07 janvier 2023
"BOUQUINAGE" - 111
" “Quant à Morel... Tout a été dit là-dessus. Je crois que c’était un homme qui, dans la solitude, était allé encore plus loin que les autres – véritable exploit, soit dit en passant, car lorsqu’il s’agit de battre des records de solitude, chacun de nous se découvre une âme de champion. Il vient souvent me retrouver, pendant mes nuits d’insomnie, avec son air en rogne, les trois rides profondes de son front droit, têtu, sous les cheveux ébouriffés, et cette fameuse serviette à la main, bourrée de pétitions et de manifestes pour la défense de la nature, qui ne le quittait jamais. J’entends souvent sa voix me répéter, avec cet accent faubourien assez inattendu chez un homme qui avait, comme on dit, de l’éducation : “C’est bien simple, les chiens, ça suffit plus. Les gens se sentent drôlement seuls, ils ont besoin de compagnie, ils ont besoin de quelque chose de plus grand, de plus costaud, sur quoi s’appuyer, qui puisse vraiment tenir le coup. Les chiens ne suffisent plus, les hommes ont besoin des éléphants. Alors, je ne veux pas qu’on y touche.” Il me le déclare avec le plus grand sérieux et il frappe toujours un coup sec sur la crosse de sa carabine, comme pour donner plus de poids à ses paroles. On a dit de Morel qu’il était exaspéré par notre espèce et acculé à défendre contre elle une sensibilité excessive, les armes à la main. On a affirmé gravement qu’il était un anarchiste, décidé à aller plus loin que les autres, qu’il voulait rompre, non seulement avec la société, mais avec l’espèce humaine elle-même – “volonté de rupture” et “sortir de l’humain”, furent, je crois, les expressions les plus fréquemment employées par ces messieurs. Et comme s’il ne suffisait pas de ces sornettes, je viens de trouver dans une ou deux vieilles revues qui me sont tombées sous la main, à Fort-Archambault, une explication particulièrement magistrale. Il paraît que les éléphants que Morel défendait étaient entièrement symboliques et même poétiques, et que le pauvre homme rêvait d’une sorte de réserve dans l’Histoire, comparable à nos réserves africaines, où il serait interdit de chasser, et où toutes nos vieilles valeurs spirituelles, maladroites, un peu monstrueuses et incapables de se défendre, et tous nos vieux droits de l’homme, véritables survivants d’une époque géologique révolue, seraient conservés intacts pour la beauté du coup d’œil et pour l’édification dominicale de nos arrière-petits-enfants.” Saint-Denis se mit à rire silencieusement, en secouant la tête."
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06 janvier 2023
SFFF - 24 images par seconde [CIV]
2015
Ant-Man
Film de Peyton Reed
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"BOUQUINAGE" - 110
"L'humanité pansait ses plaies. Partout, les secours s'organisaient. Des centres d'accueil étaient montés pour les sinistrés qui avaient tout perdu.
La puissance industrielle de l'époque facilitait les choses. Des usines, dont la production était volontairement ralentie depuis longtemps pour éviter une pléthore, marchaient en plein rendement. Les régions épargnées par la catastrophe se couvraient de villes nouvelles préfabriquées et mises en place avec une rapidité jamais connue auparavant.
Les stocks d'aliments excédentaires, prudemment bloqués pour soutenir les prix agricoles des décades précédentes, se déversaient comme la manne céleste.
Quoique très durement éprouvée, l'Afrance était relativement indemne par rapport aux autres, et elle tenait la tête des nations secourables. Son potentiel économique et ses réserves immenses lui permettaient de faire face aux besoins énormes de toute l'humanité. C'était pour elle un simple problème d'organisation.
Mais des millions d'individus souffraient dans leur cœur après avoir souffert dans leur chair. Un nombre ahurissant d'hommes, de femmes et d'enfants ignoraient ce qu'étaient devenus leurs parents ou leurs amis.
Rassemblées au Grand Conseil Mondial, les autorités régulières et hâtivement reconstituées des divers pays jugèrent que la première chose dont il fallait s'occuper était (après le secours matériel) le secours moral. Il fallait faire cesser le plus vite possible la douloureuse incertitude qui torturait les masses.
Après avoir rapidement renoncé à encombrer les ondes par d'interminables litanies de messages personnels, voués le plus souvent à se perdre sans écho, et comme il était impossible d'établir des listes de victimes, on fit des listes de survivants."
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