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17 avril 2015

Amour et révolution

Leon-Trotsky-with-Frida-K-001.jpg« Un amour de Frida Kahlo », un titre auquel l’éditeur a finalement préféré un plus vendeur ( ?)  « Les amants de Coyoacan », est le dernier roman en date de Gérard de Cortanze.

On l’aura deviné : nous nous retrouvons dans le Mexique des années trente, celui de la grande artiste-peintre Frida Kalho, une forte et belle personnalité, aux relations amoureuses tumultueuses, à commencer par son propre mariage avec le réputé peintre muraliste Diego Rivera.

Toutefois, le véritable fil conducteur du livre est la liaison dévorante de Frida avec un hôte qu’ils accueillirent en 1937 dans leur célèbre « Maison bleue » (Casa azul),  à Mexico. Un réfugié politique privé de visa planétaire : Léon Trotsky.

Cette liaison fut à l’origine d’une sévère crise au sein du couple des vieux révolutionnaires russes, Trotsky devant même se séparer pendant une courte période de sa compagne,  Natalia Ivanovna Sedova (1).

Une liaison certes connue. Mais nous disposons aujourd’hui encore d’informations limitées concernant cet aspect de l’histoire dans sa version « people » , tant les témoins directs et les biographes furent assez peu diserts à ce sujet (2).

Que cela ne tienne : le narrateur a ainsi les coudées franches pour laisser libre cours à sa fantaisie et consacrer plus de 300 pages à une passion amoureuse haute en couleur.

Le ton est vite donné. Dès le débarquement des Trotsky à Tampico, leur première rencontre avec Magdalena Carmen Frida Kahlo et leur installation dans sa demeure : « C’est donc ici que tout commence, dit Natalia. Léon ne répondit pas. Il pensait au parfum de Frida. Il avait déjà croisé des femmes qui le portaient mais sur elle il sentait différemment : Shocking, de Schiaparelli. Tout homme sensible à la beauté féminine connaissait l’histoire du célèbre flacon sculpté par Leonor Fini, qui s’était inspiré du buste de Mae West… ».  La sculpturale actrice nord-américaine, rien de moins !

D’autres drôleries parsèment les pages du roman : ainsi, Trotsky se faufilant pour rejoindre incognito Frida, vêtu d’une chemise à fleur et d’un original couvre-chef. Comme un hippy des temps à venir, la barbe en moins car rasée pour la circonstance afin de ne pas être repéré par d’éventuels agents de la Guépéou !

Naturellement, tout n’est pas aussi amusant. L’auteur a étudié son sujet, et la création romanesque n’occulte pas la réalité historique.

Le constant va-et-vient entre la fiction et les événements historiques peut d’ailleurs être déconcertant pour qui connait peu cette époque troublée du siècle dernier.

Néanmoins,  c’est la vitalité de Frida la « passionnée » qui anime de Cortanze. Non seulement elle s’entiche de Léon, mais elle connaitra de multiples et chaudes « aventures », du secrétaire le plus proche de Trotsky au poète Benjamin Péret, sans oublier une trouble « amitié amoureuse » avec… un certain Frank Jacson (alias Jacques Mornard), le futur assassin du révolutionnaire exilé !

Finalement, il nous décrit une Frida dialoguant avec le fantôme de Trotsky,  jusqu’à sa mort, en juillet 1954.

Peu importe ici la crédibilité   -toute relative (doux euphémisme)-   de ce que veut nous restituer l’écrivain. Il suffit de se laisser emporter par l’imaginaire débridé de l’auteur, tout en sirotant un bon verre… de ce que vous voulez !

Ce n’est évidemment pas le seul roman qui accorde une place importante à l’artiste mexicaine et/ou au théoricien de la révolution permanente (3), ni surtout le plus talentueux (4).

Reste un ouvrage agréable à lire, qui divertira les admirateurs de Frida et/ou de Léon, peut-être enclins à terminer cette période de vacances scolaires par un chouia de romantisme « rouge »…

 

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Notes

 

(1)     Léon et Natalia Trotsky, Correspondance 1933-1938, Gallimard, Paris, 1980

(2)    Isaac Deutscher élude largement cet épisode : « On ignore si l’exceptionnelle beauté délicate de Frida et son âge suscitèrent en Trotsky plus que de la galanterie normale ou si Natalia qui avait maintenant cinquante-cinq ans, tomba victime de la jalousie qu’on éprouve souvent dans l’âge mur. Qu’il nous suffise de dire qu’une crise s’ensuivit et que Trotsky et Natalia furent tous deux malheureux et misérables » (Trotsky, Le prophète hors-la-loi, UGE 10/18, Paris, 1980, page 514). Jean Van Heijenoort, témoin direct, lèvera plus tard un coin du voile pudique : « Ceci se passait quelques semaines après la fin des audiences de la Commission Dewey. Fin juin, la situation devint telle, que ceux qui se trouvaient tout près de Trotsky commençaient à s’inquiéter. Natalia souffrait. Diégo, lui, ne se doutait de rien. C’était un homme d’une jalousie maladive et le moindre soupçon de sa part aurait provoqué une explosion. On imagine le scandale et les graves répercussions politiques » (Sept ans auprès de Léon Trotsky, Les Lettres Nouvelles/Maurice Nadeau, Paris, 1978, page 165). Pour sa part, dans son excellente biographie, Pierre Broué indique que « ce flirt devient au mois de juin une liaison qui provoque bien des tempêtes :  même si personne n’est au courant de leurs rencontres secrètes dans l’appartement de Christina, la sœur de Frida, rue Aguayo, on le soupçonne dans leur entourage » (Trotsky, Fayard, Paris, 1988, page 844). Plus explicite, Alain Dugrand : « La vie est surprenante, le hasard provoquant, mais la passion, feu de paille ou jeu de curiosité, embarqua ces deux-là dans un fol amour clandestin (…). Comme dans toutes les comédies, l’amour se joue côté cour. Natalia souffre, les compagnons de lutte et proches maugréent, ils craignent le scandale. C’est que dans le confinement de l’exil, il n’est pas simple de s’abandonner aux frémissements des corps. Et puis, comme le résume Vlady, ‘le puritanisme dans le mouvement marxiste-révolutionnaire était et demeure’ » (Trotsky Mexico 1937-1940, Payot, Paris, 1988, pages 40-41).

(3)    Notamment des romans policiers, ce qui n’est pas insolite au vu du destin tragique de Trotsky. Par exemple : Richard Hoyt, Trotski se fait la paire, Gallimard, Série Noire, Paris, 1983 ; Paco Ignacio Taibo II, A quatre mains, Rivages, Paris, 1992 ; Jean-François Vilar, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, Seuil, Paris, 1993 ; Gregorio Leôn, L’ultime secret de Frida K., Les Escales, Paris, 2012.

(4)    Les deux œuvres incontournables sont : Barbara Kingsolver, Un autre monde, Payot/Rivages, Paris, 2010 et Léonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens, Métailé, Paris 2011. Deux des quatre ou cinq plus grands romans que j’ai pus lire au cours de la dernière décennie !

 

 

Gérard de Cortanze, Les amants de Coyoacan, Albin Michel, Paris, 2015, 20,90 €

 

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