22 février 2020
26 mai, les jours d'après (XXV)
Allo, Raoul, allo quoi !
A propos d'un entretien "haut en couleur" accordé par le porte-parole du PTB-PVdA à Sud Presse :
1°) Le ‘’gros problème en Belgique’’, ce ne sont pas les réformes de l’Etat et le ‘’bordel’’ qui en découlerait (même s’il y a beaucoup à dire concernant le long chantier institutionnel en cours) ! Le principal ‘’problème’’ est que la Belgique est un pays capitaliste, solidement ancré dans une Union européenne du capital et de la finance, un pays gouverné par des partis qui placent leur action dans un cadre (néo-)libéral et qui sont respectueux des traités et diktats européens !
2°) L’absence d’un arbitre comme ‘’en Allemagne avec les länder’’… Il y aurait donc ‘’une autorité fédérale qui manque chez nous’’ ? Cette ‘’autorité’’, chez nos voisins, est celle du très à droite gouvernement… Merkel ; et si ce modèle existait en Belgique, cette autorité aurait été, lors de la précédente législature, celle de la coalition N-VA-MR ! Pas sûr que cela aurait été bénéfique pour qui que ce soit !
3°) Il n’existe pas un ‘’peuple belge’’ mais deux peuples -flamand et wallon- qui coexistent dans un même cadre étatique ! Pourquoi ce déni ? Et pourquoi nier des diversités, qui sont une caractéristique positive du monde, au profit d’une conception uniformisante ?
4°) ‘’80 % des Flamands ne veulent pas de la scission du pays’’, mais près de 50 % votent pour la N-VA et le VB (et ici il ne s'agit pas d'un ''sondage''...) ! Et les autres partis de droite, le CD&V et l’Open Vld, ne sont pas spécialement des partis nostalgiques de la ‘’Belgique de papa’’ ! Tout le monde se souvient encore d’Alexandre De Croo ‘’débranchant la prise’’ sur la question de BHV, qui entraînera ensuite la séquence des 541 jours de négociations pour la formation d’un gouvernement !
5°) ‘’La scission des partis a créé la division du pays, pas le contraire’’. Totalement inexact ! La ‘’question nationale’’ (et la naissance du ‘’mouvement flamand’’ qui a mené un combat légitime, notamment sur la ‘’question linguistique’’) est aussi vieille que la Belgique ! Les tensions ‘’communautaires’’ et trajectoires politiques divergentes entre le Nord et le Sud précèdent l’éclatement des partis et en sont d’ailleurs largement la cause. La ‘’question royale’’, les événements liés à la ‘’grève du siècle (60-61)’’, les conflits concernant l'instauration d'une ''frontière linguistique'' ou le ''Wallen Buiten'' de Leuven -pour ne pas remonter au-delà de la seconde guerre mondiale- ont éclaté alors que les trois grandes familles politiques (socialistes, libéraux, sociaux chrétiens) étaient structurées dans des partis ‘’unitaires’’ !
6°) Se plaindre parce que le PTB n’est pas invité par le roi, clé de voûte d’une dynastie archaïque et parfaitement antidémocratique (qui, soit dit en passant, coûte bien plus aux citoyen(ne)s que les ‘’salaires des ministres’’ !), est pour le moins curieux. Le PTB ferait mieux de faire entendre sa voix pour dénoncer avec force le caractère illégitime de la monarchie et affirmer une perspective républicaine ! Il ne suffit pas de se réclamer de Julien Lahaut…
7°) Une "diminution du nombre de ministres" ne résoudrait rien, car ces ministres (moins nombreux) seraient membres des mêmes partis qui impulsent les mêmes politiques austéritaires et qui escamotent la gravité de la ‘’crise du réchauffement climatique’’. Les mesures antisociales des 5 dernières années (et toutes celles qui ont précédé !) ont été prises par un seul gouvernement -le gouvernement fédéral- avec des ministres disposant des attributions nécessaires. Il n’y a pas eu besoin de ‘’concertation’’ avec les entités fédérées (et d’accord avec leurs ‘’nombreux ministres’’ !) pour décréter un saut d’index, retarder l’âge légal de la retraite à 67 ans, augmenter le taux de TVA de l’électricité de 6 à 21 % ou bloquer les augmentations salariales ! Dès lors, essayer de faire croire à la population qu’il s’agit d’une question clé qui pourrait résoudre ses difficultés relève du registre démagogique !
8°) Il n’existe pas ‘’deux démocraties en Belgique’’ ? Il existe, à tout le moins, deux configurations politiques très différentes : le centre de gravité se situe très à droite en Flandre et plus à gauche en Wallonie ! Les résultats des élections qui se succèdent depuis des décennies sont irréfutables à cet égard ! Aujourd’hui, au Parlement flamand, droite et extrême-droite représentent les quatre groupes les plus importants de l’hémicycle et rassemblent 93 députés sur 124 ! Alors qu’en Wallonie PS, ECOLO et PTB sont majoritaires (45 sièges sur 75 !). Tous les discours ‘’généralistes’’ sur ‘’les Flamands qui veulent la même chose que les Francophones’’ ne peuvent occulter cette réalité ! Plutôt que de se cacher derrière un ‘’belgicanisme’’ obstiné, le PTB devrait prendre en compte l’intérêt stratégique de concrétiser le ‘’droit démocratique des peuples à l’autodétermination’’. Une Wallonie autonome constituerait un ‘’maillon’’ plus faible (du point de vue du capital), car il y existe un meilleur rapport de forces pour la mise en oeuvre de politiques progressistes et pour avancer dans un processus de rupture avec le capitalisme ! Même si évidemment cela ne sera pas simple, comme toute l’histoire des luttes anticapitalistes le démontre…
Il est, par conséquent, dommage que le PTB s'abandonne à de telles prises de positions hasardeuses (?), alors qu’il mène tant de justes combats, notamment concernant les questions socio-économiques ou sociétales, sur lesquelles ses parlementaires font vraiment un bon boulot.
Mais sans doute pense-t-il que ce positionnement rencontre une aspiration populaire existante et ne peut donc que renforcer sa ‘’popularité’’ et ses futurs résultats électoraux (d’où l’appel à de nouvelles élections !) ?
A court terme, il a probablement raison. A court terme…
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20 février 2020
Orwell, 1903-1950 (IV)
ORWELL
DANS
LE
TEXTE (3)
[George Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres, 10/18, Paris, 2010]
J’habitais à l’enseigne de l’hôtel des Trois Moineaux : imaginez une sorte de taupinière sombre et délabrée, abritant, sur cinq étages, quarante chambres délimitées par des cloisons de bois (p.8)
Le sujet de ce livre, c’est la misère, et c’est dans ce quartier lépreux que j’en ai pour la première fois fais l’expérience -d’abord comme une leçon de choses dispensée par des individus menant des vies plus impossibles les unes que les autres, puis comme trame vécue de ma propre existence (p.13)
Je devais à présent subsister avec six francs par jour -entreprise en soi assez ardue pour ne guère laisser le temps de penser à autre chose. C’est à ce moment-là que je commençai à comprendre ce que signifie vraiment la pauvreté. Car six francs par jour, si ce n’est pas à proprement parler la misère, ce n’en est pas loin. Avec six francs par jour, on peut encore subsister à Paris, à condition de savoir s’y prendre. Mais l’affaire n’est pas de tout repos (p.23)
Pourtant, j’étais loin d’être aussi malheureux que je l’aurais cru. Car, lorsque vous vous trouvez dans la misère, vous faites une découverte qui éclipse presque toutes les autres. Vous avez découvert l’ennui, les petites complications mesquines, les affres de la faim, mais vous avez en même temps fait une découverte capitale : savoir que la misère a la vertu de rejeter le futur dans le néant (p.28)
Nous vécûmes plusieurs jours au régime de pain sec, puis je passai deux jour et demi sans manger. Ce n’est pas drôle. Il y a des gens qui font des cures de jeûne de trois semaines et plus, et qui vous assurent qu’à partir du quatrième jour la sensation est positivement délicieuse. Je n’en sais rien, n’étant jamais allé au-delà du troisième jour. Il faut croire que l’on voit la chose différemment quand on se plie de propos délibéré à cette discipline après avoir largement mangé à sa faim avant (p.51)
La faim réduit un être à un état où il n’a plus de cerveau, plus de colonne vertébrale. L’impression de sortir d’une grippe carabinée, de s’être mué en méduse flasque, avec de l’eau tiède qui circule dans les veines au lieu de sang. L’inertie, l’inertie absolue, voilà le principal souvenir que je garde de la faim (p.52)
A cinq heures moins le quart nous reprenions le chemin de l’hôtel. Comme il n’y avait pas de clients à servir avant six heures et demie, nous en profitions pour faire l’argenterie, nettoyer les cafetières et autres ustensiles. Ensuite, c’était le grand branle-bas du dîner. Il me faudrait la plume d’un Zola pour donner une idée de ce qu’était ce moment. En gros, toute l’affaire se résumait comme suit : cent à deux cents personnes réclamaient, chacune en même temps, cinq à six plats différents que devaient leur préparer et servir cinquante à soixante autres personnes. Quiconque a tant soit peut l’expérience de la restauration comprendra ce que cela représente (p.87)
Faire la vaisselle est un travail parfaitement odieux -pas vraiment pénible, certes, mais assommant et stupide au-delà de toute expression. On frémit à l’idée que des êtres humains puissent passer des dizaines d’années de leur vie à ne rien faire d’autre. La femme que je remplaçais avait bien la soixantaine et elle restait rivée à son bac à vaisselle treize heures par jour, six jours par semaine, toute l’année durant. Et en plus, elle servait de souffre-douleur aux garçons (p.93)
Le vol était partout, et malheur à celui qui laissait traîner de l’argent dans la poche de son veston ; il pouvait d’avance en faire son deuil (p.98)
Voilà quelle était la vie d’un plongeur, une vie qui, tout compte fait, ne me paraissait pas alors si mauvaise. Je ne me sentais même pas pauvre, étant donné qu’après avoir payé ma chambre et mis de côté l’argent du tabac, du métro et des repas du dimanche, il me restait quatre francs par jour à dépenser en boisson -et quatre francs, c’était pour moi la fortune (p.123)
… rien ne peut être plus simple que la vie d’un plongeur. Il vit au rythme des heures de travail et des heures de sommeil. Il n’a pas le temps de penser : pour lui, le monde extérieur pourrait aussi bien ne pas exister (p.123)
Le travail de l’hôtel m’enseigna la véritable valeur du sommeil, de même que la faim m’avait enseigné la véritable valeur de la nourriture. Le sommeil avait cessé d’être un simple besoin physique : c’était une volupté, une débauche allant infiniment au-delà du repos nécessaire (p.124)
Il faut, je crois, commencer par souligner que le plongeur est un des esclaves du monde moderne. Loin de moi l’idée de faire verser des larmes sur son sort, car il vit matériellement beaucoup mieux que bien des travailleurs manuels. Mais pour ce qui est de la liberté, il n’en a pas plus qu’un esclave qu’on peut vendre et acheter. Le travail qu’il effectue est servile et sans art. On ne le paie que juste ce qu’il faut pour le maintenir en vie. Ses seuls congés, il les connaît lorsqu’on le flanque à la porte (p.158)
Et on continue à lui imposer ce travail parce que règne confusément chez les riches le sentiment que, s’il avait quelques moments à lui, cet esclave pourrait se révéler dangereux. Et les gens instruits, qui devraient prendre son parti, laissent faire sans broncher parce qu’ils ne connaissent rien de cet homme, et par conséquent en ont peur. Je cite ici le plongeur parce que c’est un cas que j’ai pu examiner de près. Mais on pourrait en dire autant pour une infinité de travailleurs de tous métiers (p.165)
L’Angleterre est un pays fort agréable, à condition de ne pas être pauvre (p.173)
Habillé en clochard, il est très difficile, tout au moins au début, de ne pas éprouver le sentiment d’une déchéance. C’est le même genre de honte, irrationnelle mais très réelle, qui vous prend, je suppose, quand vous passez votre première nuit en prison (p.177)
J’eus, grâce à Bozo, un certain nombre d’aperçus sur la manière dont la mendicité s’organise à Londres. Ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Il y a un certain nombre de subdivisions entre catégories, et, socialement parlant, une délimitation franche entre ceux qui se bornent à tendre la main et ceux qui essaient de donner quelque chose en échange de l’argent. Les gains réalisés par ce moyen sont eux aussi très variables (p.231)
Il est regrettable que quelqu’un capable de véritablement traiter le sujet ne s’attache pas à tenir un jour le répertoire de l’argot et des jurons londoniens, en enregistrant précisément les changements qui se produisent. Cela aiderait à comprendre comment et pourquoi un mot naît, vit et meurt (p.244)
L’homme, à qui l’on fait la charité, nourrit, quasi invariablement, une haine féroce à l’égard de son bienfaiteur -c’est une constante de la nature humaine (p.252)
Je tiens toutefois à souligner deux ou trois choses que m’a définitivement enseignées mon expérience de la pauvreté. Jamais plus je ne considérerai tous les chemineaux comme des vauriens et des poivrons, jamais plus je ne m’attendrai à ce qu’un mendiant me témoigne sa gratitude lorsque je lui aurai glissé une pièce, jamais plus je ne m’étonnerai que les chômeurs manquent d’énergie. Jamais plus je ne verserai la moindre obole à L’Armée du Salut, ni ne mettrai mes habits en gage, ni ne refuserai un prospectus qu’on me tend, ni ne m’attablerai en salivant par avance dans un grand restaurant. Ceci pour commencer (p.290)
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18 février 2020
26 mai, les jours d'après (XXIV)
Il faudrait clarifier la situation concernant le Vlaams Belang (VB), qui pourrait, si l’on en croit d’aucuns, être ‘’le grand vainqueur de prochaines élections’’ à cause de ceci ou de cela, de celui-ci ou de celui-là...
Rappelons aux distraits que le VB a déjà gagné les élections, le 26 mai !
Or le gouvernement sortant était un gouvernement très ‘’flamand’’ (3 des 4 partis, dont la N-VA !), avec une Wallonie sous-représentée (un seul parti, le MR !), et sans le PS ou les écologistes ou le PTB ou que sais-je encore !
Bref, venir dire aujourd'hui que le VB pourrait rafler la mise grâce à Magnette, ou encore parce que les partis flamands de la prochaine coalition pourraient être minoritaires en Flandre, ou en l'absence d'accord sur le confédéralisme ou... ou..., est donc de l'approximation pure et simple ! Le VB n'a pas eu besoin de tout cela pour gagner 15 sièges au Parlement fédéral lors du dernier scrutin !
Comment cela a-t-il été possible ? Il n'y a pas d'explication unilatérale concernant le renforcement du VB, mais on peut pointer différents facteurs : ce parti progresse et continuera à progresser parce que les partis traditionnels lassent de plus en plus ! Mais aussi parce qu'il est un parti nationaliste très identitaire, parce qu'il est un parti raciste/xénophobe (qui instrumentalise la question des migrations), et parce qu'il est un parti sécuritaire. Or, ces différents éléments ‘’parlent’’ (hélas) à des fractions importantes de l'électorat du nord du pays, et pratiquer la politique de l'autruche ne changera pas cette réalité ! De plus, le VB a été suffisamment habile pour glisser quelques revendications ‘’sociales’’ dans son programme, afin de brouiller son image de parti d'extrême-droite ultra-libéral. Enfin, il a renouvelé ses porte-parole pour laisser la place à des figures plus jeunes et plus attractives, qui ont su utiliser comme des ‘’pro’’ le net pour ratisser large !
Ce n’est donc pas en se lamentant sur la séquence politicienne actuelle, ce n'est pas en se livrant à des petits jeux et calculs mesquins ou en essayant de mettre en place des ‘’plans com’’ imaginatifs, que l'on arrêtera l'ascension du VB !
Pour le mettre en difficulté, rien de doit lui être concédé (non, il ne ‘’pose pas de bonnes questions en y apportant de mauvaises réponses’’ !). Et il est indispensable de développer une politique réellement alternative qui rencontre les besoins du plus grand nombre et qui apporte des solutions de rechange aux enjeux et aux défis qui inquiètent les citoyen(ne)s !
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Devant le blocage actuel, certaines voix se font entendre pour que l’on forme un ‘’gouvernement provisoire’’ qui établirait un ‘’budget d’urgence’’.
C’est bien joli mais la question fondamentale -et systématiquement escamotée !- demeure : pour quelle politique et, dans le cas présent, pour quel budget ?
Un budget avec de nouvelles ‘’économies’’ dans les soins de santé et un saut d'index ? Ou un budget qui, par exemple, mettrait enfin à contribution les fortunes et établirait une imposition décente pour les grandes entreprises ?
Bref, qu’on le veuille ou non, il faudra dégager une majorité parlementaire pour trancher, et par conséquent il faudra également passer par une... ‘’négociation’’ !
In fine, il n'y aura pas de solution durable à la ‘’crise de régime’’ larvée qui caractérise ‘’l'Etat Belgique’’ depuis des décennies sans remettre le dossier ‘’institutionnel’’ sur la table !
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