23 août 2025
POLARS EN BARRE [27]
"Ce que j’appris de lui tenait en ceci :
Depuis quarante ans, le vieil Elihu Willsson, le père de l’homme assassiné durant la nuit, possédait Personville corps et âme, cœur et tripes. Il était président et principal actionnaire de la Personville Mining Corporation, idem pour la First National Bank, propriétaire du Morning Herald et de l’Evening Herald, les deux seuls journaux de la ville, et détenait au minimum des parts dans presque toutes les entreprises ayant quelque importance. En plus de ces divers actifs, il avait dans sa poche un sénateur, deux ou trois membres de la Chambre des représentants, le gouverneur, le maire et la plupart des administrateurs de l’État. Elihu Willsson incarnait Personville et pratiquement l’État tout entier.
Durant la guerre, l’IWW, qui avait le vent en poupe dans tout l’ouest du pays, avait recruté en grand nombre les employés de la Personville Mining Corporation qui n’étaient pas particulièrement choyés, et avait utilisé cette force nouvelle pour imposer des revendications. Le vieil Elihu leur avait accordé le minimum, puis il avait attendu son heure.
Elle s’était présentée en 1921. Les affaires périclitaient. Il se moquait bien de fermer temporairement les usines ou non. Il avait déchiré les accords passés avec ses ouvriers et entrepris de les renvoyer à leurs conditions d’avant-guerre.
Bien entendu, la section locale avait demandé l’aide de la section centrale. Bill Quint avait été envoyé par le siège de l’IWW à Chicago pour organiser la riposte. Il était contre l’idée d’une grève, d’un débrayage pur et simple. Il recommandait la bonne vieille méthode du sabotage : poursuivre le travail en le sapant de l’intérieur. Mais ce n’était pas assez musclé pour les gars de Personville. Ils voulaient faire date, s’inscrire dans l’histoire du syndicalisme.
Ils avaient débrayé.
La grève avait duré huit mois. Le sang avait coulé abondamment des deux côtés. Les Wobbies n’avaient pu compter que sur eux-mêmes, pour cela. Le vieil Elihu, lui, avait engagé des mercenaires, des briseurs de grève, des membres de la garde nationale et même des soldats de l’armée régulière pour s’en charger à sa place. Quand le dernier crâne avait été fendu, la dernière côte brisée, la section syndicale de Personville n’était plus qu’un pétard sans poudre."
Dashiell Hammett
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