29 juillet 2018
Marx dans le texte (15)
(...) « Un livre qui m'a beaucoup intéressé, c'est l'HISTOIRE DE LA FORMATION ET DU PROGRES DU TIERS-ETAT d'Augustin Thierry, paru en 1853. C'est curieux de voir comment ce monsieur, qui est le père de la «lutte de classes» dans l'historiographie française, se déchaîne dans sa préface contre les «Jeunes historiens» qui voient, eux aussi, maintenant un antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat, et qui veulent découvrir déjà des traces de cette opposition spécifique dans l'histoire du tiers-état jusqu'en 1789. (...)
Si M. Thierry avait lu nos travaux, il saurait que l'antagonisme caractérisé entre la bourgeoisie et le peuple ne commence naturellement à exister qu'à partir du moment où la bourgeoisie cesse de faire face, sous le nom de tiers-état, à la noblesse et au clergé. En ce qui concerne «les racines dans l'histoire» d'un « antagonisme d'hier», son livre apporte la meilleure preuve que ces «racines» naissent avec la naissance même du tiers-état. (...)
Ce qui m'a intéressé, c'est de voir, à travers les documents qu'il cite, que le mot «catalla, capitalia», le capital, apparaît avec la formation des communes. En outre, il prouve, sans le vouloir, que la chose qui freina le plus la bourgeoisie française dans sa marche victorieuse, c'est qu'elle ne se décida à faire cause commune avec les paysans qu'en 1789 » (...)
[Lettre de Karl Marx à Friedrich Engels, 27 juillet 1854]
(...) « En étudiant le merdier espagnol, je suis tombé aussi sur le digne Chateaubriand, ce styliste prétentieux, qui allie de la façon la plus écoeurante le scepticisme et le voltairianisme distingués du XVIIIème siècle au sentimentalisme et au romantisme également distingués du XIXème siècle. Cette conjonction ne pouvait naturellement manquer de faire date en France sur le plan du style, bien que même dans le style le côté faux, en dépit des prouesses d'artiste, saute aux yeux à maintes reprises » (...)
[Lettre de Karl Marx à Friedrich Engels, 26 octobre 1854]
(...) « Bacon dit que les véritables grands hommes ont tant de relations avec la nature et le monde, qu'ils s'intéressent à tant de choses qu'ils se consolent rapident de toute perte. Je ne fais pas partie de ces grands hommes. La mort de mon enfant a profondément bouleversé mon coeur et ébranlé mon esprit et je ressens cette perte aussi vivement qu'au premier jour. Ma pauvre femme, elle aussi, est complètement brisée » (...)
[Lettre de Karl Marx à Ferdinand Lassalle, 28 juillet 1855]
« Les soi-disant révolutions de 1848 n´ont été que de simples incidents, de menues cassures et lézardes dans la dure écorce de la société européenne. Mais elles y découvraient un gouffre. Sous une surface d´apparence solide, elles révélèrent des océans de masse liquide qui n´a qu´à s´épandre pour faire voler en éclats des continents de roche dure. Elles proclamèrent bruyamment et confusément l´émancipation du prolétariat, ce mystère du XIXe siècle et de la révolution de ce siècle.
En vérité, cette révolution sociale n´était pas une nouveauté inventée en 1848. La vapeur, l´électricité et le métier à filer étaient des révolutionnaires infiniment plus dangereux que des citoyens de la stature d´un Barbès, d´un Raspail et d´un Blanqui. Cependant, quoique l´atmosphère dans laquelle nous vivons fasse peser sur chacun de nous un poids de 20 000 livres, vous en apercevez-vous ? Pas plus que la société européenne d´avant 1848 ne s'apercevait de l´atmosphère révolutionnaire qui l´enveloppait et l´oppressait de toutes parts.
Il est un fait écrasant qui caractérise notre XIXe siècle, un fait qu´aucun parti n´ose contester. D´un côté, des forces industrielles et scientifiques se sont éveillées à la vie, qu´aucune époque antérieure de l´histoire humaine ne pouvait même soupçonner. De l´autre côté, apparaissent des signes de déclin qui éclipsent les horreurs relevées lors de la dernière période de l'Empire romain.
De nos jours, chaque chose paraît grosse de son contraire. Nous voyons que les machines douées du merveilleux pouvoir de réduire le travail humain et de le rendre fécond le font dépérir et s´exténuer. Les sources de richesse nouvellement découvertes se changent, par un étrange sortilège, en sources de détresse. Il semble que les triomphes de la technique s´achètent au prix de la déchéance morale.
A mesure que l´humanité maîtrise la nature, l´homme semble devenir l'esclave de ses pareils ou de sa propre infamie. Même la pure lumière de la science semble ne pouvoir luire autrement que sur le fond obscur de l'ignorance. Toutes nos découvertes et tous nos progrès semblent avoir pour résultat de doter de vie intellectuelle les forces matérielles et de dégrader la vie humaine à une force matérielle. Cet antagonisme entre l´industrie et la science modernes d´autre part, et la misère et la décomposition morale d'autre part, cet antagonisme entre les forces productives et les rapports sociaux de notre époque est un fait tangible, écrasant et impossible à nier.
Tels partis le déplorent, d´autres souhaitent se débarrasser de la technique moderne, pour peu qu´ils se délivrent des conflits modernes ; ou bien s'imaginent qu´un progrès aussi important dans l´industrie doit nécessairement s´accompagner d´une régression non moins considérable en politique. Pour notre part, nous ne nous abusons pas quant à la nature de l'esprit retors qui ne cesse d´imprégner toutes ces contradictions. Nous savons que pour faire oeuvre utile les forces nouvelles de la société ont besoin d´une chose, à savoir d´hommes nouveaux qui maîtrisent ces forces ; et ces hommes nouveaux, ce sont les travailleurs. Ils sont tout autant une invention des temps modernes que les machines elles-mêmes. Dans les symptômes qui déconcertent la bourgeoisie, l´aristocratie et les piètres prophètes de la régression, nous retrouvons notre brave ami, Robin Goodfellow, la vieille taupe capable de travailler si vite sous terre, l´excellent mineur - la révolution. Les travailleurs anglais sont les pionniers de l´industrie moderne. Ils ne seront certainement pas les derniers à venir à l´aide de la révolution sociale engendrée par cette industrie, une révolution qui signifie l'émancipation de leur propre classe et de l´esclavage salarié. Je sais les luttes héroïques que les ouvriers anglais ont menées depuis le milieu du siècle dernier, luttes moins glorifiées parce qu' oubliées et mises sous le boisseau par les historiens bourgeois.
Pour faire expier les méfaits commis par les classes dominantes, il existait en Allemagne au Moyen Age un tribunal secret, dit Sainte-Vehme. Si on voyait une croix rouge tracée sur un mur, on savait que le propriétaire de la maison était condamné par la Vehme. Toutes les maisons en Europe sont à présent marquées par la mystérieuse croix rouge. Le juge, c´est l´histoire - l'exécuteur du verdict, c´est le prolétariat »
[Discours de Karl Marx, Fête de « The People's Paper », journal des Chartistes de Londres, 14 avril 1856]
(... ) « Nota bene, en ce qui concerne des points à mentionner ici et à ne pas oublier :
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La guerre développée antérieurement à la paix : montrer comment par la guerre et dans les armées, etc., certains rapports économiques, comme le travail salarié, le machinisme, etc., se sont développés plus tôt qu'à l'intérieur de la société bourgeoise. De même le rapport entre la force productive et les rapports de circulation particulièrement manifeste dans l'armée.
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Rapport entre l'histoire idéaliste telle qu'on l'a écrite jusqu'ici et l'histoire réelle. En particulier celles qui se disent histoires de la civilisation, et qui sont toutes histoires de la religion et des États. (A cette occasion, on peut aussi parler des différents genres d'histoire écrite jusqu'à maintenant. L'histoire dite objective. La subjective (morale, etc.). La philosophique).
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Phénomènes secondaires et tertiaires. D'une façon générale, rapports de production dérivés, transférés, non originaux. Ici entrée en jeu de rapports internationaux.
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Reproches au sujet du matérialisme de cette conception. Rapport avec le matérialisme naturaliste.
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Dialectique des concepts forces productives (moyens de production) et rapports de production, dialectique dont les limites sont à déterminer et qui ne supprime pas la différence réelle.
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Le rapport inégal entre le développement de la production matérielle et celui de la production artistique par exemple. D'une manière générale, ne pas prendre l'idée de progrès sous la forme abstraite habituelle. Art moderne, etc.. Cette disproportion est loin d'être aussi importante, ni aussi difficile à saisir que celle qui se produit à l'intérieur des rapports sociaux pratiques. Par exemple, de la culture. Rapport des États-Unis avec l'Europe. Mais la vraie difficulté à discuter ici est celle-ci : comment les rapports de production, en prenant la forme de rapports juridiques, suivent un développement inégal. Ainsi, par exemple, le rapport entre le droit privé romain (pour le droit criminel et le droit public c'est moins le cas) et la production moderne.
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Cette conception apparaît comme un développement nécessaire. Mais justification du hasard. Comment. (La liberté notamment aussi.) (Influence des moyens de communication. L'histoire universelle n'a pas toujours existé; l'histoire considérée comme histoire universelle est un résultat)
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Le point de départ naturellement dans les déterminations naturelles; subjectivement et objectivement. Tribus, races, etc.
Pour l'art, on sait que certaines époques de floraison artistique ne sont nullement en rapport avec le développement général de la société, ni par conséquent avec celui de sa base matérielle, qui est pour ainsi dire l'ossature de son organisation. Par exemple les Grecs comparés aux modernes, ou encore Shakespeare. Pour certaines formes de l'art, l'épopée par exemple, il est même reconnu qu'elles ne peuvent jamais être produites dans la forme classique où elles font époque, dès que la production artistique apparaît en tant que telle; que donc, dans le domaine de l'art lui-même, certaines de ses créations importantes ne sont possibles qu'à un stade inférieur du développement artistique. Si cela est vrai du rapport des différents genres artistiques à l'intérieur du domaine de l'art lui-même, Il est déjà moins surprenant que cela soit également vrai du rapport du domaine artistique tout entier au développement général de la société. La difficulté ne réside que dans la manière générale de saisir ces contradictions. Dès qu'elles sont spécifiées, elles sont par là même expliquées.
Prenons, par exemple, le rapport de l'art grec d'abord, puis de l'art de Shakespeare avec notre temps. On sait que la mythologie grecque n'a pas été seulement l'arsenal de l'art grec, mais la terre même qui l'a nourri. La façon de voir la nature et les rapports sociaux qui inspire l'imagination grecque et constitue de ce fait le fondement de la mythologie grecque est-elle compatible avec les Selfactors [machines à filer automatiques], les chemins de fer, les locomotives et le télégraphe électrique ? Qu'est-ce que Vulcain auprès de Roberts and Co, Jupiter auprès du paratonnerre et Hermès auprès du Crédit mobilier ? Toute mythologie maîtrise, domine les forces de la nature dans le domaine de l'imagination, et par l'imagination, et leur donne forme : elle disparaît donc quand ces forces sont dominées réellement. Que devient Fama à côté de Printing-house square ?
L'art grec suppose la mythologie grecque, c'est-à-dire l'élaboration artistique mais inconsciente de la nature et des formes sociales elles-mêmes par l'imagination populaire. Ce sont là ses matériaux. Ce qui ne veut pas dire n'importe quelle mythologie, c'est-à-dire n'importe quelle élaboration artistique inconsciente de la nature (ce mot sous-entendant ici tout ce qui est objectif, donc y compris la société). Jamais la mythologie égyptienne n'aurait pu fournir un terrain favorable à l'éclosion de l'art grec. Mais il faut en tout cas une mythologie. Donc en aucun cas une société arrivée à un stade de développement excluant tout rapport mythologique avec la nature, tout rapport générateur de mythes, exigeant donc de l'artiste une imagination indépendante de la mythologie.
D'autre part, Achille est-il compatible avec la poudre et le plomb ? Ou, somme toute, l'Iliade avec la presse ou encore mieux la machine à imprimer ? Est-ce que le chant, le poème épique, la Muse ne disparaissent pas nécessairement devant la barre du typographe, est-ce que ne s'évanouissent pas les conditions nécessaires de la poésie épique ?
Mais la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liés à certaines formes du développement social. La difficulté réside dans le fait qu'ils nous procurent encore une jouissance esthétique et qu'ils ont encore pour nous, à certains égards, la valeur de normes et de modèles inaccessibles.
Un homme ne peut redevenir enfant, sous peine de tomber dans la puérilité. Mais ne prend-il pas plaisir à la naïveté de l'enfant et, ayant accédé à un niveau supérieur, ne doit-il pas aspirer lui-même à reproduire sa vérité ? Dans la nature enfantine, chaque époque ne voit-elle pas revivre son propre caractère dans sa vérité naturelle ? Pourquoi l'enfance historique de l'humanité, là où elle a atteint son plus bel épanouissement, pourquoi ce stade de développement révolu à jamais n'exercerait-il pas un charme éternel ? Il est des enfants mal élevés et des enfants qui prennent des airs de grandes personnes. Nombre de peuples de l'antiquité appartiennent à cette catégorie. Les Grecs étaient des enfants normaux. Le charme qu'exerce sur nous leur art n'est pas en contradiction avec le caractère primitif de la société où il a grandi. Il en est bien plutôt le produit et il est au contraire indissolublement lié au fait que les conditions sociales insuffisamment mûres où cet art est né, et où seulement il pouvait naître, ne pourront jamais revenir »
[Karl Marx, Introduction à la critique de l'Economie politique, 1857]
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28 juillet 2018
Marx dans le texte (14)
(...) « Maintenant, en ce qui me concerne, ce n'est pas à moi que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu'elles s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l'évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l'anatomie économique. Ce que j'ai apporté de nouveau, c'est :
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de démontrer que l'existence des classes n'est liée qu'à des phases historiques déterminées du développement de la production ;
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que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ;
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que cette dictature elle-même ne représente qu'une transition vers l'abolition de toutes les classes et vers une société sans classes » (...)
[Lettre de Karl Marx à Joseph Weydemeyer, 5 mars 1852]
(...) « Bonne chance pour le nouveau citoyen du monde ! On ne peut venir au monde à une époque plus formidable que de nos jours. Lorsqu'on ira en 7 jours de Londres à Calcutta, nous aurons depuis longtemps la tête tranchée ou le chef branlant. Et l'Australie, la Californie, et l'Océan Pacifique ! Les nouveaux citoyens ne comprendront plus à quel point notre monde était exigu » (...)
[Lettre de Karl Marx à Joseph Weydemeyer, 25 mars 1852]
(...) « La révolution pourrait se produire plus tôt que nous le souhaitons. Rien n'est pire pour des révolutionnaires que d'avoir à se préoccuper de l'approvisionnement en pain » (...)
[Lettre de Karl Marx à Friedrich Engels, 19 août 1852]
(...) « N'est-il pas sot celui qui s'étonne de ce que les écoliers savent, à savoir que la vérité naît de la controverse et qu'on ne peut dégager les faits historiques que par des affirmations contradictoires » (...)
[Lettre de Karl Marx à Friedrich Engels, 3 septembre 1853]
(...) « J'ai l'intention de déclarer publiquement, à la prochaine occasion, que je ne suis lié à aucun parti. Je n'accepte plus dorénavant de me laisser injurier par n'importe quel âne, membre du parti, sous le couvert du parti » (...)
[Lettre de Karl Marx à Friedrich Engels, 8 octobre 1853]
« Je regrette profondément d’être dans l’impossibilité, pour le moment tout au moins, de quitter Londres et d’être ainsi empêché d’exprimer de vive voix mes sentiments de fierté et de gratitude pour l’invitation à siéger comme Délégué honoraire du Parlement ouvrier. La simple convocation d’un tel parlement marque une nouvelle époque dans l’histoire du monde. La nouvelle de ce grand événement éveillera les espérances de la classe ouvrière à travers l’Europe et l’Amérique.
Plus que tout autre pays, la Grande-Bretagne a vu se développer au plus haut degré le despotisme du capital et l’esclavage du travail. En aucun autre pays, les conditions intermédiaires entre le millionnaire commandant à des armées industrielles entières et l’esclave salarié, qui ne vit qu’au jour le jour, n’ont été aussi progressivement balayées de la surface de la terre. Là, il n’existe plus, comme dans les pays continentaux, de grandes classes de paysans et d’artisans qui dépendent presque autant de leur propriété que de leur propre travail. Un divorce complet entre la propriété et le travail s’est produit en Grande-Bretagne. C’est pourquoi, en aucun autre pays, la guerre entre les deux classes qui constituent la société moderne n’a pris des dimensions si colossales et des traits si distincts et palpables.
Mais c’est précisément pour ces raisons que la classe ouvrière de Grande-Bretagne est plus que toute autre apte et appelée à agir à la tête du grand mouvement qui doit aboutir à l’émancipation absolue du travail. Elle l’est en raison de la claire conscience de sa situation, de son immense supériorité numérique, des désastreuses luttes de son passé, de sa force morale dans le présent.
Ce sont les millions d’ouvriers de Grande-Bretagne qui ont, les premiers, jeté les bases réelles d’une nouvelle société ㅡl’industrie moderne, laquelle a transformé les forces destructives de la nature en puissance productive de l’homme. Avec une invincible énergie, à la sueur de leurs fronts et de leurs cerveaux, les travailleurs anglais ont créé des moyens d’ennoblir le travail lui-même et de multiplier ses fruits à un degré tel que l’abondance générale est devenue possible.
En créant les inépuisables forces productives de l’industrie moderne, ils ont rempli la première condition de l’émancipation du travail. Il leur faut maintenant en réaliser la seconde. Il leur faut libérer ces forces productrices de richesse des chaînes infâmes du monopole et les soumettre au contrôle commun des producteurs, lesquels, jusqu’à présent, ont permis que les produits même de leurs mains se tournent contre eux et se changent en autant d’instruments de leur propre asservissement.
La classe laborieuse a conquis la nature; elle doit maintenant conquérir les hommes. Pour réussir dans cette entreprise, il ne lui manque pas la force mais l’organisation de sa force commune, l’organisation de la classe laborieuse à une échelle nationale; tel est, à mon avis, le grand et glorieux objectif vers lequel tend le Parlement ouvrier.
Si le Parlement se montre fidèle à l’idée qui lui a donné vie, tel historien futur devra rappeler qu’en l’année 1854, il existait deux parlements en Angleterre, un parlement à Londres et un parlement à Manchester ㅡ un parlement des riches et un parlement des pauvres ㅡ, mais que des hommes siégeaient seulement au parlement des travailleurs et non au parlement des maîtres.
Votre très dévoué »
[Lettre de Karl Marx au « Parlement Ouvrier », 9 mars 1854]
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22 juillet 2018
Marx dans le texte (13)
(...) « Pour le moment, ma nouvelle théorie de la rente ne m'a apporté que la bonne conscience à laquelle aspire nécessairement tout homme de bien. Je suis en tout cas content que tu en sois satisfait. Un rapport inversement proportionnel entre la fertilité de la terre et la fertilité humaine ne pouvait qu'affecter profondément le puissant père de famille que je suis, d'autant plus que mon mariage est plus productif que mon industrie » (...)
[Lettre de Karl Marx à Friedrich Engels, 3 février 1851]
(...) « Cet isolement authentique, public, dans lequel nous vivons, toi et moi, me plaît beaucoup. Il répond tout à fait à notre position et à nos principes. Tout ce système de concessions réciproques et de demi-mesures qu'on tolère au nom des convenances, le devoir d'assumer aux yeux du public sa part de ridicule dans le parti en compagnie de tous ces ânes, tout cela a maintenant pris fin » (...)
[Lettre de Karl Marx à Friedrich Engels, 11 février 1851]
(...) « Le pire est que je suis soudainement arrêté dans mes études en bibliothèque. Je suis si avancé que, dans cinq semaines, j'en aurais terminé avec toute cette merde d'économie. Et cela fait, c'est chez moi que je rédigerai l'Economie politique, tandis qu'au Museum je me lancerai dans une autre science. Ca commence à m'ennuyer. Au fond, cette science, depuis A. Smith et D. Ricardo, n'a plus fait aucun progrès, malgré toutes les recherches particulières et souvent extrêmement délicates auxquelles on s'est livré » (...)
[Lettre de Karl Marx à Friedrich Engels, 2 avril 1851]
(...) « Et après les derniers événements, je suis plus convaincu que jamais, qu'il n'y aura pas de révolution sérieuse sans crise commerciale » (...)
[Lettre de Karl Marx à Ferdinand Freiligrath, 27 décembre 1851]
(...) « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1851 pour la Montagne de 1793 à 1795, le neveu pour l'oncle. (...)
Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l'histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté. C'est ainsi que Luther prit le masque de l'apôtre Paul, que la Révolution de 1789 à 1814 se drapa successivement dans le costume de la République romaine, puis dans celui de l'Empire romain, et que la révolution de 1848 ne sut rien faire de mieux que de parodier tantôt 1789, tantôt la tradition révolutionnaire de 1793 à 1795. C'est ainsi que le débutant qui apprend une nouvelle langue la retraduit toujours en pensée dans sa langue maternelle, mais il ne réussit à s'assimiler l'esprit de cette nouvelle langue et à s'en servir librement que lorsqu'il arrive à la manier sans se rappeler sa langue maternelle, et qu'il parvient même à oublier complètement cette dernière.
L'examen de ces conjurations des morts de l'histoire révèle immédiatement une différence éclatante. Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française, accomplirent dans le costume romain et en se servant d'une phraséologie romaine la tâche de leur époque, à savoir l'éclosion et l'instauration de la société bourgeoise moderne. Si les premiers brisèrent en morceaux les institutions féodales et coupèrent les têtes féodales, qui avaient poussé sur ces institutions, Napoléon, lui, créa, à l'intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu'à l'extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire pour créer à la société bourgeoise en France l'entourage dont elle avait besoin sur le continent européen. La nouvelle forme de société une fois établie, disparurent les colosses antédiluviens, et, avec eux, la Rome ressuscitée : les Brutus, les Gracchus, les Publicola, les tribuns, les sénateurs et César lui-même. La société bourgeoise, dans sa sobre réalité, s'était créé ses véritables interprètes et porte-parole dans la personne des Say, des Cousin, des Royer-Collard, des Benjamin Constant et des Guizot. Ses véritables capitaines siégeaient derrière les comptoirs, et la «tête de lard» de Louis XVIII était sa tête politique. Complètement absorbée par la production de la richesse et par la lutte pacifique de la concurrence, elle avait oublié que les spectres de l'époque romaine avaient veillé sur son berceau. Mais si peu héroïque que soit la société bourgeoise, l'héroïsme, l'abnégation, la terreur, la guerre civile et les guerres extérieures n'en avaient pas moins été nécessaires pour la mettre au monde. Et ses gladiateurs trouvèrent dans les traditions strictement classiques de la République romaine les idéaux et les formes d'art, les illusions dont ils avaient besoin pour se dissimuler à eux-mêmes le contenu étroitement bourgeois de leurs luttes et pour maintenir leur enthousiasme au niveau de la grande tragédie historique. C'est ainsi qu'à une autre étape de développement, un siècle plus tôt, Cromwell et le peuple anglais avaient emprunté à l'Ancien Testament le langage, les passions et les illusions nécessaires à leur révolution bourgeoise. Lorsque le véritable but fut atteint, c'est-à-dire lorsque fut réalisée la transformation bourgeoise de la société anglaise, Locke évinça Habacuc.
La résurrection des morts, dans ces révolutions, servit par conséquent à magnifier les nouvelles luttes, non à parodier les anciennes, à exagérer dans l'imagination la tâche à accomplir, non à se soustraire à leur solution en se réfugiant dans la réalité, à retrouver l'esprit de la révolution et non à évoquer de nouveau son spectre.
La période de 1848 à 1851 ne fit qu'évoquer le spectre de la grande Révolution française, depuis Marrast, le républicain en gants jaunes, qui prit la défroque du vieux Bailly, jusqu'à l'aventurier qui dissimule ses traits d'une trivialité repoussante sous le masque mortuaire de fer de Napoléon. Tout un peuple qui croit s'être donné, au moyen d'une révolution, une force de mouvement accrue se trouve brusquement transporté dans une époque abolie, et pour qu'aucune illusion concernant cette rechute ne soit possible, réapparaissent les anciennes dates, l'ancien calendrier, les anciens noms, les anciens édits tombés depuis longtemps dans le domaine des érudits et des antiquaires, et tous les vieux sbires qui semblaient depuis longtemps tombés en décomposition. La nation entière se conduit comme cet Anglais toqué de Bedlam, qui s'imaginait vivre à l'époque des anciens Pharaons et se plaignait tous les jours des pénibles travaux qu'il était obligé d'accomplir comme mineur dans les mines d'or d'Ethiopie, emmuré dans cette prison souterraine, avec, sur la tête, une lampe éclairant misérablement, derrière lui, le gardien d'esclaves armé d'un long fouet, et, aux issues, toute une foule de mercenaires barbares qui ne comprenaient ni les ouvriers astreints au travail des mines, ni ne se comprenaient entre eux, ne parlant pas la même langue. «Et tout cela, ainsi se lamentait-il, m'est imposé, à moi, libre citoyen de la Grande-Bretagne, pour extraire de l'or au profit des anciens Pharaons ! » «Pour payer les dettes de la famille Bonaparte», se lamente la nation française. Tant qu'il avait sa raison, l'Anglais ne pouvait se débarrasser de l'idée fixe de faire de l'or, les Français, tant qu'ils firent leur révolution, ne purent se débarrasser des souvenirs napoléoniens, comme l'a prouvé l'élection du 10 décembre [1848]. Ils éprouvaient le désir d'échapper aux dangers de la révolution en retournant aux marmites de l'Egypte, et le 2 décembre 1851 fut la réponse. Ils n'ont pas reçu seulement la caricature du vieux Napoléon, ils ont reçu le vieux Napoléon, lui-même sous un aspect caricatural, l'aspect sous lequel il apparaît maintenant au milieu du XIX° siècle.
La révolution sociale du XIX° siècle ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l'avenir. Elle ne peut pas commencer avec elle-même avant d'avoir liquidé complètement toute superstition à l'égard du passé. Les révolutions antérieures avaient besoin de réminiscences historiques pour se dissimuler à elles-mêmes leur propre contenu. La révolution du XIX° siècle doit laisser les morts enterrer leurs morts pour réaliser son propre objet. Autrefois, la phrase débordait le contenu, maintenant, c'est le contenu qui déborde la phrase.
La révolution de Février fut un coup de main réussi par surprise contre l'ancienne société, et le peuple considéra ce coup de main heureux comme un événement historique ouvrant une nouvelle époque. Le 2 décembre, la révolution de Février est escamotée par le tour de passe-passe d'un tricheur, et ce qui semble avoir été renversé, ce n'est plus la monarchie, ce sont les concessions libérales qui lui avaient été arrachées au prix de luttes séculaires. Au lieu que la société elle-même se soit donné un nouveau contenu, c'est l'État qui paraît seulement être revenu à sa forme primitive, à la simple domination insolente du sabre et du goupillon. C'est ainsi qu'au coup de main de février 1848 répond le «coup de tête» de décembre 1851. Aussi vite perdu que gagné. Malgré tout, la période intermédiaire ne s'est pas écoulée en vain. Au cours des années 1848 à 1851, la société française, par une méthode plus rapide, parce que révolutionnaire, a rattrapé les éludes et les expériences qui, si les événements s'étaient développés de façon régulière, pour ainsi dire académique, eussent dû précéder la révolution de Février au lieu de la suivre, pour qu'elle fût autre chose qu'un simple ébranlement superficiel. La société semble être actuellement revenue à son point de départ. En réalité, c'est maintenant seulement qu'elle doit se créer son point de départ révolutionnaire, c'est-à-dire la situation, les rapports, les conditions qui, seuls, permettent une révolution sociale sérieuse.
Les révolutions bourgeoises, comme celles du XVIII° siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamants, l'enthousiasme extatique est l'état permanent de la société, mais elles sont de courte durée. Rapidement, elles atteignent leur point culminant, et un long malaise s'empare de la société avant qu'elle ait appris à s'approprier d'une façon calme et posée les résultats de sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du XIX° siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient :
Hic Rhodus, hic salta !
C'est ici qu'est la rose, c'est ici qu'il faut danser ! » (...)
[Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852]
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