24 février 2020
Orwell, 1903-1950 (V)
ORWELL
DANS
LE
TEXTE (4)
[George Orwell, A ma guise. Chroniques 1943-1947, Agone, Marseille, 2008]
Les taudis londoniens sont encore bien misérables mais ils ne sont pas comparables à ceux du XIXème siècle. (…) Le progrès existe, si difficile que ce soit de le croire en cette époque de camps de concentration et de belles grosses bombes (p.38)
Presque sans le savoir -et peut-être sans vouloir le savoir- l’ouvrier blanc exploite l’ouvrier de couleur et, en retour, l’ouvrier de couleur peut être utilisé, et est utilisé, contre l’ouvrier blanc. (…) Les choses étant ce qu’elles sont, l’Asie et l’Afrique constituent tout simplement une inépuisable armée de réserve de briseurs de grève. On ne peut pas reprocher au travailleur de couleur de ne pas se sentir solidaire de ses camarades blancs. (…) Le mouvement socialiste n’a jamais vraiment pris pied ni en Asie, ni en Afrique, ni même parmi les Nègres américains : partout, il est dévoyé par le nationalisme et la haine raciale. (…) Il n’y aura pas de solution tant que le niveau de vie du milliard de ‘’non-Blancs’’ ne sera pas relevé de force et rendu égal au nôtre (p.40)
Si l’on veut se croire infaillible, il ne faut pas tenir de journal. En relisant mon journal de 1940 et 1941, je me rends compte que je me suis trompé chaque fois que c’était possible. Mais tout de même moins que les experts militaires (p.45)
Ce que tous ces gens (…) ont en commun, c’est leur refus de croire que la société puisse être fondamentalement améliorée. L’homme n’est pas perfectible, de simples changements politiques ne peuvent avoir aucun effet, et le progrès est une illusion. Le lien entre cette conception et la réaction politique est, bien sûr, manifeste. Le détachement vis-à-vis de ce monde est le meilleur alibi du riche. (…) Il y a un risque à ignorer les néo-pessimistes, car jusqu’à un certain point, ils ont raison. Tant qu’on pense à court terme, il est sage de ne pas trop espérer du futur. Les plans pour l’amélioration de l’humanité tombent régulièrement à l’eau (…) La bonne réponse est de dissocier le socialisme de l’utopisme. (…) La réponse (…) est que le socialisme n’est pas un perfectionnisme, ni même sans doute un hédonisme. Les socialistes ne se prétendent pas capables de rendre le monde parfait ; ils s’affirment capables de le rendre meilleur. Et tout socialiste qui réfléchit tant soit peu concédera au catholique qu’une fois l’injustice économique corrigée le problème fondamental de la place de l’homme dans l’univers continuera de se poser. Mais ce que les socialistes affirment avec force, c’est qu’il est impossible d’affronter ce problème tant que les préoccupations de l’être humain moyen sont, par nécessité, économiques. Tout cela se trouve résumé dans la formule de Marx selon laquelle l’histoire humaine ne pourra commencer qu’après l’avènement du socialisme (p.48-50)
Néanmoins, un monde où l’assassinat d’un seul civil est criminel et où le largage d’un millier de tonnes d’explosifs sur un quartier résidentiel est légitime me fait parfois me demander si notre Terre ne sert pas d’asile psychiatrique à une autre planète (p.54)
… nous sommes tout bonnement une ploutocratie (p.59)
Je crois que les éventuels lecteurs du futur qui se plongeront dans nos journaux et nos magazines considéreront comme une aberration similaire le dédain pour la démocratie et la franche admiration pour le totalitarisme qui se sont emparés de l’intelligentsia britannique vers 1940 (p.65)
Le fait que la démocratie n’est pas inhérente au collectivisme et qu’on ne se débarrasse pas de la domination de classe en abolissant de façon formelle la propriété privée devient chaque jour plus clair. La tendance du monde à se scinder en plusieurs grands blocs formant des superpuissances est également assez claire, et le fait que chacune d’entre elles serait probablement invincible ouvre des perspectives sinistres (p.66)
Burnham (…) était également incapable d’admettre qu’il existe une différence de nature essentielle entre la Russie et l’Allemagne. Mais l’erreur de base de cette pensée est son mépris de l’homme ordinaire (p.67)
Mais là où Burnham et ses savants camarades se trompent, c’est quand ils tentent de propager l’idée que le totalitarisme est inévitable, et que nous ne devrions donc pas nous y opposer (p.68)
Un lecteur me reproche d’être ‘’négatif’’ et ‘’toujours en train de critiquer’’. Le fait est que nous vivons à une époque où les raisons de se réjouir ne sont pas nombreuses (p.71)
L’histoire est écrite par les vainqueurs. En dernière analyse, notre unique titre à la victoire est que, si nous gagnons la guerre, nous proférerons moins de mensonges que nos adversaires. Ce qu’il y a de véritablement effrayant dans le totalitarisme, ce n’est pas qu’il commette des atrocités mais qu’il s’attaque au concept de vérité objective : il prétend contrôler le passé aussi bien que l’avenir (p.81)
La faiblesse de la gauche, c’est qu’elle traite l’antisémitisme d’un point de vue rationaliste. (…) On ne se débarrasse pas d’une croyance en démontrant qu’elle est irrationnelle (p.85-86)
Donc, comme on ne peut pas donner à tout le monde certains produits de luxe (des voitures puissantes, par exemple, des manteaux de fourrures, des yachts, des maisons de campagne et que sais-je encore), il est préférable que personne n’en possède. Le riche perd autant par sa richesse que le pauvre par sa pauvreté (p.95)
On pourrait dire par exemple que ce qu’il y a de plus important dans la théorie de Marx est contenu dans l’adage : ‘’là où est ton trésor, là aussi est ton cœur’’. Mais avant que Marx ne le développe, quel pouvoir avait cet adage ? Qui y a jamais prêté attention ? Qui en avait déduit -ce qu’il implique pourtant indubitablement- que les lois, la religion et les codes moraux constituent une superstructure édifiée sur la base des relations de propriété existantes ? C’est le Christ, selon l’Evangile, qui a prononcé ces paroles, mais c’est Marx qui leur a donné vie. Et depuis qu’il l’a fait, les motivations des hommes politiques, des prêtres, des juges, des moralistes et des millionnaires inspirent la plus profonde suspicion -et c’est bien pourquoi ils le détestent tant (p.100)
… quand on a le ventre creux, le seul problème c’est qu’on a le ventre creux. C’est seulement quand nous serons débarrassés de la corvée et de l’exploitation que nous commencerons vraiment à nous interroger sur la destinée de l’homme et sur le sens de son existence (p.105)
Certes, si la caste militaire allemande n’a pas été détruite, c’est évidemment en raison d’une stratégie délibérée des dirigeants alliés, terrifiés à l’idée d’une révolution en Allemagne (p.124)
La croyance en l’au-delà n’influence pas notre conduite comme elle le ferait obligatoirement si elle était authentique. Avec la perspective de cette existence sans fin par-delà la mort, combien nos vies nous paraîtraient insignifiantes ! La plupart des chrétiens nous affirment qu’ils croient à l’enfer. Mais avez-vous jamais rencontré un chrétien qui paraisse aussi effrayé par l’enfer que par le cancer ? Même les chrétiens les plus dévots plaisanteront sur l’enfer, alors qu’ils ne plaisanteraient pas sur les lépreux ou sur les visages brûlés des pilotes de la Royal Air Force : le sujet est trop douloureux (p.136)
Tout journaliste de la presse quotidienne vous le dira : l’un des secrets les plus importants de son métier, c’est l’astuce qui consiste à faire croire qu’il y a de l’information quand il n’y en a pas (p.139)
Cette illusion consiste à croire que, sous une dictature, on peut être libre intérieurement. Nombre de gens se consolent avec cette idée maintenant que le totalitarisme, sous une forme ou sous une autre, est visiblement en plein essor dans toutes les parties du monde. Dans la rue, les haut-parleurs vocifèrent, les drapeaux flottent sur les toits, les policiers avec leurs mitraillettes patrouillent en tout sens, et le visage du Chef, en un mètre cinquante de large, vous foudroie du regard depuis tous les panneaux d’affichage ; mais là-haut, dans les greniers, les ennemis secrets du régime peuvent consigner leurs pensées en toute liberté ; c’est à peu près l’idée. (…) Mais la pire des erreurs, c’est de s’imaginer que l’être humain est un individu autonome (p.144-145)
Supprimez la liberté d’expression et les capacités créatrices se tarissent (p.145)
La guerre est barbare par nature ; il vaut mieux le reconnaître. Si nous nous regardons comme les sauvages que nous sommes, certains progrès sont possibles ou, du moins envisageables (p.161)
La plupart des êtres humains ont le sentiment qu’une chose devient différente quand on lui attribue un nom différent (p.169)
Le catholique, du moins l’apologiste du catholicisme, se sent tenu d’affirmer la supériorité des pays catholiques et du Moyen-Age sur le monde contemporain, exactement comme un communiste se sent tenu de soutenir l’URSS en toute circonstance (p.185)
Ces nouvelles, et d’autres du même genre, doivent leur qualité à la forte attirance pour la brutalité qui était dans la nature de London. C’est aussi ce qui lui a permis cette compréhension subjective du fascisme qui manque d’ordinaire aux socialistes et qui fait, par certains côtés, du Talon de fer un livre véritablement prophétique (p.192)
L’une des choses les plus extraordinaires avec l’Angleterre, c’est qu’il n’existe pratiquement pas de censure officielle et que, pourtant, rien de ce qui pourrait réellement nuire à la classe dirigeante n’y est jamais publié, du moins dans les journaux à grand tirage. Si ‘’cela ne se fait pas’’ de parler de tel ou tel sujet, eh bien, on n’en parle pas, tout simplement. (…) Pas de pots-de-vin, pas de menaces, pas de sanctions : juste un hochement de tête, un clin d’œil, et le tour est joué. (…) Aujourd’hui, ce type de censure voilée touche aussi les livres. (…) Bien qu’il n’y ait pas d’interdictions expresses ni d’instructions claires sur ce qui doit ou ne doit pas être publié, on ne passe jamais outre la ligne officielle. Les chiens de cirque sautent quand le dresseur fait claquer son fouet, mais le chien vraiment bien dressé est celui qui exécute son saut périlleux sans avoir besoin du fouet (p.195-197)
Mais ces deux dernières années, la publicité commerciale, avec toute sa bêtise et tout son snobisme, a fait un retour en force (p.201)
Après tout, si la nature humaine est immuable, comment se fait-il que non seulement nous ne pratiquons plus le cannibalisme, mais surtout que nous n’en avons même pas envie ? (p.207)
La grande majorité des gens qui vont au cinéma sont pauvres ; il est donc de bonne politique de faire du pauvre un héros. Les grands producteurs de films, les magnats de la presse et leurs semblables amassent une grande partie de leur richesse en faisant valoir que la richesse, c’est le mal. La formule ‘’le gentil pauvre bat le méchant riche’’ n’est qu’une version plus subtile du pays de cocagne. C’est une sublimation de la lutte des classes (p.210)
… il y a extrêmement peu d’esclaves dont on sache quelque chose. Pour ma part, il n’y a que trois esclaves dont je connaisse le nom : Spartacus lui-même ; Esope, le fabuliste, dont on dit qu’il était esclave ; et Epictète, le philosophe, qui était l’un de ces esclaves instruits dont les ploutocrates romains aimaient la compagnie. Tous les autres n’ont même pas de nom. On ne connaît pas -ou tout au moins, je ne connais pas quant à moi- le nom d’un seul de ces millions d’êtres humains qui bâtirent les pyramides. Spartacus est de loin, je pense, l’esclave le plus célèbre qu’il y ait jamais eu. Durant cinq mille ans, ou plus, la civilisation a reposé sur l’esclavage. Pourtant, quand le nom d’un seul esclave traverse les siècles, c’est parce qu’il a désobéi à l’injonction ‘’Ne résiste pas aux méchants’’, et qu’il a organisé une révolte violente. Il y a là, je pense, une morale pour les pacifistes (p.211)
La guerre ne nuit pas à l’édification de la civilisation par la destruction qu’elle engendre (…), ni même par le massacre d’êtres humains, mais par la haine et la malhonnêteté qu’elle suscite. En tirant sur votre ennemi, vous ne lui faites pas de mal au sens le plus profond du terme. Mais en le haïssant, en inventant sur lui des mensonges que vous faites croire à vos enfants, en réclamant à grands cris des conditions de paix injustes qui rendront de nouvelles guerres inévitables, vous frappez non une génération destinée à périr mais l’humanité elle-même (p.214-215)
Quiconque est informé d’un cas avéré de discrimination raciale doit systématiquement le dénoncer (p.220)
Le parti tory était autrefois considéré comme ‘’le parti stupide’’. Mais parmi les promoteurs de ce groupe on trouve quelques bons cerveaux et, lorsque les tories deviennent intelligents, il vaut mieux faire attention à sa montre et compter sa monnaie (p.283)
… les prestidigitateurs ne se convertissent jamais au spiritisme (p.288)
Quoi qu’on dise, les choses évoluent (p.291)
Personne ne cherche la vérité, tout le monde avance des ‘’arguments’’ sans se préoccuper du tout d’impartialité ou d’exactitude, et les faits les plus manifestement évidents peuvent être ignorés par ceux qui ne veulent pas les voir. Les mêmes trucs de propagande se retrouvent presque partout (p.295)
Toutefois, je crois qu’on pourrait démontrer, en se fondant sur l’histoire des vingt dernières années, que les méthodes totalitaires de controverse -falsification de l’histoire, calomnies personnelles, refus d’écouter équitablement les adversaires, et ainsi de suite- sont dans l’ensemble allées à l’encontre des intérêts de la gauche. Le mensonge est un boomerang, et il revient parfois à une vitesse surprenante (p.314)
Je suis tout à fait en faveur de la liberté en Europe, mais je me sens plus heureux quand elle est conjuguée avec la liberté partout ailleurs -en Inde par exemple (p.320)
Pour l’instant, l’avion est tout d’abord un instrument qui sert à lâcher des bombes et la radio est tout d’abord un instrument pour attiser le nationalisme (p.329)
Lorsqu’on examine ce qui s’est passé depuis 1930, il n’est pas facile de croire à la survie de la civilisation. Je ne suggère pas, à partir de ce constat, que la seule solution est de renoncer à la politique quotidienne, de se retirer dans un lieu éloigné et de se concentrer soit sur son salut personnel, soit sur la création de communautés autonomes en prévision du jour où les bombes atomiques auront fait leur travail. Je pense qu’il faut poursuivre la lutte politique, exactement comme un médecin doit tenter de sauver la vie d’un patient, même s’il a de grandes chances de mourir (p.358-359)
La nationalisation est une mesure à long terme qui, dans la plupart des cas, ne produit pas d’amélioration mais prépare simplement le terrain pour une amélioration (p.369)
… Andréï Jdanov (…) en sait à peu près autant sur la littérature que moi sur l’aérodynamisme (p.386)
Le roman de Zamiatine, Nous autres, sur lequel j’ai écrit un article pour Tribune il y a un an ou deux, va être réédité dans ce pays. Il s’agit d’une nouvelle traduction du russe. Repérez bien ce livre (p.400)
Il semble que nationaliser la presse serait du ‘’fascisme’’ alors que la ‘’liberté de la presse’’ consiste à permettre à quelques millionnaires de contraindre plusieurs centaines de journalistes à falsifier leurs opinions (p.445)
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22 février 2020
26 mai, les jours d'après (XXV)
Allo, Raoul, allo quoi !
A propos d'un entretien "haut en couleur" accordé par le porte-parole du PTB-PVdA à Sud Presse :
1°) Le ‘’gros problème en Belgique’’, ce ne sont pas les réformes de l’Etat et le ‘’bordel’’ qui en découlerait (même s’il y a beaucoup à dire concernant le long chantier institutionnel en cours) ! Le principal ‘’problème’’ est que la Belgique est un pays capitaliste, solidement ancré dans une Union européenne du capital et de la finance, un pays gouverné par des partis qui placent leur action dans un cadre (néo-)libéral et qui sont respectueux des traités et diktats européens !
2°) L’absence d’un arbitre comme ‘’en Allemagne avec les länder’’… Il y aurait donc ‘’une autorité fédérale qui manque chez nous’’ ? Cette ‘’autorité’’, chez nos voisins, est celle du très à droite gouvernement… Merkel ; et si ce modèle existait en Belgique, cette autorité aurait été, lors de la précédente législature, celle de la coalition N-VA-MR ! Pas sûr que cela aurait été bénéfique pour qui que ce soit !
3°) Il n’existe pas un ‘’peuple belge’’ mais deux peuples -flamand et wallon- qui coexistent dans un même cadre étatique ! Pourquoi ce déni ? Et pourquoi nier des diversités, qui sont une caractéristique positive du monde, au profit d’une conception uniformisante ?
4°) ‘’80 % des Flamands ne veulent pas de la scission du pays’’, mais près de 50 % votent pour la N-VA et le VB (et ici il ne s'agit pas d'un ''sondage''...) ! Et les autres partis de droite, le CD&V et l’Open Vld, ne sont pas spécialement des partis nostalgiques de la ‘’Belgique de papa’’ ! Tout le monde se souvient encore d’Alexandre De Croo ‘’débranchant la prise’’ sur la question de BHV, qui entraînera ensuite la séquence des 541 jours de négociations pour la formation d’un gouvernement !
5°) ‘’La scission des partis a créé la division du pays, pas le contraire’’. Totalement inexact ! La ‘’question nationale’’ (et la naissance du ‘’mouvement flamand’’ qui a mené un combat légitime, notamment sur la ‘’question linguistique’’) est aussi vieille que la Belgique ! Les tensions ‘’communautaires’’ et trajectoires politiques divergentes entre le Nord et le Sud précèdent l’éclatement des partis et en sont d’ailleurs largement la cause. La ‘’question royale’’, les événements liés à la ‘’grève du siècle (60-61)’’, les conflits concernant l'instauration d'une ''frontière linguistique'' ou le ''Wallen Buiten'' de Leuven -pour ne pas remonter au-delà de la seconde guerre mondiale- ont éclaté alors que les trois grandes familles politiques (socialistes, libéraux, sociaux chrétiens) étaient structurées dans des partis ‘’unitaires’’ !
6°) Se plaindre parce que le PTB n’est pas invité par le roi, clé de voûte d’une dynastie archaïque et parfaitement antidémocratique (qui, soit dit en passant, coûte bien plus aux citoyen(ne)s que les ‘’salaires des ministres’’ !), est pour le moins curieux. Le PTB ferait mieux de faire entendre sa voix pour dénoncer avec force le caractère illégitime de la monarchie et affirmer une perspective républicaine ! Il ne suffit pas de se réclamer de Julien Lahaut…
7°) Une "diminution du nombre de ministres" ne résoudrait rien, car ces ministres (moins nombreux) seraient membres des mêmes partis qui impulsent les mêmes politiques austéritaires et qui escamotent la gravité de la ‘’crise du réchauffement climatique’’. Les mesures antisociales des 5 dernières années (et toutes celles qui ont précédé !) ont été prises par un seul gouvernement -le gouvernement fédéral- avec des ministres disposant des attributions nécessaires. Il n’y a pas eu besoin de ‘’concertation’’ avec les entités fédérées (et d’accord avec leurs ‘’nombreux ministres’’ !) pour décréter un saut d’index, retarder l’âge légal de la retraite à 67 ans, augmenter le taux de TVA de l’électricité de 6 à 21 % ou bloquer les augmentations salariales ! Dès lors, essayer de faire croire à la population qu’il s’agit d’une question clé qui pourrait résoudre ses difficultés relève du registre démagogique !
8°) Il n’existe pas ‘’deux démocraties en Belgique’’ ? Il existe, à tout le moins, deux configurations politiques très différentes : le centre de gravité se situe très à droite en Flandre et plus à gauche en Wallonie ! Les résultats des élections qui se succèdent depuis des décennies sont irréfutables à cet égard ! Aujourd’hui, au Parlement flamand, droite et extrême-droite représentent les quatre groupes les plus importants de l’hémicycle et rassemblent 93 députés sur 124 ! Alors qu’en Wallonie PS, ECOLO et PTB sont majoritaires (45 sièges sur 75 !). Tous les discours ‘’généralistes’’ sur ‘’les Flamands qui veulent la même chose que les Francophones’’ ne peuvent occulter cette réalité ! Plutôt que de se cacher derrière un ‘’belgicanisme’’ obstiné, le PTB devrait prendre en compte l’intérêt stratégique de concrétiser le ‘’droit démocratique des peuples à l’autodétermination’’. Une Wallonie autonome constituerait un ‘’maillon’’ plus faible (du point de vue du capital), car il y existe un meilleur rapport de forces pour la mise en oeuvre de politiques progressistes et pour avancer dans un processus de rupture avec le capitalisme ! Même si évidemment cela ne sera pas simple, comme toute l’histoire des luttes anticapitalistes le démontre…
Il est, par conséquent, dommage que le PTB s'abandonne à de telles prises de positions hasardeuses (?), alors qu’il mène tant de justes combats, notamment concernant les questions socio-économiques ou sociétales, sur lesquelles ses parlementaires font vraiment un bon boulot.
Mais sans doute pense-t-il que ce positionnement rencontre une aspiration populaire existante et ne peut donc que renforcer sa ‘’popularité’’ et ses futurs résultats électoraux (d’où l’appel à de nouvelles élections !) ?
A court terme, il a probablement raison. A court terme…
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20 février 2020
Orwell, 1903-1950 (IV)
ORWELL
DANS
LE
TEXTE (3)
[George Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres, 10/18, Paris, 2010]
J’habitais à l’enseigne de l’hôtel des Trois Moineaux : imaginez une sorte de taupinière sombre et délabrée, abritant, sur cinq étages, quarante chambres délimitées par des cloisons de bois (p.8)
Le sujet de ce livre, c’est la misère, et c’est dans ce quartier lépreux que j’en ai pour la première fois fais l’expérience -d’abord comme une leçon de choses dispensée par des individus menant des vies plus impossibles les unes que les autres, puis comme trame vécue de ma propre existence (p.13)
Je devais à présent subsister avec six francs par jour -entreprise en soi assez ardue pour ne guère laisser le temps de penser à autre chose. C’est à ce moment-là que je commençai à comprendre ce que signifie vraiment la pauvreté. Car six francs par jour, si ce n’est pas à proprement parler la misère, ce n’en est pas loin. Avec six francs par jour, on peut encore subsister à Paris, à condition de savoir s’y prendre. Mais l’affaire n’est pas de tout repos (p.23)
Pourtant, j’étais loin d’être aussi malheureux que je l’aurais cru. Car, lorsque vous vous trouvez dans la misère, vous faites une découverte qui éclipse presque toutes les autres. Vous avez découvert l’ennui, les petites complications mesquines, les affres de la faim, mais vous avez en même temps fait une découverte capitale : savoir que la misère a la vertu de rejeter le futur dans le néant (p.28)
Nous vécûmes plusieurs jours au régime de pain sec, puis je passai deux jour et demi sans manger. Ce n’est pas drôle. Il y a des gens qui font des cures de jeûne de trois semaines et plus, et qui vous assurent qu’à partir du quatrième jour la sensation est positivement délicieuse. Je n’en sais rien, n’étant jamais allé au-delà du troisième jour. Il faut croire que l’on voit la chose différemment quand on se plie de propos délibéré à cette discipline après avoir largement mangé à sa faim avant (p.51)
La faim réduit un être à un état où il n’a plus de cerveau, plus de colonne vertébrale. L’impression de sortir d’une grippe carabinée, de s’être mué en méduse flasque, avec de l’eau tiède qui circule dans les veines au lieu de sang. L’inertie, l’inertie absolue, voilà le principal souvenir que je garde de la faim (p.52)
A cinq heures moins le quart nous reprenions le chemin de l’hôtel. Comme il n’y avait pas de clients à servir avant six heures et demie, nous en profitions pour faire l’argenterie, nettoyer les cafetières et autres ustensiles. Ensuite, c’était le grand branle-bas du dîner. Il me faudrait la plume d’un Zola pour donner une idée de ce qu’était ce moment. En gros, toute l’affaire se résumait comme suit : cent à deux cents personnes réclamaient, chacune en même temps, cinq à six plats différents que devaient leur préparer et servir cinquante à soixante autres personnes. Quiconque a tant soit peut l’expérience de la restauration comprendra ce que cela représente (p.87)
Faire la vaisselle est un travail parfaitement odieux -pas vraiment pénible, certes, mais assommant et stupide au-delà de toute expression. On frémit à l’idée que des êtres humains puissent passer des dizaines d’années de leur vie à ne rien faire d’autre. La femme que je remplaçais avait bien la soixantaine et elle restait rivée à son bac à vaisselle treize heures par jour, six jours par semaine, toute l’année durant. Et en plus, elle servait de souffre-douleur aux garçons (p.93)
Le vol était partout, et malheur à celui qui laissait traîner de l’argent dans la poche de son veston ; il pouvait d’avance en faire son deuil (p.98)
Voilà quelle était la vie d’un plongeur, une vie qui, tout compte fait, ne me paraissait pas alors si mauvaise. Je ne me sentais même pas pauvre, étant donné qu’après avoir payé ma chambre et mis de côté l’argent du tabac, du métro et des repas du dimanche, il me restait quatre francs par jour à dépenser en boisson -et quatre francs, c’était pour moi la fortune (p.123)
… rien ne peut être plus simple que la vie d’un plongeur. Il vit au rythme des heures de travail et des heures de sommeil. Il n’a pas le temps de penser : pour lui, le monde extérieur pourrait aussi bien ne pas exister (p.123)
Le travail de l’hôtel m’enseigna la véritable valeur du sommeil, de même que la faim m’avait enseigné la véritable valeur de la nourriture. Le sommeil avait cessé d’être un simple besoin physique : c’était une volupté, une débauche allant infiniment au-delà du repos nécessaire (p.124)
Il faut, je crois, commencer par souligner que le plongeur est un des esclaves du monde moderne. Loin de moi l’idée de faire verser des larmes sur son sort, car il vit matériellement beaucoup mieux que bien des travailleurs manuels. Mais pour ce qui est de la liberté, il n’en a pas plus qu’un esclave qu’on peut vendre et acheter. Le travail qu’il effectue est servile et sans art. On ne le paie que juste ce qu’il faut pour le maintenir en vie. Ses seuls congés, il les connaît lorsqu’on le flanque à la porte (p.158)
Et on continue à lui imposer ce travail parce que règne confusément chez les riches le sentiment que, s’il avait quelques moments à lui, cet esclave pourrait se révéler dangereux. Et les gens instruits, qui devraient prendre son parti, laissent faire sans broncher parce qu’ils ne connaissent rien de cet homme, et par conséquent en ont peur. Je cite ici le plongeur parce que c’est un cas que j’ai pu examiner de près. Mais on pourrait en dire autant pour une infinité de travailleurs de tous métiers (p.165)
L’Angleterre est un pays fort agréable, à condition de ne pas être pauvre (p.173)
Habillé en clochard, il est très difficile, tout au moins au début, de ne pas éprouver le sentiment d’une déchéance. C’est le même genre de honte, irrationnelle mais très réelle, qui vous prend, je suppose, quand vous passez votre première nuit en prison (p.177)
J’eus, grâce à Bozo, un certain nombre d’aperçus sur la manière dont la mendicité s’organise à Londres. Ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Il y a un certain nombre de subdivisions entre catégories, et, socialement parlant, une délimitation franche entre ceux qui se bornent à tendre la main et ceux qui essaient de donner quelque chose en échange de l’argent. Les gains réalisés par ce moyen sont eux aussi très variables (p.231)
Il est regrettable que quelqu’un capable de véritablement traiter le sujet ne s’attache pas à tenir un jour le répertoire de l’argot et des jurons londoniens, en enregistrant précisément les changements qui se produisent. Cela aiderait à comprendre comment et pourquoi un mot naît, vit et meurt (p.244)
L’homme, à qui l’on fait la charité, nourrit, quasi invariablement, une haine féroce à l’égard de son bienfaiteur -c’est une constante de la nature humaine (p.252)
Je tiens toutefois à souligner deux ou trois choses que m’a définitivement enseignées mon expérience de la pauvreté. Jamais plus je ne considérerai tous les chemineaux comme des vauriens et des poivrons, jamais plus je ne m’attendrai à ce qu’un mendiant me témoigne sa gratitude lorsque je lui aurai glissé une pièce, jamais plus je ne m’étonnerai que les chômeurs manquent d’énergie. Jamais plus je ne verserai la moindre obole à L’Armée du Salut, ni ne mettrai mes habits en gage, ni ne refuserai un prospectus qu’on me tend, ni ne m’attablerai en salivant par avance dans un grand restaurant. Ceci pour commencer (p.290)
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