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22 septembre 2025

POLARS EN BARRE [57]

"L'homme qui ne médite pas vit dans l'aveuglement, l'homme qui médite vit dans l'obscurité. Nous n'avons que le choix du noir."

Victor Hugo

 

♦♦♦♦♦♦

 

 

"Au milieu de la rue, à la sortie du bourg, cerné par les corbeaux déchaînés, un corps. Un cadavre. Tressautant sous les coups de bec des charognards.

Albert s’est précipité pour consoler sa compagne. D’un regard, il me passa muettement son bâton de maréchal.

Le couteau à la main, j’ai gagné le milieu de la chaussée et j’ai progressé lentement, tout à fait comme le shérif, toujours dans le même western, avançant, inquiet, vers le lieu du duel final, regardant de tous côtés, marchant droit, sur ses gardes.

Vers les trois autres baraques, rien. Personne.

Le cadavre était déjà bien entamé. Les corbeaux se sont peu à peu éloignés. Mais pas très loin.

J’ai alors reconnu le jogging et, au milieu de la bouillie du crâne écrasé, les petites tresses africaines de ce jeune homme parti, déjà des siècles, avec la jeune fille au pull rouge et trois autres types dont je ne me souvenais qu’à peine…

– C’est le jeune, le type en jogging, j’ai annoncé en rejoignant le groupe.

Nadine pleurait doucement dans les bras de son mec.

Nous avons décidé de ne pas traîner, d’agir vite. Avec méthode. Un tracteur, une voiture ; il y avait donc de l’essence pour continuer notre minable périple ; et plein d’objets et d’outils qui pouvaient se transformer en armes de défense.

Il devenait flagrant que, désormais, nous en aurions besoin."

 

Jean-Bernard Pouy

 

 

 

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21 septembre 2025

POLARS EN BARRE [56]

 

"Ellen garda le silence. Quelque part dans le voisinage, un chien hurla lugubrement à la lune pâle ou peut-être à quelque chose dans la nuit. Les criquets créaient une symphonie, tout autour d’eux. Finalement, elle avoua :

— Je voudrais que nous ne l’ayons jamais fait. Devant Dieu, je voudrais que nous ne l’ayons pas fait.

— Ellen, c’était vraiment le crime parfait.

— Vraiment ? Réellement ?

— Tu le sais bien.

— Je ne sais pas. Je n’en sais plus rien.

— Ah, bon Dieu, femme, cesse de parler comme ça !

— Je n’y peux rien. J’ai peur. Ça fait longtemps que j’ai peur.

— De quoi ? demanda George. Nous n’avons pas été pris, n’est-ce pas ? Et nous ne le serons jamais, maintenant.

— Pas par la police.

— Allons bon ! Qu’est-ce que ça veut dire, ça ?

— Le crime parfait n’existe pas, George, dit-elle. Je le sais et toi aussi.

— Je ne sais rien de pareil du tout.

— Si, tu le sais. Tout au fond, nous l’avons toujours su, tous les deux. Nous n’avons pas été impunis, pour ce que nous avons fait, mais nous n’avons pas non plus payé le prix total. Et nous allons avoir à le payer, ce ne sera pas long. Pas long du tout.

Ils retombèrent dans leur silence, car il ne restait plus rien à dire, avec le parfum sucré du chèvrefeuille dans leurs narines et le chant des grenouilles et des criquets à leurs oreilles. Ils restèrent assis sans se toucher, sans se regarder dans l’ombre profonde de la véranda… en se souvenant… en attendant.

Ellen et George Granger, âgés de 79 et de 81 ans, qui avaient commis le crime parfait en l’an de grâce 1931."

 

Bill Pronzini

 

 

 

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20 septembre 2025

POLARS EN BARRE [55]

 

"Puis la Révolution vint, et avec elle son cortège d’idées nouvelles, égalité, liberté, qui vont se répandre dans le monde entier. En même temps, de grands bouleversements sociaux surviennent, aussi bien en Europe qu’en Amérique, où la guerre d’Indépendance fait rage. Aucune classe sociale n’est épargnée.

 

C’est le moment où, dans tous les pays, la police se développe de façon considérable. En France, elle pourchasse les ennemis de la Révolution, puis recherche les adversaires de l’Empire, enfin contribue à la consolidation de la Restauration. On est arrivé au règne de Vidocq et de ses semblables, et leurs actions commencent à intéresser le public par le truchement des gazettes. C’est l’époque où les premiers « faits divers » sont jetés en pâture à la curiosité malsaine. Cette fois, toutes les conditions sont réunies pour l’apparition du genre.

 

Le roman policier est le symbole d’une société où les valeurs ont été bouleversées mais qui s’accroche à ses traditions. Le détective, qu’il s’agisse de Sherlock Holmes, du commissaire Maigret, de Philip Marlowe et d’Isaac Sidel, ne remet pas en cause la société au nom de laquelle il agit ; au contraire, il est le plus ardent défenseur de ses lois. C’est un homme d’ordre ; même s’il méprise la pourriture qu’il découvre chez les nantis, les puissants, il est là pour défendre l’idéal de la société bourgeoise. Le succès du policier après les deux dernières guerres mondiales est symptomatique. Il correspond chez le public à un besoin d’ordre, de stabilité, à un désir de retrouver des hiérarchies, de sentir qu’il existe des barrières contre la montée de la pègre.

 

Puis, au fil des années, ses certitudes se sont effilochées. Des traumatismes douloureux lui ont ouvert les yeux ; il devenait de plus en plus évident que la société actuelle ne valait pas mieux que celles qui l’avaient précédée.

 

Jacques Sadoul

 

 

 

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19 septembre 2025

POLARS EN BARRE [54]

"Sans renier la dimension ludique du roman policier, il faut reconnaître que l’intérêt de ce dernier a largement débordé du simple duel entre auteur et lecteur qui fit les beaux jours du roman d’énigme. Avec le roman noir, il est devenu un «outil» de critique sociale et de dénonciation politique, parfois même jusqu’à en perdre sens. Par le biais du roman criminel, il s’est intéressé à la psychopathologie. Il s’est fait le témoin de l’état de nos sociétés, en interrogeant ce qui constitue la part la plus symptomatique de leurs dérives : la criminalité, sous toutes ses formes, des plus organisées aux plus erratiques. Il a joué de nos peurs et de nos nerfs sous le couvert de suspense. Il s’est fait le reflet de ces accès de violence qui, telles des secousses sismiques, viennent briser des vies, des esprits, des âmes, ainsi que n’a trop souvent l’occasion de nous le montrer la colonne des faits divers.

 

[…]

 

Aujourd’hui, le roman policier a droit de cité partout, il est l’objet de colloques et de thèses universitaires, on le célèbre par des prix et des festivals qui ont pignon sur rue. Comme il est loin le temps des invectives contre un genre qu’on ne trouvait rien moins que vulgaire et dégradant…

 

Le roman policier a gagné la bataille non seulement parce qu’il a contaminé la littérature «mainstream» (Robbe-Grillet, Paul Auster, Umberto Eco…), mais aussi parce qu’il a conquis toutes sortes de territoires : le cinéma bien sûr, le théâtre, la BD, la radio (qui ne se souvient des Maîtres du mystère ?) et la télévision qui en fait aujourd’hui une consommation forcenée."

 

Jacques Baudou et Jean-Jacques Schleret

 

 

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18 septembre 2025

POLARS EN BARRE [53]

 

"Tout le monde sait que les noms des stars de cinéma sont gravés sur les trottoirs de Hollywood Boulevard, mais ça fait toujours bizarre quand on le voit. Il y a des carrés de macadam, et sur chaque carré il y a le contour doré d’une étoile à cinq branches, et dans une étoile sur deux il y a le nom d’une vedette. Chaque année, ces noms perdent un peu plus de leur signification. L’idée de ces noms, c’est l’immortalité, mais ce qu’ils révèlent vraiment, c’est la mort."
 
Donald Westlake
 
 
 
 

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17 septembre 2025

POLARS EN BARRE [52]

 

"On pourrait dire qu’à partir d’un certain moment le roman policier ressent comme un poids injustifié les contraintes qui constituent son genre et s’en débarrasse pour se former un nouveau code. La règle du genre est perçue comme une contrainte à partir du moment où elle ne se justifie plus par la structure de l’ensemble. Ainsi dans les romans de Hammett et de Chandler le mystère global était devenu pur prétexte, et le roman noir qui lui a succédé s’en est débarrassé, pour élaborer davantage cette autre forme d’intérêt qu’est le suspense et se concentrer autour de la description d’un milieu. Le roman à suspense, né après les grandes années du roman noir, a ressenti ce milieu comme un attribut inutile, et n’a gardé que le suspense lui-même. Mais il a fallu en même temps renforcer l’intrigue et rétablir l’ancien mystère."

 

Tzvetan Todorov

 

 

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16 septembre 2025

POLARS EN BARRE [51]

 

"Tous ces individus avaient des ambitions personnelles qui faisaient d’eux des personnages exemplaires, des défauts personnels qui faisaient d’eux des criminels, ou des instincts fâcheux qui les amenaient devant la cour d’assises. Le reporter se contentait de les coucher tels quels dans les colonnes de son journal. Le reporter est un être sans passion, qui évite de prendre parti ou de se laisser entraîner par des sentiments violents ― sauf lorsqu’il s’agit de son journal. Il se ferait tuer pour son journal. Avec son journal derrière lui, il se sent la force, la bravoure et l’audace d’un paladin. Sans son journal, il est aussi vulnérable qu’une méduse échouée sur la plage.

— Je suis M. Ross de la Planète.

Ces paroles magiques vous permettaient d’entrer sans crainte dans des bouges qui suaient le crime, de franchir les barrages d’incendie, de pénétrer dans des palais, des tribunaux ou des commissariats de police, de bavarder aussi bien avec le président qu’avec le marchand de pommes du coin, de fréquenter des loges d’artistes ou des taudis…

— Je suis M. Ross…

Cela ne vous menait nulle part. Personne n’avait envie de bavarder avec un quelconque M. Ross. Mais M. Ross de la Planète, c’est tout différent. Bavarder avec lui, c’était s’adresser au monde entier. Les gens s’inclinent devant l’opinion publique, qu’ils soient princes ou clochards, honnêtes ou escrocs. Pas étonnant, songeait Barry, si les vrais reporters regardent de haut toute activité humaine autre que le métier de journaliste."

 

Donald Henderson Clarke

 

 

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15 septembre 2025

POLARS EN BARRE [50]

 

"Comment un univers qui suscite tant l’imagination aurait-il pu être occulté du cinéma ? Si l’écriture crée les contours de la matière astucieuse du polar, le cinéma lui rend hommage, invitant les mots à devenir images, retrouvant la fidélité des personnages révélés par des acteurs hors du commun. Le polar a inspiré le cinéma et le cinéma le lui rend bien !"

[…]

"S’il est né grâce aux histoires de privés rebelles et souvent désabusés, au fil des ans, le roman noir s’est diversifié et chaque nouvelle génération y a imprimé ses préoccupations et ses propres obsessions.

La forme, la structure narrative s’est diversifiée : enquête, mystère, dénonciation sociale, étude de mœurs, voyage initiatique, mal de vivre, le roman noir peut être ceci ou cela. Parfois même, il ne contient ni crime, ni enquête, mais l’essentiel demeure : il continue de parler du monde, de l’individu paumé et des puissances occultes qui le manipulent. Car le noir, c’est une manière particulière de regarder le monde et de le raconter en montrant ce qui se cache sous le tapis, ce qui se dissimule derrière la façade. On y croise rarement des gens heureux car, c’est bien connu, ils n’ont pas d’histoire, et le roman noir raconte toujours une histoire… qui ainsi devient universelle."

 

François Guérif et Claude Mesplède

 

 

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