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08 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 263

"Et l'équipement ? se demanda-t-il soudain. Rosenfeld n'avait pas abordé ce problème. Le gouvernement allait-il lâcher tous ces gens dans un monde étranger sans aucun matériel ? Sans outillage convenable, la colonie ne serait rien de plus qu'un énorme camp de personnes déplacées. Pour vraiment fonctionner réellement, elle devait devenir autonome : la chose était évidente pour qui se donnait la peine d'y réfléchir dix minutes. Et il faudrait du temps, pour transférer suffisamment de matériel pour cent millions de personnes : cela supposait une logistique incroyable. Trente-trois fois environ ce qu'il avait fallu engager pour organiser le débarquement de Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement avait perdu la tête. Les politiciens étaient à ce point désorientés par les implications politiques de cette Terre parallèle qu'ils avaient perdu le sens des réalités.

Tout cela pouvait facilement devenir le plus extraordinaire foutoir de tous les temps."

 

 

 

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07 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 262

"La pluie était une vieille tradition de Portland, mais la chaleur —environ 21°C, le 2 mars— était récente, résultat de la pollution atmosphérique. Les émanations urbaines et industrielles n'avaient pas été contrôlées assez tôt pour que l'on pût renverser la tendance cumulative qui s'annonçait déjà au milieu du XXème siècle ; il faudrait plusieurs siècles pour que l'air perde son surplus de CO2, s'il y arrivait jamais. New-York allait devenir l'une des plus grandes victimes de l'effet de serre, car les glaces polaires continuaient à fondre et le niveau de la mer montait toujours ; en fait, toute la côte nord-est était en danger. Il y avait quelques compensations malgré tout. L'eau s'élevait déjà dans la baie de San Francisco et finirait par couvrir toutes les centaines de kilomètres carrés de boue et de détritus qu'on y avait déversés depuis 1848. Portland, avec ses cent trente kilomètres et le plateau côtier qui le protégeait de la mer, n'était pas menacé par le soulèvement des eaux mais seulement par la pluie qui tombait.

(...)

La sous-alimentation, la surpopulation et l'insalubrité de l'environnement étaient la norme. Il y avait plus de cas de scorbut, de typhus et d'hépatite dans les vieilles villes, plus de bandes armées, de crimes et de meurtres dans les villes nouvelles. Les rats régnaient sur les unes et la Maffia sur les autres. George Orr restait à Portland parce qu'il y avait toujours vécu et parce qu'il n'avait aucune raison de croire qu'ailleurs la vie serait plus agréable, ou différente."

 

 

 

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06 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 261

"MG nous avait alors tous installés dans la bibliothèque et nous avait expliqué les choses à sa façon. Le monde était un endroit très vaste, et tout aussi dangereux. Les gens ne vivaient que pour gagner de l'argent. Plus ils en gagnaient, plus ils en voulaient. Les guerres venaient de ça. La pollution aussi. Savions-nous ce que la Terre était devenue ? Non, nous ne le savions pas : nous savions à peine ce qu'était la Terre. Nous savions juste que nous étions nés là-bas.

La Terre était devenue une planète morte.

Plus un centimètre carré de nature sauvage. Rien que de maigres parcs, rien que des mers artificielles, remplies de poissons crevés. Des guerres, des famines, des attentats. Et Mars ? Oh, Mars était encore un endroit agréable, mais cela ne durerait pas. L'argent des hommes achetait tout. Il achetait la pluie, il achetait le désert, il achetait le vent dans les arbres et le chant des oiseaux. Mais ici — le cratère, l’Éden —, ici, les hommes ne venaient pas."

 

 

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05 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 260

"L'avenir, cependant, n'était pas figé, il laissait toujours de la place à l'inattendu, l'improbable ; tous ceux qui avaient utilisé l'équipement von Lessinger le savaient bien : le voyage dans le temps restait encore un art, pas une science exacte."

 

 

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04 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 259

"Ceci constitue une aubaine pour le néolibéralisme des sociétés occidentales, qui requiert une soumission à l’ordre du marché et la fructification du capital à quoi chaque humain productif est réduit. L’engouement pour l’homme augmenté signale la dernière version de la servitude volontaire : réclamer toujours davantage de moyens technologiques pour être un animal laborans efficace, proactif et infatigable… Faute de vouloir imaginer ce qui serait le mieux, on préférera encourager la production de plus, toujours plus !"

[Jean-Michel BESNIER]

 

 

"L’homme augmenté est un grand classique de la littérature de science-fiction. Il y prend la figure du mutant, fruit de quelque accident ou évolution génétique lui donnant des capacités surhumaines, mais aussi de l’humain complété par de multiples technologies, juste à sa main, tel le smartphone, ou plus invasives, à la façon d’une puce implantée dans son corps, le rendant en théorie “meilleur”, plus “efficace” ou plus “intelligent”, lui permettant également d’accéder à d’autres réalités à même de l’enrichir. (…)

Dans les sociétés occidentales marquées, hier comme aujourd’hui, par un même credo dans la capacité des nouvelles technologies à nous rendre la vie meilleure, voire à nous changer en humains soi-disant  “supérieurs”, le livre de science-fiction fait plus que jamais fonction de paratonnerre. Par la puissance de ses récits, parfois indémodables, il nous permet de décrypter certains discours entre le marketing et une propagande ne pouvant s’avouer comme telle. Et il nous offre ainsi une salutaire prise de recul.

De fait les meilleurs textes sur l’humain augmenté le traitent sous l’angle de la critique sociale et politique."

[Ariel KYROU]

 

 

"On accepte qu’un roman traite de l’homme augmenté que dans les trois situations suivantes : qu’il soit classé comme un roman de science-fiction ; qu’il soit un essai ; qu’il soit le produit d’un écrivain augmenté dans le sens où l’écrivain utilise le roman, en totalité ou en partie, comme un prolongement de soi.

(…)

Pourquoi la littérature de l’imaginaire, et les dystopies en particulier, nagent-elles en pareille disgrâce dans le milieu de la littérature blanche française ? (…) Pourquoi le reste du monde juge-t-il avec une si grande légèreté les genres, tandis que nous, en France, on se pince le nez et on détourne le regard ?"

[Diana FILIPPOVA]

 

 

"Les métavers apportent l’espoir à tout un chacun de devenir un héros virtuel, mais ne promettent pas un nouveau monde.

Tel un Far West virtuel, les métavers prolongent la société occidentale, il s’agit d’une fuite en avant où la conquête des terres virtuelles est portée par l’espoir que rien ne change, et ce malgré l’urgence environnementale et la montée en puissance de préoccupations sociétales."

[Fanny PARISE]

 

 

 

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03 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 258

"Il tendit brusquement le bras pour ôter la couverture, et tous virent alors quel châtiment Delgado s'était attiré en révélant certaines choses sans permission — ce châtiment auquel il faisait plus ou moins allusion lorsqu'il disait que Murray devrait avoir le cœur bien accroché.

Ma spécialité est le cancer et la gangrène.

Par l'effet d'un conditionnement diabolique, d'un processus psychosomatique de l'avenir que nul ne pouvait expliquer, son corps s'était putréfié à mesure qu'il répondait aux questions. Sous la couverture, des épaules aux chevilles, ses chairs n'étaient plus qu'un magma semi-liquide, une boue infecte, nauséabonde.

Au loin, stridentes comme les rires de l'enfer, retentissaient les sirènes des ambulances."

 

 

 

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02 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 257

"Elle sourit vaguement. Elle pouvait avoir trente ou trente-cinq ans. Elle avait l’œil marron et le visage délicat. Son sourire vague découvrit peu à peu ses dents qui étaient petites et régulières. Roucart s'avançait vers elle en l'appelant sa chère enfant et il avait la voix paternelle cependant que ses gros yeux bleus parcouraient sans cesse la silhouette mince de la jeune femme, et il s'étonnait hautement de la voir ici, d'abord elle ne chassait jamais, ensuite elle avait fait ses adieux à tout le monde hier après-midi et elle était partie en taxi à la gare.

— Pour une surprise, c'est une surprise, une bonne surprise ! clama-t-il et elle prit en main le calibre 16 et le tourna vers lui et avant même qu'il eût cessé de sourire elle lui vida les deux canons dans le buffet.

Ensuite il était étendu sur le dos contre la pente pleine de feuilles pourries. Il avait des trous plein le torse et sa veste kaki était remontée sous son menton à cause du choc et sa chemise à carreaux était à moitié sortie de son pantalon. La tête nue de Roucart était penchée et tournée sur un côté, sa joue reposait dans la boue, ses yeux et sa bouche étaient ouverts, sa casquette était par terre, retournée. De la salive miroitant dans sa bouche, l'homme eut une petite contraction de la paupière et puis mourut. Dans le lointain s'entendit le bruit bénin de trois coups de feu. La jeune femme s'en alla."

 

 

 

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01 juin 2023

"BOUQUINAGE" - 256

"L'idée selon laquelle l'art ne devrait rien avoir à faire avec la politique est elle-même une prise de position politique."

 

 

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