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28 novembre 2020

IMAGINAIRE(S) [98]

 

tardi.jpg"Je n’avais pas eu besoin d’expliquer l’accident -si l’on peut dire ! Plusieurs versions circulaient déjà, plus belles que celle que j’aurais pu inventer. Je n’avais pas à jouer l’homme démoralisé et accablé. On m’assura que je l’étais.

Une délégation de citoyens m’apporta des vêtements de deuil le mardi après-midi. Rufe Waters, le shérif, Web Clay, le juge d’instruction, et deux membres de la Chambre de Commerce m’emmenèrent au dépôt mortuaire en conduite intérieure. Rufe et Web m’entraînèrent dans la chapelle pour contempler le cercueil  -mais pas l’intérieur- puis ils me firent sortir immédiatement.

La plus grande partie du service se déroula sans moi, parce qu’on m’avait trouvé trop touché et que l’on m’avait installé dans la petite salle de repos. On me fit avaler deux verres d’alcool pour me remettre, et on m’allongea sur le divan. Une fois le service terminé, on vint me chercher."

 

[Jim Thompson, Cent mètres de silence, 1949]

27 novembre 2020

IMAGINAIRE(S) [97]

 

tardi.jpg"La folle du premier étage recommença, à rire, d’un rire aussi stupide, aussi morne que le rire de la hyène.

Joe, la tête enfoncée dans les épaules, comme s’il se fût attendu à recevoir un coup sur la nuque, se hâta le long du couloir sombre et descendit l’escalier qui menait au sous-sol. Il fut heureux de retrouver enfin la chambre qu’il partageait avec Sam Garland, le chauffeur du docteur Travers. Garland, en bras de chemise, était étendu sous une couverture sur son petit lit de camp. Son large visage réjoui était tourné vers le plafond, et ses yeux clos.

− Quelle nuit ! s’exclama-t-il quand Joe entra. Je ne me souviens pas d’en avoir vu de pire cette année !

− Ni de plus lugubre ! ajouta Joe, s’approchant de la cheminée pour se laisser tomber dans un fauteuil. Y a là-haut une bonne femme qui braille et qui rit à vous donner la chair de poule. Ça me porte sur le système."

 

[James Hadley Chase, La chair de l’orchidée, 1948]

26 novembre 2020

IMAGINAIRE(S) [96]

 

tardi.jpg"Je m’arrête. Elle me laisse planté là pendant qu’elle finit son porto, pose le verre sur la table et le remplit à nouveau. Puis elle se tamponne les lèvres avec son mouchoir. Et enfin, elle parle. Le ton de sa voix  −baryton un peu rêche−  ne vous donne pas envie de badiner.

− Asseyez-vous, monsieur Marlowe. Je vous en prie, n’allumez pas cette cigarette. Je suis asthmatique.

Je prends place dans un fauteuil à bascule en rotin et je fais disparaître la cigarette en souffrance derrière ma pochette.

− Je n’ai jamais eu affaire à un détective privé, monsieur Marlowe. J’ignore tout de cette profession. Vos références me semblent satisfaisantes. Quel est votre tarif ?

− Pour faire quoi, madame Murdock ?

− Il s’agit évidemment d’une affaire très confidentielle. Rien à voir avec la police. Si c’était une affaire qui concerne la police, c’est à la police que je me serais adressée.

− Je prends vingt-cinq dollars par jour, madame Murdock. Plus les frais évidemment.

− Cela me paraît cher. Vous devez gagner beaucoup d’argent.

Elle s’envoie une autre lampée de porto. Je n’aime pas le porto par temps chaud, mais c’est agréable de pouvoir refuser.

− Non. Ce n’est pas cher, je lui dis. Evidemment, il y a des détectives à tous les prix. Comme des avocats. Ou des dentistes. Mais je ne suis pas une société. Je travaille seul et je ne prends qu’une affaire à la fois. Je cours des risques, de très gros risques parfois, et je ne travaille pas tout le temps. Non, je ne pense pas que vingt-cinq dollars par jour ce soit trop demander."

 

[Raymond Chandler, La grande fenêtre, 1942]