-novembre jusqu’à la nouvelle année, on mit la main sur onze criminels, dix-huit délits de fuite et trois fugitifs en violation de liberté conditionnelle. À contrôler les rôdeurs suspects, on ramassa une demi-douzaine de mecs supplémentaires, tous pour usage de stupéfiants. On travaillait directement sous les ordres d’Ellis Lœw, et aussi à partir des listes de délits et des bruits de couloir de la Brigade, le tout filtré par le flair de Lee."
00:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |