15 août 2017
Autour d'un centenaire (4)
REVOLUTION...S
L'histoire de la révolution russe n'est pas l'histoire d'un peuple rassemblé derrière un parti uni pour la conquête du pouvoir et l'édification du socialisme.
En réalité, en pleine guerre mondiale, le régime autocratique de Nicolas II se désagrège et s'effondre, balayé par «une révolution sociale, multiforme et autonome».
C'est la complexité de ce processus que Nicolas Werth tente de nous restituer dans un livre de synthèse [1] .
L'auteur souligne que 1917 découla finalement d'une convergence temporaire entre une volonté politique (celle de Lénine et ses camarades) et une multitude de mouvements contestataires ; et chacun de ceux-ci avait «sa propre temporalité, sa dynamique interne, ses aspirations qui ne sauraient être réduites ni aux slogans bolchéviks ni à l'action politique de ce parti ».
Parmi les différentes expressions de ce «foisonnement», il pointe :
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Les soldats, majoritairement des paysans sous l'uniforme, épuisés par trois années de conflit meurtrier et qui aspirent à la cessation rapide des hostilités.
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La paysannerie qui déclenche une vaste «jacquerie» à l'encontre des propriétaires fonciers, bien sûr, mais aussi contre toute ingérence étatique et contre toute emprise de «la ville».
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Un «mouvement ouvrier» confronté à un patronat intransigeant, qui développe un programme révolutionnaire spécifique articulé autour de mots d'ordre comme «le contrôle ouvrier» et «tout le pouvoir aux soviets».
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Les nations et les peuples allogènes de l'empire, en voie de disparition, engagés dans un combat pour leur «émancipation».
Telle est, pour Werth, la toile de fond du «coup d'Etat minutieusement préparé» qui permit aux Bolcheviks de s'emparer du pouvoir le 25 octobre (7 novembre) 1917.
L'auteur détaille, en huit chapitres rondement menés, les événements et leur épilogue qui furent un véritable coup de tonnerre dans une époque qui n'en manquait pourtant pas.
Pour conclure, il consacre un neuvième et dernier volet aux «débats et controverses» suscités par cette irruption révolutionnaire, prélude au «court vingtième siècle» (Hobsbawm).
Il distingue «trois grands courants interprétatifs» : l'historiographie soviétique, l'historiographie libérale et l'historiographie qualifiée de « révisionniste », qui est apparue dans les années 1960-1970, aux Etats-Unis.
Pour la première, Octobre confirmerait «les lois de l'histoire découvertes par Marx» et traduirait le triomphe d'un parti d'un type nouveau, le parti «léniniste», formation disciplinée, centralisée et monolithique, mobilisée par un seul but : la révolution.
Pour la seconde, Octobre constituerait seulement un «accident malencontreux de l'histoire» dû à des circonstances exceptionnelles.
Pour la troisième, soucieuse d'analyser le processus en «partant d'en-bas», Octobre fut bien un mouvement de masse mais confisqué par une minorité agissante.
On suivrait volontiers l'historien si son propos était moins partiel et partial. Pourquoi oublier d'autres analyses et grilles interprétatives, issues notamment du «mouvement communiste» ou de «la gauche», comme celles des courants «trotskystes» et «libertaires» ?
Ainsi, quand Werth martèle que le Parti Bolchévik n'était pas ce parti homogène et uni vanté par les «historiens soviétiques», mais une formation politique profondément divisée, il se contente -désolé pour l'expression - d'enfoncer une porte ouverte !
Il suffit de lire la monumentale «histoire de la révolution russe» de Léon Trotsky [2] pour s'en convaincre. Un Trotsky qui explique longuement les confrontations internes et la lutte opiniâtre menée par Lénine pour «réarmer le parti».
Werth détaille enfin les différents points de vue concernant « l'échec du gouvernement provisoire » ou la question de « la violence » dans le processus révolutionnaire russe, pour conclure par un coup de chapeau à... François Furet, dénonciateur tardif du «mythe révolutionnaire» -qui trouverait sa source dans la révolution française !- et féroce pourfendeur du «communisme» [3].
Mais ceci est une autre histoire autour d'une séquence historique qui fait toujours débat, cent ans plus tard...
@
[1] Werth Nicolas, Les révolutions russes, PUF (Que sais-je ?), Paris 2017.
Agrégé d'histoire et directeur de recherche au CNRS, Werth a participé au fameux et très polémique «Livre noir du communisme» (Laffont, Paris 1997) . Néanmoins, sa contribution à cette édifiante «brique» était plus intéressante que celle d'un Stéphane Courtois, par exemple.
[2] Trotsky Léon, Histoire de la révolution russe, Seuil, Paris, 1950.
[Egalement disponible en poche (2 volumes), toujours au Seuil (Point/Politique en 1967 et Point/Essai en 1995)].
Véritable «chef d'oeuvre de la littérature marxiste», cette volumineuse histoire reste incontournable, même si un siècle plus tard et les progrès de la recherche historique aidant, ce «témoignage» fécond mérite discussion(s).
[3] Furet François, Le passé d'une illusion, Laffont/Calmann-Lévy, Paris, 1995.
Comme beaucoup d'anciens militants staliniens repentis (il quitta le PCF en 1959), Furet fut un féroce détracteur de l'URSS et des pays du «socialisme réellement existant»...
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