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08 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 171

"Je demandai un jour à mes collègues du bureau, qui étaient en captivité depuis des années, s’ils avaient entrepris des démarches pour la révision de leur procès ; car, dans toutes les conversations on entendait toujours exprimer l’espoir d’une “peres motrenie” (révision) ou d’une amnistie. Comme les politiques étaient pour la plupart innocents, et que beaucoup n’arrivaient pas à comprendre pourquoi on les avait arrêtés, ils supposaient évidemment qu’ils étaient victimes d’une erreur qui se dissiperait bientôt et finirait par la révision du procès et la mise en liberté.

Clément Nikifrevitch m’expliqua que les demandes de réouverture de procès n’avaient, à son avis, aucun sens ; si pourtant on y tenait, les demandes ne devaient être faites que du dehors, et seulement par des parents. Cette explication ne me parut pas du tout évidente.

— J’ai l’impression que vous acceptez tous votre sort sans protestation. Je vais m’adresser au Tribunal suprême de l’Union soviétique et demander une révision de mon procès.

De tous côtés, on me le déconseilla vivement.

— Tu ne feras qu’empirer ton cas ! Des requêtes de ce genre passent directement dans la corbeille à papier. Tu ne te rends pas encore bien compte de l’endroit où tu es.

Et malgré leurs pressants avertissements, j’allai dès le lendemain, pendant la pause du midi, au bureau du natchalnik de la N.K.V.D., déclinai nom, numéro, etc. et présentai ma demande :

— Je voudrais adresser une requête au Tribunal suprême. Puis-je l’écrire en allemand, car je ne possède pas encore très bien le russe ?

Le natchalnik me répondit avec amabilité :

— Mais naturellement, et dès qu’elle sera écrite, apportez-la moi, je vous prie.

— Et je voudrais savoir, j’ai une mère qui habite à Potsdam, en Allemagne, et ignore où je suis. Est-il permis d’envoyer un signe de vie ? Simplement un mot, sur une carte postale, pour lui dire que je vais bien ?

— Bien sûr, c’est autorisé.

Quinze jours après que j’eusse remis cette requête et la carte postale au natchalnik de la N.K.V.D., un prisonnier qui travaillait dans les bureaux de l’administration apparut ; il m’ordonna de terminer mon travail dans mon bureau, m’accompagna à ma baraque où je devais prendre mes affaires, et me conduisit au bloc disciplinaire.

Selon le règlement, je ne pouvais y être admise qu’à six heures du soir, aussi restai-je assise sur mon ballot devant les fils de fer barbelés, en proie à un extrême désespoir. Entrer au bloc disciplinaire, c’était être arrêté une seconde fois."

 

 

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