24 avril 2018
Le fil rouge de 1968 à 2018
Quel est le point commun entre Daniel Cohn-Bendit et Romain Goupil, Roland Castro et Alain Geismar, Jean-Pierre Le Dantec et Serge July, Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner ?
Tous ont été des «contestataires» en mai 1968, des militants ou compagnons de route du «gauchisme», et souvent même des figures de proue du mouvement de l'époque. Et depuis, tous ont renié leurs engagements pour se rallier au (dés-)ordre du capital.
Il y a 50 ans, ils découvraient la plage sous les pavés ; depuis, ils y ont trouvé le marché, la «mondialisation heureuse» du néo-libéralisme, la «concurrence libre et non faussée» chère à l'Union européenne.
Sans surprise donc, ces «révolutionnaires» défroqués ont soutenu Macron lors de l'élection présidentielle de 2017, en France. Et aujourd'hui, pour la plupart, ils invectivent régulièrement Jean-Luc Mélenchon et ses amis. Car les «Insoumis» incarnent en 2018 ce qu'ils furent en 1968, et qu'ils ont renié : une opposition au mode de production et de consommation capitaliste, un mouvement qui combat l'oligarchie financière et qui ne veut rien céder aux dominants.
Gérard Miller, ancien militant de l'UJCml [1], retrace d'une écriture alerte les trajectoires et les turpitudes politiques actuelles de certains de ces individus qui ont basculé de la rébellion à la soumission [2].
Il rappelle aussi, à juste titre, que quelques figures médiatiques ne doivent pas occulter l'essentiel : la majorité des acteurs de 68 est restée fidèle, d'une manière ou d'une autre, à ses engagements et aspirations de jeunesse ; dès lors, il serait sot de stigmatiser une prétendue «génération» pour être passée de la lutte pour changer la vie et transformer le monde à la résignation, résumée par la sentence de Thatcher selon laquelle «il n'y a pas d'alternative» !
Miller a lui aussi vieilli et perdu quelques certitudes, mais il n'a pas oublié ses idéaux ou renoncé à ses convictions. Voilà pourquoi, il soutient Mélenchon. Sans barguigner mais sans un quelconque «culte de la personnalité».
«Alors, que l'on ne se méprenne pas davantage sur mon mélenchonnisme de 2018. 'il n'est pas de sauveurs suprêmes. Ni Dieu, ni César, ni Tribun' -je n'ai pas oublié les paroles de l'Internationale que je chantais en mai 68. Du coup, même si je connais bien ledit Jean-Luc et que ce sont aussi ses qualités humaines que j'apprécie en lui, ce qui m'importe ce n'est pas le bonhomme, c'est ce dont il est lui aussi le signifiant. Mélenchon, c'est le type qui dit non, celui qui ne se laisse pas faire, celui qui n'écoute pas ces voix obscènes qui susurrent au révolté : 'Mets un peu d'eau dans ton vin et nous le boirons volontiers avec toi'. Je me moque de savoir si le leader de la France Insoumise serait tellement plus présentable s'il se calmait un peu, tellement plus audible s'il était moins intransigeant, tellement plus ceci, tellement plus cela. On ne le changera pas, et d'ailleurs, c'est la société qu'il s'agit de changer, pas lui ! Lui, il est comme il est, et c'est quand même parce qu'il est comme il est qu'il a réussi ce qu'aucun leader contestataire n'avait réussi depuis des lustres (...) : donner autant de couleurs à la gauche et, plus largement, à tous ceux qu'indigne le monde dans lequel nous vivons. Car c'est là ce qui relie également Mélenchon au mouvement de Mai (...)».
Et de boucler avec panache son bouquin : «Alors, c'est l'heure, on compte jusqu'à trois, et à trois on souffle. On souffle sur les cinquante bougies de Mai 68 et, histoire d'être à la hauteur de notre réputation, on souffle un peu plus fort encore sur tous ceux que l'enragé, à l'unisson du poète, essayera toujours de fuir : les grands, les fiers, les prospères, les puissants, mais aussi bien tous les hommes faux, tous les coeurs morts, tous les passants froids, tous ceux qui pour de vains résultats font de vains efforts et qui veulent exister mais pas vivre. Est-ce du Robespierre ? Du Hugo ? Du Mélenchon ? Allez savoir. En tout cas, 'ceux qui vivent sont ceux qui luttent'».
C'est en effet une belle conclusion. Je la signe volontiers.
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[1] Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes, une organisation étudiante maoïste qui éclatera par la suite. Une minorité créera, avec d'autres, la Gauche prolétarienne.
[2] Miller Gérard, Mélenchon, Mai Oui, 1968-2018, Paris, Seuil, 2018 .
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