07 septembre 2025
POLARS EN BARRE [42]
"Les romans policiers sont les Mille et Une Nuits du monde moderne, et quand ils n’auraient que le mérite de recréer maint arabe en veston ou en jaquette écrasé de fatigue, ce serait déjà quelque chose.
Mais il est sans doute possible de leur trouver d’autres mérites. Bulwer Lytton, dans un de ses meilleurs romans, The Coming Race, se demande ce que deviendrait la littérature dans une société parfaitement organisée. Dans l’humanité des sages dont il nous fait le tableau, il n’y a plus ni poésie ni théâtre, car personne n’a plus de sentiments violents ni passionnés. Toutes les lois étant parfaites, il n’y a plus de revendications collectives ni individuelles, et par conséquent, plus de romans ni de pamphlets pour les exprimer. Bref, dans cette société utopienne, il n’y a plus de place pour la littérature, ni pour les littérateurs.
Bulwer ne parle pas de ce que deviendrait le detective novel. Et sans doute, il n’y aurait pas de place non plus pour le roman policier dans une telle société, puisque l’on n’y rencontre plus ni voleurs ni police. Remarquons cependant que ce que le roman policier emprunte aux exploits de la véritable police est réellement peu de chose, et que si un genre littéraire avait quelque chance de subsister dans cette société de gens trop sages, ce serait une forme voisine de celle de la nouvelle policière élaborée par Poe, s’adressant surtout et même exclusivement à l’intelligence.
Car le detective novel, le vrai, (et non le penny dreadful avec lequel on le confond trop souvent) s’adresse avant tout à l’intelligence ; et ce pourrait être pour lui un titre de noblesse. C’est peut-être, en tout cas, une des causes de la faveur dont il jouit. Un bon roman policier possède des qualités d’harmonie, d’organisation intérieure, d’équilibre, qui répondent à certains besoins de l’esprit, besoins que la partie de la littérature moderne qui se pique d’être la haute littérature néglige trop souvent pour se livrer à des débauches de sentimentalité ou d’érotisme. Au sortir de certaines lectures c’est presque un soulagement de suivre pas à pas la muse pédestre d’un Dr Watson."
Régis Messac
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06 septembre 2025
POLARS EN BARRE [41]
" — La littérature policière, c'est quoi pour vous ?
— Dorothy Belle Hughes : de la littérature."
Polar, Printemps 1983
♦♦♦
"Assurément, la révolte individuelle effraie bien moins que la révolte collective, mais elle n’en rend pas moins compte à sa façon des malaises d’une époque qui accumule les trahisons des promesses républicaines — ce que perçoit aussi une partie de la bourgeoisie… C’est en ces temps où se répète, comme indéfiniment, la mise à mort des espérances de justice sociale que s’affirment le roman policier et ses lecteurs. Si Edgar Allan Poe fut l’inventeur du genre avec Double Assassinat dans la rue Morgue, en 1841, Les Mystères de Paris, d’Eugène Sue (1842-1843), enquête dans les bas-fonds, ont incomparablement plus d’écho. Ces ouvrages dessinent les deux grandes voies que prendra le genre : roman noué sur une énigme, roman à imaginaire politico-social — qu’on appellera plus tard le « polar ». Ambiances radicalement différentes, pourtant l’énigme n’est que la version plus ou moins aseptisée, intemporelle et dépolitisée, de ce qui anime le polar : le désir d’accéder à la vérité cachée, de faire tomber le mensonge et advenir la justice, voilà toujours ce qui fait vibrer le détective. Mais, dans le polar, les crimes ne relèvent plus de la (seule) psychologie. Ils sont ancrés dans un monde où les crapules et les manipulateurs sont au pouvoir. Pas de grand justicier qui nettoie définitivement le « mal ». Le coupable est pluriel, le mal n’est pas individuel, mais politique, social, institutionnel. Au mieux, on en démonte quelques rouages, on rend visible sa violence, souvent métaphoriquement : avec les durs à cuire (abrités par la « Série noire »), avec la constellation du « néo-polar » (Jean-Patrick Manchette, etc.), avec les évocateurs de meurtres quasiment effacés par le récit officiel (Didier Daeninckx, Dominique Manotti)…"
Évelyne Pieiller
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05 septembre 2025
POLARS EN BARRE [40]
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"Elle sourit vaguement. Elle pouvait avoir trente ou trente-cinq ans. Elle avait l’œil marron et le visage délicat. Son sourire vague découvrit peu à peu ses dents qui étaient petites et régulières. Roucart s'avançait vers elle en l'appelant sa chère enfant et il avait la voix paternelle cependant que ses gros yeux bleus parcouraient sans cesse la silhouette mince de la jeune femme, et il s'étonnait hautement de la voir ici, d'abord elle ne chassait jamais, ensuite elle avait fait ses adieux à tout le monde hier après-midi et elle était partie en taxi à la gare.
— Pour une surprise, c'est une surprise, une bonne surprise ! clama-t-il et elle prit en main le calibre 16 et le tourna vers lui et avant même qu'il eût cessé de sourire elle lui vida les deux canons dans le buffet.
Ensuite il était étendu sur le dos contre la pente pleine de feuilles pourries. Il avait des trous plein le torse et sa veste kaki était remontée sous son menton à cause du choc et sa chemise à carreaux était à moitié sortie de son pantalon. La tête nue de Roucart était penchée et tournée sur un côté, sa joue reposait dans la boue, ses yeux et sa bouche étaient ouverts, sa casquette était par terre, retournée. De la salive miroitant dans sa bouche, l'homme eut une petite contraction de la paupière et puis mourut. Dans le lointain s'entendit le bruit bénin de trois coups de feu. La jeune femme s'en alla."
Jean-Patrick Manchette
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04 septembre 2025
POLARS EN BARRE [39]
"Sous un soleil brillant d’automne, je remontai dans ma voiture. J’étais le gentil mec qui tâchait de se débrouiller pour s’en tirer. Oui. J’étais un gars comme ça. J’étais content de me connaître. J’étais le genre de type qui arrachait à une vieille épave à moitié pourrie ses plus chers secrets pour gagner un pari de dix dollars."
Raymond Chandler
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03 septembre 2025
POLARS EN BARRE [38]
"Soudain, il la serra contre lui, farouchement, toute sa souffrance réveillée, il ferma les yeux très fort. Elle s’écarta doucement de lui, puis le regarda avec toute la candeur d’un très jeune enfant.
— Pourquoi on est venu ici, Papa ? demanda-t-elle.
Et parce que son petit visage et ses yeux étaient si francs, et parce qu’il n’avait jamais menti à sa fille pendant sa courte vie de neuf ans, il soutint son regard et murmura :
— Parce que je crois que ta maman a été assassinée, Penny."
Ed McBain
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02 septembre 2025
POLARS EN BARRE [37]
"J’ai secoué la tête :
― Rien ne se règle jamais tout seul.
On est resté un long moment plantés tous les deux devant la fenêtre, sans rien dire. La radio, de l’autre côté de la cour, avait fini par s’éteindre, et la nuit était très paisible. Et, pourtant, dans toutes les rues et les avenues de la ville, la police était à nos trousses."
Steve Fisher
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01 septembre 2025
POLARS EN BARRE [36]
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"Il est inutile d’insister sur la perception du roman policier comme sous-littérature : elle est tellement ancrée dans nos mœurs, en portent témoignage les propos de tant de critiques et d’écrivains «respectables», ainsi que, souvent, ceux des auteurs «policiers» eux-mêmes, que l’on peut honnêtement la considérer comme un fait acquis.
Toutefois, ce fait acquis correspond étrangement à ce qui semble bien constituer une caractéristique intrinsèque du genre. Car loin d’avoir été formulé après la naissance de celui-ci, sur la base d’une appréciation globale et empirique, le jugement reléguant le roman policier dans le domaine «para-littéraire», tout comme l’association du genre au jeu, survint au moment même de cette naissance. Mieux : la désapprobation constitua, dès l’abord, une composante essentielle du propos isolant le «detective story» de la «bonne» littérature.
(…)
D’une certaine manière, l’on pourrait même se demander si le roman policier n’est pas rejeté précisément parce qu’il s’agit d’un genre. Dans une telle perspective, l’aspect «mauvaise littérature» ne constituerait nullement un jugement de valeur, mais bien un décret proprement constitutif du genre. Il ne s’agirait pas d’une catégorie comportant un grand nombre de mauvais échantillons, mais bien d’une mauvaise littérature parce que constituée en catégorie.
(…)
C’est dès sa naissance que le roman policier semble ainsi promis à une destinée singulière. On ne l’observe pas parce qu’il existe, — il vient à l’existence dans la mesure où l’on en parle. Et c’est a priori qu’on ne le perçoit que comme antithèse de ce qui est, par définition, la seule forme d’écriture digne d’être remarquée, la bonne, vraie littérature."
Uri Eisenzweig
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31 août 2025
POLARS EN BARRE [35]
"Il me coupa la parole.
— La loi, c’est moi qui l’ai faite dans le comté de Tangerine pendant des années, et vous voyez ce que ça a donné. La loi est aussi pourrie que moi, Frank. On ne peut plus compter sur la loi. C’est vieux jeu, c’est passé de mode. Nous l’avons tellement déformée et tournée à notre avantage, le général et moi, qu’elle a les reins brisés."
Don Tracy
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