03 novembre 2025
POLARS EN BARRE [99]
"On aperçoit maintenant entre quels pôles opposés hésite le roman policier et combien il flatterait à la fois les ambitions de l’intelligence et les appétits de la sensation, s’il ne devait sacrifier l’une des deux tendances pour satisfaire l’autre. Pourtant il contient toujours nécessairement les deux éléments : le meurtre et l’enquête. Aussi plaît-il indifféremment à tous les publics et contente-t-il en chaque lecteur les plus diverses exigences. Il compose les séductions du conte qu’on écoute passivement et celle de la recherche où l’on prend une part active. Il éveille toutes sortes d’émotions et singulièrement les plus faciles à faire naître, celles qui répondent aux instincts élémentaires, mais il exerce en même temps l’intellect qui domine et unifie. Il charme, captive, délasse en donnant l’impression du progrès, de l’effort récompensé, du travail fécond.
[…]
Le roman policier représente bien la lutte entre l’élément d’organisation et l’élément de turbulence dont la perpétuelle rivalité équilibre l’univers. Dans la société, l’antagonisme de la loi et du crime la figure. C’est pourquoi le détective et le policier apparaissent comme les champions de deux principes distincts vers lesquels chacun se sent tour à tour incliné : celui qui conseille de commettre l’infraction, celui qui porte à la réprimer. De la même manière l’individu tente tour à tour à se discipliner et à se débaucher. Il est tenté par les émotions, voudrait en ressentir de nouvelles et de toujours plus intenses, quitte à s’éparpiller et à se perdre en leur multitude attirante. Mais il aime aussi se montrer maître et seigneur, imposer l’ordre et la clarté. De nouveau, le criminel et l’enquêteur deviennent symboliques. Ils ne cessent pas d’être de vivantes images de la règle et du délit, mais se présentent en même temps comme des personnifications l’un des jouissances, du défi, du scandale, des mouvements irréfléchis et spontanés, l’autre de la puissance volontaire qui sait les comprendre, les pénétrer, les asservir."
Roger Caillois

00:05 Publié dans Blog, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) |
Facebook | |


































Écrire un commentaire