28 novembre 2020
Friedrich Engels, 1820-2020
Friedrich Engels est né il y a 200 ans à Barmen, dans un milieu piétiste et bourgeois −son père était propriétaire d’une usine de textile−, dans cette Rhénanie-Westphalie qui avait déjà vu naître Karl Marx en 1818. (1)
Friedrich Engels-Karl Marx, Karl Marx-Friedrich Engels, deux figures majeures de l’histoire du "mouvement ouvrier", indissociables même si d’aucuns s’acharnent à les dissocier, en minorant l’apport d’Engels ou en le rendant responsable des avatars du "marxisme" !
Durant près de 40 ans, c’est ensemble qu’ils s’engagèrent dans l’action révolutionnaire et c’est de concert qu’ils menèrent un travail théorique décisif.

De la révolution européenne de 1848 à la Commune de Paris, de la Ligue des Communistes au Parti social-démocrate allemand en passant par l’Association Internationale des Travailleurs, leur étroite collaboration fut constante.
C’est à quatre mains qu’ils écrivirent des œuvres majeures et sans Engels, pas de Capital. Non seulement parce que son aide matérielle fut cruciale, mais surtout parce que leurs discussions concernant le domaine économique furent
permanentes, Marx n’hésitant jamais à demander des explications concrètes à son camarade familiarisé avec les pratiques des affaires et de l’industrie, grâce à sa position au sein de l’entreprise familiale. (2)
Et puis, Engels avait montré la voie dès 1843-1844 en rédigeant son "Esquisse d’une critique de l’économie politique" (3) que Marx qualifia de "géniale" dans un célèbre bilan d'étape. (4)
Car Engels fut souvent un précurseur et son ami n’avait aucune difficulté à en convenir : "tu sais que 1. tout vient tard chez moi et 2. que je marche toujours sur tes traces". (5)
Ainsi c’est Engels qui découvrit et analysa très tôt la situation des classes laborieuses en cette époque de "révolution industrielle", c’est lui qui initia une première critique de l’économie politique de la classe dominante, c’est lui qui prit d’abord en considération les travaux des principaux "socialistes" qui les précédèrent, c’est lui qui se rallia le premier au "communisme", c’est lui qui accorda un grand intérêt aux "sciences exactes"…
Mais Engels fut plus qu’un partenaire intellectuel et militant, il fut un véritable ami qui se sacrifia pour aider financièrement Marx et sa famille, souvent dans la dèche. C’est pourquoi il accepta de travailler pour son paternel, ce qui lui coutait beaucoup. (6)
Ce fut aussi Engels qui aida Marx à faire face à certaines turpitudes privées, notamment en assumant sa paternité adultérine ! (7)
Bon vivant, personnalité truculente, appréciant les femmes, capable de boire énormément, polyglotte, curieux de tout, "expert" en questions militaires (8) Engels était un homme aux multiples ressources, doté d'une force de travail peu commune.
Ainsi, après la mort de Marx, c’est lui qui travailla obstinément pour éditer les tomes 2 et 3 du Capital, et il joua un rôle considérable de "passeur" au sein de la social-démocratie allemande et de la nouvelle internationale fondée en 1889.
Engels succomba d’un cancer le 5 août 1895, laissant un vide immense dans le mouvement d’émancipation des travailleurs. (9)

Notes
- (1) Pour une biographie détaillée, je renvoie à la bibliographie proposée ci-dessous.
- (2) Voir : Marx-Engels, Lettres sur "Le Capital", Editions Sociales, Paris, 1964. Marx reconnut explicitement sa dette dans sa lettre du 16 août 1867 : "Voilà donc ce volume terminé. Si cela a été possible, c’est à toi et à toi seul que je le dois ! Sans ton dévouement pour moi, il m’aurait été impossible d’effectuer les travaux énormes nécessaires pour ces trois volumes." Marx-Engels, Correspondance – Tome IX, Editions Sociales, Paris, 1982, page 9.
- (3) Friedrich Engels, Esquisse d’une critique de l’économie politique in Ecrits de jeunesse – volume 2, Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2018, pages 83-112.
- (4) Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique (Préface de 1859), Editions du Progrès, Moscou, 1975, page 6.
- (5) Lettre de Marx à Engels le 4 juillet 1864, in Marx-Engels, Correspondance - Tome VII, Editions Sociales, Paris, 1979, page 248.
- (6) Très vite, confronté à cette sombre perspective, il s’agaçait : "… mais j’en ai eu déjà par-dessus la tête avant même d’avoir commencé à travailler ; le commerce est trop affreux (…) et ce qui est particulièrement affreux, c’est d’être non seulement un bourgeois, mais un fabricant ; un bourgeois qui intervient activement contre le prolétariat. (…) On doit pouvoir, tout en étant communiste, être, quant à sa situation extérieure, un bourgeois et un négociant, si toutefois on n’écrit pas ; mais faire de la propagande communiste en grand et en même temps du commerce et de l’industrie, ça ne va pas. J’en ai assez ; à Pâques, je m’en vais." Lettre à Marx du 20 janvier 1845, in Marx-Engels, Correspondance – Tome I, Editions Sociales, Paris, 1971, pages 357-358. Face aux difficultés matérielles des deux amis, en exil en Angleterre suite à la déferlante contre-révolutionnaire sur le continent, Engels reprit son travail d’associé au sein de l’entreprise familiale, en 1850. Et ce, pour une durée de 20 ans !
- (7) Le 23 juin 1851, Hélène Demuth −bonne de la famille− donna naissance à un fils, Henry Frederick (Freddy) Demuth, qu’Engels reconnut pour sauver le mariage de Marx !
- (8) D’où le surnom de "Général" affublé à Engels par Marx et ses proches…
- (9) Dans sa notice nécrologique, Lénine souligna qu’"après son ami Karl Marx (mort en 1883), Engels fut le savant et l’éducateur le plus remarquable du prolétariat contemporain dans le monde civilisé tout entier". Lénine, Œuvres Choisies – Tome 1, Editions du Progrès, Moscou, 1977, page 50.

Bibliographie
- Œuvres d’Engels
Ecrits de jeunesse [volume 1], Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2015
Ecrits de jeunesse [volume 2], Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2018
La situation de la classe laborieuse en Angleterre, Editions Sociales, Paris, 1975
Les principes du communisme, Les Editions Sociales, Paris, 2020
Anti-Dühring, Editions Sociales, Paris, 1973
Dialectique de la nature, Editions Sociales, Paris, 1975
L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, Editions Sociales, Paris, 1972
La guerre des paysans en Allemagne, Editions Sociales, Paris, 1974
La question du logement, Editions Sociales, Paris, 1969
- Œuvres de Marx et Engels
Annales franco-allemandes, Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2020
La Sainte Famille, Editions Sociales, Paris, 1972
L'idéologie allemande, Editions Sociales, Paris, 1976
Le Manifeste du Parti Communiste, Editions Sociales, Paris, 1971
La Nouvelle Gazette Rhénane [3 volumes], Editions Sociales, Paris, 1969-1971
Lettres sur "Le Capital", Editions Sociales, Paris, 1964
Sur la religion [textes choisis], Editions Sociales, Paris, 1972
Sur la littérature et l'art [textes choisis], Editions Sociales, Paris, 1954
Correspondance [12 tomes - Novembre 1835-Octobre 1874], Editions Sociales, Paris, 1971-1989
Correspondance [tome 13 1875-1880], Les Editions Sociales/GEME, Paris, 2020
- Biographies/essais
BRUHAT Jean, Marx-Engels, UGE-10/18, Paris, 1971
CLAUDIN Fernando, Marx, Engels et la révolution de 1848, Maspero, Paris, 1980
[Collectif], Souvenirs sur Marx et Engels, Editions du Progrès, Moscou, 1982
COLLIN Denis, Friedrich Engels, philosophe et savant, Bréal, Paris, 2020
CORNU Auguste, Karl Marx et Friedrich Engels, PUF, Paris, Tome 1, 1955 ; Tome 2, 1958 ; Tome 3, 1962 ; Tome 4, 1970
DELBRACIO Mireille et LABICA Georges (dir), Friedrich Engels, savant et révolutionnaire, PUF, Paris, 1997
GULLI Florian et QUETIER Jean, Découvrir Engels, Les Editions Sociales, Paris, 2020
HUNT Tristram, Engels, le gentleman révolutionnaire, Flammarion, Paris, 2009
RIAZANOV David, Marx et Engels, Anthropos, Paris, 1974
ROSDOLSKY Roman, Friedrich Engels et les peuples "sans histoire". La question nationale dans la révolution de 1848, Syllepse [Paris], Page Deux [Lausanne], M Editeur [Montréal], 2018
TEXIER Jacques, Révolution et démocratie chez Marx et Engels, PUF, Paris, 1998
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27 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [97]
"La folle du premier étage recommença, à rire, d’un rire aussi stupide, aussi morne que le rire de la hyène.
Joe, la tête enfoncée dans les épaules, comme s’il se fût attendu à recevoir un coup sur la nuque, se hâta le long du couloir sombre et descendit l’escalier qui menait au sous-sol. Il fut heureux de retrouver enfin la chambre qu’il partageait avec Sam Garland, le chauffeur du docteur Travers. Garland, en bras de chemise, était étendu sous une couverture sur son petit lit de camp. Son large visage réjoui était tourné vers le plafond, et ses yeux clos.
− Quelle nuit ! s’exclama-t-il quand Joe entra. Je ne me souviens pas d’en avoir vu de pire cette année !
− Ni de plus lugubre ! ajouta Joe, s’approchant de la cheminée pour se laisser tomber dans un fauteuil. Y a là-haut une bonne femme qui braille et qui rit à vous donner la chair de poule. Ça me porte sur le système."
[James Hadley Chase, La chair de l’orchidée, 1948]
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26 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [96]
"Je m’arrête. Elle me laisse planté là pendant qu’elle finit son porto, pose le verre sur la table et le remplit à nouveau. Puis elle se tamponne les lèvres avec son mouchoir. Et enfin, elle parle. Le ton de sa voix −baryton un peu rêche− ne vous donne pas envie de badiner.
− Asseyez-vous, monsieur Marlowe. Je vous en prie, n’allumez pas cette cigarette. Je suis asthmatique.
Je prends place dans un fauteuil à bascule en rotin et je fais disparaître la cigarette en souffrance derrière ma pochette.
− Je n’ai jamais eu affaire à un détective privé, monsieur Marlowe. J’ignore tout de cette profession. Vos références me semblent satisfaisantes. Quel est votre tarif ?
− Pour faire quoi, madame Murdock ?
− Il s’agit évidemment d’une affaire très confidentielle. Rien à voir avec la police. Si c’était une affaire qui concerne la police, c’est à la police que je me serais adressée.
− Je prends vingt-cinq dollars par jour, madame Murdock. Plus les frais évidemment.
− Cela me paraît cher. Vous devez gagner beaucoup d’argent.
Elle s’envoie une autre lampée de porto. Je n’aime pas le porto par temps chaud, mais c’est agréable de pouvoir refuser.
− Non. Ce n’est pas cher, je lui dis. Evidemment, il y a des détectives à tous les prix. Comme des avocats. Ou des dentistes. Mais je ne suis pas une société. Je travaille seul et je ne prends qu’une affaire à la fois. Je cours des risques, de très gros risques parfois, et je ne travaille pas tout le temps. Non, je ne pense pas que vingt-cinq dollars par jour ce soit trop demander."
[Raymond Chandler, La grande fenêtre, 1942]
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25 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [95]
"− Tu es cinglé, répondit Dolan. Je ne suis pas communiste.
− Tu es communiste, seulement tu l’ignores. Tu vomis la façon dont cette ville est administrée, tu vomis la façon dont le Petit Théâtre est dirigé -tu vomis toute cette publicité grotesque des postes de radio, tu vomis les curés et les prédicateurs qui rampent, qui quémandent, qui font la chasse aux fidèles, tu vomis le régime établi. Tu me l’as dit au moins cent fois, nom de Dieu !...
− Ecoute, dit Dolan en retirant son chapeau. Cette discussion pourrait durer toute la nuit. Il se peut que je sois communiste. Si je le suis, je n’en sais rien. Mais je déteste vraiment tout ce dont tu as parlé, et pas mal de choses dont tu n’as rien dit, telles que ces combines du Jour des Mères et du Jour des Pères, mais je hais tout particulièrement tous ces salauds qui s’affublent de robes noires et de cagoules et emmènent les gens dans le fond de la vallée pour les fouetter à mort, pour les châtrer et leur faire embrasser le drapeau. Il se peut que j’aie besoin de discipline et d’organisation ; il se peut que plus tard je demande à quelqu’un de m’initier. Mais je n’ai pas de temps à perdre, pour le moment. Tout ce qui m’importe, c’est de bousiller cette combine de Croisés, et je le ferai, quand bien même ça devrait être mon dernier acte sur terre…
− Tu t’enrichiras à ce jeu, répondit Bishop avec une trace d’ironie.
− Oh, je m’en fous, un linceul n’a pas de poches répliqua Dolan."
[Horace Mac Coy, Un linceul n’a pas de poches, 1937]
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24 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [94]
"Spade demeura immobile dans son fauteuil jusqu’à ce que le Gros lui ait tendu à boire dans un geste ample accompagné d’une petite courbette et d’un facétieux : «Ah, cher monsieur, voilà un médicament qui ne vous fera jamais de mal !» Le détective se leva alors et il se campa tout près de lui, le dominant d’un regard dur et brillant. Il leva son verre. D’une voix délibérément provocatrice, il déclara : «A un dialogue sincère et à une franche compréhension.»
Son hôte gloussa et ils burent. Le Gros s’assit. Il posa son verre sur son ventre, entre ses mains, et sourit à Spade : «Bon, cher monsieur, il est surprenant, mais peut-être s’agit-il là d’un fait objectif, qu’aucun des deux ne sache ce qu’est cet oiseau exactement, et que personne sur cette planète bénie de Dieu ne sache ce qu’il représente, à la seule et unique exception de votre humble serviteur, Casper Gutman, Esquire.
− Formidable», commenta Spade qui se tenait jambes écartées, une main dans une poche de pantalon, l’autre autour de son verre."
[Dashiell Hammett, Le faucon maltais, 1930]
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23 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [93]
"Maigret s’était rarement senti aussi dépaysé, comme en dehors de la vie normale, avec un malaise semblable à celui qui nous prend quand, dans un rêve, le sol se dérobe sous nos pieds.
Dans les rues enneigées, les rares passants marchaient en s’efforçant de garder l’équilibre, les voitures, les taxis, les autobus roulaient au ralenti tandis qu’un peu partout des camions de sable ou de sel longeaient au pas les trottoirs.
Derrière presque toutes les fenêtres brûlaient des lampes électriques et la neige tombait toujours d’un ciel gris ardoise.
Il aurait presque pu dire ce qui se passait dans chacune de ces petites cases où les humains respiraient. Depuis plus de trente ans, il avait appris à connaître Paris quartier par quartier, rue par rue, et pourtant, ici, il se sentait plongé dans un monde différent, où les réactions des êtres étaient imprévisibles.
Comment vivait Félix Nahour, quelques heures plus tôt encore ? Quelles étaient ses relations exactes avec ce secrétaire qui n’en était pas un, avec sa femme et ses deux enfants ? Pourquoi ceux-ci étaient-ils sur la Côte d’Azur et pourquoi…
Il y avait tant de pourquoi qu’il ne pouvait que les aborder un à un. Rien n’était clair. Rien n’était net. Rien ne se passait comme dans d’autres familles, d’autres foyers."
[Georges Simenon, Maigret et l’affaire Nahour, 1966]
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22 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [92]
"Trois semaines plus tard, le Saint déjeunait lorsque le facteur apporta un paquet qui portait le timbre d’Italie.
Simon l’ouvrit. Patricia était penchée sur son épaule.
Il y avait d’abord, sous enveloppe, un chèque sur la banque d’Italie à Londres, dont le montant fit sursauter Simon.
Puis il prit un écrin de maroquin qu’il considéra curieusement. Il pressa du doigt le bouton doré. Le couvercle se souleva.
«Qu’est-ce que c’est ? demanda Patricia
− Une décoration italienne de l’ordre le plus élevé. Pat, je crois que je t’avais promis un chapeau neuf ?»"
[Leslie Charteris, Le Saint à Londres, 1956]
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21 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [91]
"− Exactement. Vous avez raconté des histoires de fantômes −et des plus déplaisantes, j’imagine !−, le soir, en présence d’une femme qui était déjà la proie de terreurs inavouées. Aussi ne souhaita-t-elle qu’une chose : pouvoir s’endormir dès qu’elle poserait la tête sur l’oreiller, afin de ne pas voir rôder autour d’elle dans l’ombre sorcières et fantômes. Je ne suis pas surpris que vous n’ayez rien remarqué, vous, mais que cela ait échappé à l’attention de la famille Despard me dépasse vraiment ! L’influence des Despard semble vous être néfaste à tous deux. Ils font aisément crédit au surnaturel…
Au dehors, il y eut un sourd roulement de tonnerre et la pluie se mit à battre les vitres. Stevens se sentait soulagé de tous ses soucis, à l’exception d’un seul :
− Oui, dit-il, ce que vous dites est vrai, mais il n’en reste pas moins que le corps d’un homme a disparu de la crypte…"
[John Dickson Carr, La chambre ardente, 1937]
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