Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26 octobre 2022

"BOUQUINAGE" - 38

 

"1°. Il est vrai que les armes absolues font peser sur l’humanité une effroyable menace. Mais c’est dans la mesure où elles sont entre peu de mains qu’elles ne sont pas utilisées. La société humaine moderne ne se survit que parce qu’un très petit nombre d’hommes possède la décision.


2°. Ces armes absolues ne peuvent aller qu'en se développant. Dans la recherche opérationnelle d’avant-garde, la cloison entre le bien et le mal est de plus en plus mince. Toute découverte au niveau des structures essentielles est à la fois positive et négative.D’autre part, les techniques, en se perfectionnant, ne s’alourdissent pas : tout au contraire, elles se simplifient. Elles font appel à des forces qui vont en se rapprochant des élémentaires. Le nombre d’opérations se réduit, l’équipement s’allège. À la limite, la clé des forces universelles tiendra dans le creux de la main. Un enfant la pourra forger et manier. Plus on ira vers la simplification-puissance, plus il faudra occulter, hausser les barrières, pour assurer la continuité de la vie.


3°. Cette occultation se fait d’ailleurs elle-même, le véritable pouvoir passant entre les mains des hommes de savoir. Ceux-ci ont un langage et des formes de pensée qui leur sont propres. Ce n’est pas une barrière artificielle. Le verbe est différent parce que l’esprit se trouve situé à un autre niveau. Les hommes de savoir ont persuadé les possédants qu’ils posséderaient
davantage, les gouvernants qu’ils gouverneraient davantage, s’ils faisaient appel à eux. Et ils ont rapidement conquis une place au-dessus de la richesse et du pouvoir. Comment ? D’abord en introduisant partout l’infinie complexité. La pensée qui se veut directrice complique à l’extrême le système qu’elle veut détruire pour le ramener au sien sans réaction de défense, comme l’araignée enveloppe sa proie. Les hommes dits “de pouvoir”, possédants et gouvernants, ne sont plus que les intermédiaires dans une époque qui est elle-même intermédiaire.


4°. Tandis que les armes absolues se multiplient, la guerre change de visage. Un combat sans interruption se livre, sous forme de guérillas, de révolutions de palais, de guet-apens, de maquis, d’articles, de livres, de discours. La guerre révolutionnaire se substitue à la guerre tout court. Ce changement de formes de la guerre correspond à un changement de buts de l’humanité. Les guerres étaient faites pour “l’avoir”. La guerre révolutionnaire est faite pour “l’être”. Jadis, l’humanité se déchirait pour se partager la terre et y jouir. Pour que quelques-uns se partagent les biens de la terre et en jouissent. Maintenant, à travers cet incessant combat qui ressemble à la danse des insectes qui palpent mutuellement leurs antennes, tout se passe comme si l’humanité cherchait l’union, le rassemblement, l’unité pour changer la Terre. Au désir de jouir, se substitue la volonté de faire. Les hommes de savoir, ayant aussi mis au point les armes psychologiques, ne sont pas étrangers à ce profond changement. La guerre révolutionnaire correspond à la naissance d’un esprit nouveau : l’esprit ouvrier. L’esprit des ouvriers de la Terre. C’est en ce sens que l’histoire est un mouvement messianique des masses. Ce mouvement coïncide avec la concentration du savoir. Telle est la phase que nous traversons, dans l’aventure d’une hominisation croissante, d’une assomption continue de l’esprit."

 

Le-matin-des-magiciens.jpg

18 octobre 2022

"BOUQUINAGE" - 30

 

"Mais l’œuvre de Marx est beaucoup plus que cela : que ce soit dans les pages du Capital ou ses autres écrits, il dénonce, avec une férocité extraordinaire, la nature perverse et inhumaine du mode capitaliste de production, de ses origines –l'accumulation primitive– à nos jours. Si l'on ignore la dimension “morale” de l'indignation et du refus, on ne peut pas comprendre Marx, la motivation de ses écrits et leur cohérence.

De même, la lutte de classe est chez Marx non seulement un instrument de connaissance de la réalité historique –ce qu'on appelle parfois le “matérialisme historique”– mais aussi une stratégie de combat contre les exploiteurs et les oppresseurs, dans une perspective de changement révolutionnaire de la société. Dans la philosophie de la praxis marxienne, l'interprétation du monde et sa transformation sont des moments dialectiquement inséparables.

Enfin, on ne peut pas comprendre la structure significative de la pensée de Marx sans prendre en compte sa visée “utopique” : le communisme, le projet d'une société libre et égalitaire, sans classes et sans État, en rupture avec le capitalisme et la société bourgeoise."

 

 

 

1659365470321.png

08 octobre 2022

"BOUQUINAGE" - 20

"La hantise de la catastrophe apparaît comme le pendant du présentisme : le passé n'est garant de rien, le futur ne promet rien, ne reste que la pression du présent, dont la catastrophe, indéfiniment répétable, est une figure.

 

Or imaginer la catastrophe déjà réalisée, se placer après, faire comme si le monde était déjà détruit, c'est faire tomber cette menace. Le présent, aboli, n'exerce plus sa tyrannie. On change d'horizon et on autorise le déploiement de possibles en envisageant autrement le temps. Car se placer à la fin des temps, c'est une manière de penser le temps de la fin —ce qui n'est pas la même chose. Penser son époque comme temps de la fin, c'est se donner le moyen de prévenir la fin des temps car c'est se donner paradoxalement le moyen d'y agir."

 

 

9782348037191.jpg

07 octobre 2022

"BOUQUINAGE" - 19

"C'est ici, maintenant, qu'il faut prendre parti, et cesser de jouer sur tous les tableaux à la fois ou de prendre Sade par petits morceaux bien choisis, louant ceci, déplorant cela, prenant l’œuvre sans la vie ou la vie sans l’œuvre, et l’œuvre sans telle ou telle partie jugée indigne du reste, puis la vie avec les grandes amours supposées mais sans le “jeu de boutonnières”, pour ne garder plus à la fin du sieur marquis de Sade qu'un sujet d'équivoques propos de dîners parisiens où les gloussements de la pudeur effarouchée se croisent avec les sous-entendus et les demi-mots de ceux qui en savent aussi long sur les bizarreries du sexe que sur les complexités du texte. Il me semble que l'interrogation essentielle à laquelle chacun doit répondre avant de parler de Sade peut se résumer dans une de ces questions bien primaires et bien plates qui restent pour moi les meilleures : Donatien de Sade était-il sadique ?"

 

 

 

sade.jpg

04 octobre 2022

"BOUQUINAGE" - 16

"Au terme de cette période, Marx avait mûri sur tous les plans, il avait déjà énormément appris, écrit, discuté et bataillé. Les années qui suivirent, jusqu'à sa mort en 1883, furent tout aussi remplies : il ne renonça jamais à ses convictions communistes, mais il s'attacha à préciser les contours de ce qui n'était à ses yeux ni le nom d'une utopie ni celui d'un parti, mais un processus révolutionnaire de longue haleine, ancré dans l'histoire de la lutte des classes, construisant du même mouvement la mobilisation des travailleurs et les formes d'une société non capitaliste, capable d'auto-organisation, débarrassée à la fois de l’État et de la loi du profit, de la domination de classe et de l'exploitation."

 

 

 

cover.jpg

02 octobre 2022

"BOUQUINAGE" - 14

 

"La société existante parviendra à endiguer les forces révolutionnaires aussi longtemps qu'elle réussira à produire toujours plus “de beurre et de canons” et à berner la population à l'aide de nouvelles formes de contrôle total."

 

41QqmKu2CrL._SX305_BO1,204,203,200_.jpg

19 octobre 2021

Critique(s)

"Marx a sous-titré Le Capital, comme les Grundrisse, Critique de l'économie politique, et Lénine soulignait déjà que Marx ne se place jamais sur le terrain économique dans ses analyses, car il conçoit la production comme un acte biologique de métabolisme entre l'homme et la nature. Ainsi, écrivait Marx en 1844 dans ses Manuscrits parisiens, il pourra ne plus y avoir qu'une seule science sous le communisme, celles des sciences de la nature.
 
(...)
 
Cette critique de l'éducation  –comme l'a été celle de l'économie politique– est fondée essentiellement sur des critères de classe soulignant le caractère faussement impartial et objectif de toutes les institutions existantes qui trouvent finalement leur explication dans l'économie.
 
D'emblée, Marx ramasse en une synthèse formidable les caractéristiques de la bourgeoisie, qu'il définit d'une manière qui peut paraître paradoxale à certains : «l'argent et la culture en sont les deux critères essentiels» [Critique du droit politique de Hegel]
 
(...)
 
A mesure que se développe la division du travail, le savoir, l'art et la culture se séparent des producteurs, passent dans les superstructures et sont monopolisés par les classes dominantes"
 
 
[Roger Dangeville, Présentation de textes de Karl Marx et Friedrich Engels sur la Critique de l'éducation et de l'enseignement, Maspéro, 1976]
 
 
 

71H2IU5brBL.jpg

28 novembre 2020

Friedrich Engels, 1820-2020

 

200.jpgFriedrich Engels est né il y a 200 ans à Barmen, dans un milieu piétiste et bourgeois −son père était propriétaire d’une usine de textile−, dans cette Rhénanie-Westphalie qui avait déjà vu naître Karl Marx en 1818. (1)

Friedrich Engels-Karl Marx, Karl Marx-Friedrich Engels, deux figures majeures de l’histoire du "mouvement ouvrier", indissociables même si d’aucuns s’acharnent à les dissocier, en minorant l’apport d’Engels ou en le rendant responsable des avatars du "marxisme" !

Durant près de 40 ans, c’est ensemble qu’ils s’engagèrent dans l’action révolutionnaire et c’est de concert qu’ils menèrent un travail théorique décisif.

 

Marx dans imprimerie.jpg

 

De la révolution européenne de 1848 à la Commune de Paris, de la Ligue des Communistes au Parti social-démocrate allemand en passant par l’Association Internationale des Travailleurs, leur étroite collaboration fut constante.

C’est à quatre mains qu’ils écrivirent des œuvres majeures et sans Engels, pas de Capital. Non seulement parce que son aide matérielle fut cruciale, mais surtout parce que leurs discussions concernant le domaine économique furent fac simi kapital.jpgpermanentes, Marx n’hésitant jamais à demander des explications concrètes à son camarade familiarisé avec les pratiques des affaires et de l’industrie, grâce à sa position au sein de l’entreprise familiale. (2)

Et puis, Engels avait montré la voie dès 1843-1844 en rédigeant son "Esquisse d’une critique de l’économie politique" (3) que Marx qualifia de "géniale" dans un célèbre bilan d'étape. (4)

Car Engels fut souvent un précurseur et son ami n’avait aucune difficulté à en convenir : "tu sais que 1. tout vient tard chez moi et 2. que je marche toujours sur tes traces". (5)

Ainsi c’est Engels qui découvrit et analysa très tôt la situation des classes laborieuses en cette époque de "révolution industrielle", c’est lui qui initia une première critique de l’économie politique de la classe dominante, c’est lui qui prit d’abord en considération les travaux des principaux "socialistes" qui les précédèrent, c’est lui qui se rallia le premier au "communisme", c’est lui qui accorda un grand intérêt aux "sciences exactes"

Mais Engels fut plus qu’un partenaire intellectuel et militant, il fut un véritable ami qui se sacrifia pour aider financièrement Marx et sa famille, souvent dans la dèche. C’est pourquoi il accepta de travailler pour son paternel, ce qui lui coutait beaucoup. (6)

Ce fut aussi Engels qui aida Marx à faire face à certaines turpitudes privées, notamment en assumant sa paternité adultérine ! (7)

Bon vivant, personnalité truculente, appréciant les femmes, capable de boire énormément, polyglotte, curieux de tout, "expert" en questions militaires (8) Engels était un homme aux multiples ressources, doté d'une force de travail peu commune.

Ainsi, après la mort de Marx, c’est lui qui travailla obstinément  pour éditer les tomes 2 et 3 du Capital, et il joua un rôle considérable de "passeur" au sein de la social-démocratie allemande et de la nouvelle internationale fondée en 1889.

Engels succomba d’un cancer le 5 août 1895, laissant un vide immense dans le mouvement d’émancipation des travailleurs. (9)

 

Eng fr.jpg

 

 

Notes

 

  • (1) Pour une biographie détaillée, je renvoie à la bibliographie proposée ci-dessous.
  • (2) Voir : Marx-Engels, Lettres sur "Le Capital", Editions Sociales, Paris, 1964. Marx reconnut explicitement sa dette dans sa lettre du 16 août 1867 : "Voilà donc ce volume terminé. Si cela a été possible, c’est à toi et à toi seul que je le dois ! Sans ton dévouement pour moi, il m’aurait été impossible d’effectuer les travaux énormes nécessaires pour ces trois volumes." Marx-Engels, Correspondance – Tome IX, Editions Sociales, Paris, 1982, page 9.
  • (3) Friedrich Engels, Esquisse d’une critique de l’économie politique in Ecrits de jeunesse – volume 2, Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2018, pages 83-112.
  • (4) Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique (Préface de 1859), Editions du Progrès, Moscou, 1975, page 6.
  • (5) Lettre de Marx à Engels le 4 juillet 1864, in Marx-Engels, Correspondance - Tome VII, Editions Sociales, Paris, 1979, page 248.
  • (6) Très vite, confronté à cette sombre perspective, il s’agaçait : "… mais j’en ai eu déjà par-dessus la tête avant même d’avoir commencé à travailler ; le commerce est trop affreux (…) et ce qui est particulièrement affreux, c’est d’être non seulement un bourgeois, mais un fabricant ; un bourgeois qui intervient activement contre le prolétariat. (…) On doit pouvoir, tout en étant communiste, être, quant à sa situation extérieure, un bourgeois et un négociant, si toutefois on n’écrit pas ; mais faire de la propagande communiste en grand et en même temps du commerce et de l’industrie, ça ne va pas. J’en ai assez ; à Pâques, je m’en vais." Lettre à Marx du 20 janvier 1845, in Marx-Engels, Correspondance – Tome I, Editions Sociales, Paris, 1971, pages 357-358. Face aux difficultés matérielles des deux amis, en exil en Angleterre suite à la déferlante contre-révolutionnaire sur le continent, Engels reprit son travail d’associé au sein de l’entreprise familiale, en 1850. Et ce, pour une durée de 20 ans !
  • (7) Le 23 juin 1851, Hélène Demuth  −bonne de la famille−  donna naissance à un fils, Henry Frederick (Freddy) Demuth, qu’Engels reconnut pour sauver le mariage de Marx !
  • (8) D’où le surnom de  "Général" affublé à Engels par Marx et ses proches…
  • (9) Dans sa notice nécrologique, Lénine souligna qu’"après son ami Karl Marx (mort en 1883), Engels fut le savant et l’éducateur le plus remarquable du prolétariat contemporain dans le monde civilisé tout entier". Lénine, Œuvres Choisies – Tome 1, Editions du Progrès, Moscou, 1977, page 50.

 

 

101223996_3322780944400718_639359345762500608_n.jpg

 

 

Bibliographie

 

 

  1. Œuvres d’Engels

 

Ecrits de jeunesse [volume 1], Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2015  

Ecrits de jeunesse [volume 2], Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2018 

La situation de la classe laborieuse en Angleterre, Editions Sociales, Paris, 1975 

Les principes du communisme, Les Editions Sociales, Paris, 2020

Anti-Dühring, Editions Sociales, Paris, 1973 

Dialectique de la nature, Editions Sociales, Paris, 1975 

L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, Editions Sociales, Paris, 1972 

La guerre des paysans en Allemagne, Editions Sociales, Paris, 1974  

La question du logement, Editions Sociales, Paris, 1969

 

 

  1. Œuvres de Marx et Engels

 

Annales franco-allemandes, Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2020 

La Sainte Famille, Editions Sociales, Paris, 1972 

L'idéologie allemande, Editions Sociales, Paris, 1976 

Le Manifeste du Parti Communiste, Editions Sociales, Paris, 1971 

La Nouvelle Gazette Rhénane [3 volumes], Editions Sociales, Paris, 1969-1971 

Lettres sur "Le Capital", Editions Sociales, Paris, 1964

Sur la religion [textes choisis], Editions Sociales, Paris, 1972 

Sur la littérature et l'art [textes choisis], Editions Sociales, Paris, 1954 

Correspondance [12 tomes - Novembre 1835-Octobre 1874], Editions Sociales, Paris, 1971-1989  

Correspondance [tome 13  1875-1880], Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2020

 

 

  1. Biographies/essais

 

BRUHAT Jean, Marx-Engels, UGE-10/18, Paris, 1971 

CLAUDIN Fernando, Marx, Engels et la révolution de 1848, Maspero, Paris, 1980  

[Collectif], Souvenirs sur Marx et Engels, Editions du Progrès, Moscou, 1982  

COLLIN Denis, Friedrich Engels, philosophe et savant, Bréal, Paris, 2020 

CORNU Auguste, Karl Marx et Friedrich Engels, PUF, Paris, Tome 1, 1955 ; Tome 2, 1958 ; Tome 3, 1962 ; Tome 4, 1970  

DELBRACIO Mireille et LABICA Georges (dir), Friedrich Engels, savant et révolutionnaire, PUF, Paris, 1997 

GULLI Florian et QUETIER Jean, Découvrir Engels, Les Editions Sociales, Paris, 2020 

HUNT Tristram, Engels, le gentleman révolutionnaire, Flammarion, Paris, 2009 

RIAZANOV David, Marx et Engels, Anthropos, Paris, 1974  

ROSDOLSKY Roman, Friedrich Engels et les peuples "sans histoire". La question nationale dans la révolution de 1848, Syllepse [Paris], Page Deux [Lausanne], M Editeur [Montréal], 2018 

TEXIER Jacques, Révolution et démocratie chez Marx et Engels, PUF, Paris, 1998