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05 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 168

"Nous vivions dans un monde où chacun était à la merci de la police secrète et devait informer les autorités de nos pensées et de nos sentiments. On se servait des femmes, des belles et des laides, attribuant des fonctions totalement différentes aux beautés et aux laiderons, et les récompensant de façons différentes. On se servait des gens ayant des tares biographiques ou psychiques : on intimidait l'un parce qu'il était fils de fonctionnaire, de banquier ou d'officier de l'ancien régime, et on promettait à l'autre faveurs et protections... On se servait de ceux qui craignaient de perdre leur place ou voulaient faire carrière, de ceux qui ne voulaient et ne craignaient rien, de ceux qui étaient prêts à tout... On ne cherchait pas seulement à obtenir des informations par leur intermédiaire. Rien ne lie autant que la complicité dans le crime : plus il y avait de personnes salies, compromises, impliquées dans des “affaires”, plus il y avait de traîtres, de mouchards et de délateurs, et plus le régime avait de partisans souhaitant qu'il dure un millénaire... Et quand tout le monde connaît ces procédés, c'est la société elle-même qui perd ses moyens de communiquer, les liens s'affaiblissent entre les gens, chacun se terre dans son coin et se tait, d'où un avantage inappréciable pour les autorités.

(...)

On convoquait généralement non pas à la Loubianka, mais dans des appartements loués spécialement pour cet usage. Ceux qui refusaient de collaborer y étaient gardés pendant des heures et des heures, et on leur proposait de “réfléchir”. Les convocations n'étaient pas tenues secrètes : elles constituaient un maillon important du système d'intimidation, et permettaient également de contrôler le civisme des citoyens : on avait l’œil sur les réfractaires, on leur réglait leur compte à l'occasion. Ceux qui acceptaient voyaient leur carrière facilitée, et en cas de réduction du personnel ou d'épuration, ils pouvaient compter sur la bienveillance des chefs du personnel. Les gens à convoquer ne manquaient jamais : il y avait toujours une nouvelle génération pour prendre la relève."

 

 

 

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