28 mai 2019
Grain blanc, marée noire, vague verte et mistral rouge !
Quel bilan 48 heures après l'élection du Parlement européen, de la Chambre des représentants et des Parlements régionaux ?
A. Les vainqueurs
A'. D'abord, et cela peut paraître un paradoxe dans un pays où le vote est obligatoire, les abstentionnistes : 1,39 millions d'électeurs (sur les 8,2 millions potentiels) ont refusé de soutenir un parti, soit parce qu’ils ne se sont pas déplacés pour aller voter, soit parce qu’ils ont voté blanc ou nul ! Ce qui représente près de 17 % de l'électorat, un chiffre supérieur au score de la N-VA ! A noter d'ailleurs que cette «abstention» massive a été plus forte au sud du pays, particulièrement dans les provinces du Hainaut et de Liège. A noter également que cette «désertion civique» s'accroît d'élection en élection, indice parmi d'autres d'une «crise de la représentation politique». Un grain qui décoiffe...
A''. Le Vlaams Belang (ex- Vlaams Blok, VB). Sa nette victoire est la plus mauvaise nouvelle de ce triple scrutin ! Les fascistes deviennent ainsi la deuxième force en Flandre derrière la N-VA, et la troisième au Parlement fédéral ! Une marée noire d'autant plus inquiétante que Bart De Wever, lui-même président du très à droite principal parti de Flandre, a immédiatement ouvert la porte à des discussions entre les deux composantes les plus radicales du nationalisme flamand !
A'''. Ecolo et Groen. Ce n'est pas une surprise tant les sondages et les «observateurs avertis» prédisaient une «vague verte» portée par les mobilisations pour le climat. Néanmoins, point de tsunami, surtout au Nord où le parti de Kristof Calvo -bien qu'en progrès- reste à bonne distance de la N-VA et se fait doubler par le VB ! Ecolo s'empare de la seconde place à Bruxelles (derrière le PS) et de la troisième en Wallonie (derrière le PS et le MR). Une déception pour son état-major, bien qu'il s'en défende devant les caméras...
A''''. Last but not least, le PTB-PVDA qui progresse partout et qui enverra pour la première fois de son histoire des élus au Parlement flamand et au Parlement fédéral ! Ce vent de tempête «rouge» qui se lève en inquiète beaucoup et pas seulement à droite ! La petite musique renvoyant dos-à-dos les «extrêmes», qui se fait entendre depuis dimanche soir, est d'ailleurs très révélatrice de ce frisson qui parcourt l'establishment et les partis installés...
B. Les battus
B'. La N-VA. Certes, elle reste le premier parti de Flandre et de l'Etat Belgique, mais perd voix et sièges. Un petit camouflet pour la bande à Bart, sérieusement concurrencé sur sa droite...
B''. Les partis des trois grandes familles traditionnelles. Tous dégringolent de manière significative. Se confirme ainsi une tendance dans le temps long. Séparément, plus aucun de ces partis ou plus aucune de ces familles n'est désormais incontournable ! Le PS sauve l'essentiel en arrivant en tête à Bruxelles et en Wallonie, mais néanmoins il réalise son score historiquement le plus bas. CD&V et Cdh sont frappés d'anémie, et les libéraux ont pris une claque bien méritée !
B'''. La «liste Destexhe», le PP et les groupuscules de l'extrême-droite francophone, qui ne disposeront pas du moindre élu.
C. Les premières conclusions
C'. Le «dégagisme» a emporté les majorités politiques sortantes et sanctionné à nouveau les «partis traditionnels». Toutefois, ceux-ci occupent toujours une place centrale sur les différents échiquiers politiques de l'Etat fédéral et des régions, et ils restent donc incontournables pour constituer des majorités.
C''. Le verdict des urnes indique sans surprise un «confédéralisme des résultats» ! Au nord, avec le triomphe du VB et malgré l'arrivée de premiers élus du PVDA, le «centre de gravité politique» se situe encore plus fortement «à droite». Au sud, avec la solide poussée du PTB combinée au bond d'Ecolo, le «centre de gravité politique» se déplace plus «à gauche».
C'''. Cette configuration asymétrique va évidemment rendre difficile la formation d'un gouvernement fédéral. Bien que se tassant, la NVA garde le leadership et l'irruption du VB renforce encore sa volonté nationaliste. De Wever l'a d'ailleurs très bien compris : il annonce qu'il ne veut pas gouverner avec les «écolo-communistes» (sic), non seulement avec le PTB (il n'existait ici aucun risque !), mais surtout avec Ecolo et le PS ; dès lors, il brandit le spectre d'un puissant front flamand qui mettra le «confédéralisme» à l'agenda ; et pas question pour lui d'une coalition gouvernementale où les Flamands seraient minoritaires dans leur propre communauté (comme les Francophones l'étaient pourtant dans le gouvernement Michel !)...
C''''. La «question nationale», que d'aucuns (à droite comme à gauche) s'efforcent de chasser par la porte depuis des décennies, finit toujours par revenir par la fenêtre ! Les différentes «réformes institutionnelles», particulièrement alambiquées, n'ont pas éradiqué la revendication autonomiste. Mais pourquoi faudrait-il craindre la concrétisation d'un principe démocratique essentiel comme celui du «droit à l'autodétermination» ? Il y a dans l'Etat Belgique deux peuples et deux réalités sociologiques divergentes. Ce serait une erreur d'ignorer cette évidence en Wallonie et de refuser de réfléchir à un «plan B». Mais, in fine, il n'y aura pas à l'avenir d'«autonomie» possible des régions sans un engagement populaire majoritaire, ce qui est loin d'être acquis pour le moment...
C'''''. Toujours est-il qu'il faudra énormément de temps pour connaître le successeur de Charles Michel à la tête du pays ! On ne peut d'ailleurs exclure, à terme, un retour aux urnes anticipé ! Mais dans ce cas de figure, quel «signal donné à l'électeur» ! Et quel pari dangereux car une nouvelle élection pourrait profiter plus encore au vainqueur d'hier, le VB, ce qui rendrait la situation de plus en plus inextricable. Avec à la clé une «crise de régime» ?
C''''''. Il en va autrement dans les entités fédérées où de nombreuses formules existent. Mais quelles seront les priorités et quelles seront les options retenues pour les partis qui «ont la main» ? La N-VA franchira-t-elle le Rubicon en constituant une majorité avec le VB et un troisième larron ? Et dans ce cas de figure, qui lui emboîtera le pas ? L'Open-Vld ? Un tel Exécutif compliquerait assurément la négociation d'un accord avec les Wallons et les Bruxellois ! Et en Wallonie, pourrions-nous voir se construire une «union des gauches» comme le souhaite la FGTB ? Peu probable, quand on entend déjà un Elio Di Rupo prendre ses distances devant cette perspective ! Quant aux Verts, ils ont peu d'exclusives et sont prêts à négocier avec les uns et les autres, ce qui n'est pas nécessairement rassurant !
C'''''''. La grande satisfaction de ce dimanche est naturellement le succès important du PTB-PVDA. Il passe de 2 à 12 sièges au Parlement fédéral, avec des élus de toutes les régions. Au total, dans les différentes assemblées parlementaires, il gagne 35 sièges (de 8 à 43!). 584 621 électeurs et électrices ont émis un suffrage en sa faveur, soit 8,62 % de l'ensemble de l'électorat. Bien sûr, cela reste forcément minoritaire. Mais qui aurait pu imaginer, il y a quelques années, que la «gauche radicale» s'installerait de manière durable dans notre paysage politique institutionnel ? Reste maintenant la question de l'utilisation de ce succès ! Clairement, le PTB ne dispose guère d'atouts en la matière. Il n'est indispensable nulle part et surtout, son programme et ses justes principes -le rejet d'alliances avec les droites et le refus de compromissions qui le conduiraient à endosser des politiques libérales, et à renier ses engagements !- rendent très peu probable son entrée dans des majorités.
C''''''''. Indépendamment des péripéties à venir, les enjeux environnementaux, démocratiques et sociaux demeurent. Le temps, qui fuit inexorablement, accroît chaque jour l'urgence de solutions. De toute manière, aucune illusion à entretenir : quelle que soit la composition de futurs exécutifs, des mauvais coups supplémentaires contre le plus grand nombre sont à craindre. Les mobilisations et les luttes seront par conséquent toujours d'actualité. Mieux vaut en être conscients et ne pas miser sur d'éventuels changements d'attelage, que ce soit au niveau fédéral ou régional, pour obtenir un répit...
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