24 août 2025
POLARS EN BARRE [28]
"Sam Spade avait la mâchoire inférieure lourde et osseuse. Son menton saillait, en V, sous le V mobile de la bouche. Ses narines se relevaient en un autre V plus petit. Seuls, ses yeux gris jaune coupaient le visage d'une ligne horizontale. Le motif en V reparaissait avec les sourcils épais partant de deux rides jumelles à la racine du nez aquilin, et les cheveux châtain très pâle, en pointe sur le front dégarni, découvrant les tempes. L'ensemble du visage faisait penser au masque sardonique d'un Satan blond."
Dashiell Hammett
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23 août 2025
POLARS EN BARRE [27]
"Ce que j’appris de lui tenait en ceci :
Depuis quarante ans, le vieil Elihu Willsson, le père de l’homme assassiné durant la nuit, possédait Personville corps et âme, cœur et tripes. Il était président et principal actionnaire de la Personville Mining Corporation, idem pour la First National Bank, propriétaire du Morning Herald et de l’Evening Herald, les deux seuls journaux de la ville, et détenait au minimum des parts dans presque toutes les entreprises ayant quelque importance. En plus de ces divers actifs, il avait dans sa poche un sénateur, deux ou trois membres de la Chambre des représentants, le gouverneur, le maire et la plupart des administrateurs de l’État. Elihu Willsson incarnait Personville et pratiquement l’État tout entier.
Durant la guerre, l’IWW, qui avait le vent en poupe dans tout l’ouest du pays, avait recruté en grand nombre les employés de la Personville Mining Corporation qui n’étaient pas particulièrement choyés, et avait utilisé cette force nouvelle pour imposer des revendications. Le vieil Elihu leur avait accordé le minimum, puis il avait attendu son heure.
Elle s’était présentée en 1921. Les affaires périclitaient. Il se moquait bien de fermer temporairement les usines ou non. Il avait déchiré les accords passés avec ses ouvriers et entrepris de les renvoyer à leurs conditions d’avant-guerre.
Bien entendu, la section locale avait demandé l’aide de la section centrale. Bill Quint avait été envoyé par le siège de l’IWW à Chicago pour organiser la riposte. Il était contre l’idée d’une grève, d’un débrayage pur et simple. Il recommandait la bonne vieille méthode du sabotage : poursuivre le travail en le sapant de l’intérieur. Mais ce n’était pas assez musclé pour les gars de Personville. Ils voulaient faire date, s’inscrire dans l’histoire du syndicalisme.
Ils avaient débrayé.
La grève avait duré huit mois. Le sang avait coulé abondamment des deux côtés. Les Wobbies n’avaient pu compter que sur eux-mêmes, pour cela. Le vieil Elihu, lui, avait engagé des mercenaires, des briseurs de grève, des membres de la garde nationale et même des soldats de l’armée régulière pour s’en charger à sa place. Quand le dernier crâne avait été fendu, la dernière côte brisée, la section syndicale de Personville n’était plus qu’un pétard sans poudre."
Dashiell Hammett
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22 août 2025
POLARS EN BARRE [26]
"Bon, je renonce à vingt-cinq ou trente mille dollars honnêtement gagnés parce que ça me plaît d’être détective, parce que j’aime ce travail. Et quand on aime un travail, on a envie de le faire le mieux possible. Autrement, ça n’aurait pas de sens. Voilà donc mon problème. Je ne sais rien faire d’autre, je n’aime rien d’autre et je ne tiens nullement à savoir faire ou à aimer autre chose. Vous ne pouvez contrebalancer ça par aucune somme d’argent, quelle qu’elle soit.
L’argent, c’est un truc génial. Je n’ai rien contre. Mais ça fait dix-huit ans que je m’amuse à pourchasser des escrocs et à me confronter à des mystères, et je tire mon plaisir de là : attraper des malfrats et résoudre des énigmes. C’est le seul genre de sport auquel je connaisse quelque chose, et je n’imagine pas d’avenir plus agréable qu’un vingtaine d’années encore à le pratiquer. Je ne vais pas tout gâcher !"
Dashiell Hammett
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21 août 2025
POLARS EN BARRE [25]
"Les amateurs de pulps vantent surtout trois revues de qualité dans lesquelles on trouve des auteurs qui ont survécu au phénomène des pulps, et dont les œuvres sont encore réimprimées et lues : Weird Tales, Astounding Stories (Astoundig Science-Fiction/Analog) et Black Mask. Le premier numéro de Black Mask a été publié en 1920, mais c’est sous la direction d’un rédacteur en chef de génie, Joseph T. Shaw, qu’elle a connu son plus grand succès et établi une école. C’est pour ses romans remarquables plutôt que ses nouvelles sur le Continental Op publiées dans Black Mask de 1923 à 1930 que l’on tient Dashiell Hammett en grande estime, mais c’est dans ces récits que l’on trouve l’évolution rapide de son style, une écriture serrée, discrète, précise qui est la marque de fabrique de l’école « dure à cuire » (hard boiled school). Homme énigmatique, écrivain qui dotait son monde fictif d’une parole jamais excessive, Hammett (comme un peu plus tard Chandler) semble s’opposer à la prolixité et aux faiblesses stylistiques de l’« usine des pulps ». Mais c’est par rapport à la prolixité que les meilleurs écrivains se sont établis. Si les héros des romans d’aventures sont plus grands, plus terribles, les protagonistes d’Hammett sont des simples hommes exerçant leur métier dans un monde que l’on ne peut pas toujours dominer mais où on peut vivre."
Walter Albert
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20 août 2025
Léon Trotsky, 1879-1940

Trotsky, Lénine, Kamenev
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POLARS EN BARRE [24]
"Je ne désire pas éviter le sujet des convictions politiques de Hammett, mais la vérité est que je ne sais pas s’il était membre du Parti communiste et je ne lui ai jamais demandé. (…) Peu m’importe de ne pas savoir si Hammett était membre du Parti communiste ; à coup sûr, il était marxiste. Mais un marxiste à l’esprit très critique et qui manifestait souvent du mépris pour l’Union soviétique, de la même façon bornée que les Américains méprisent les étrangers. Il se montrait souvent ironique et mordant à l’égard du Parti communiste américain, mais finalement lui était loyal."
Lillian Hellman
♦♦♦
"Dans Une femme inachevée Lillian Hellman a écrit : «Le fait est que j’ignore tout à fait s’il était membre du Parti communiste, je ne lui ai d’ailleurs jamais posé la question.» Mensonge pur et simple."
Richard Layman
♦♦♦
"Hammett était marxiste, et cela a incité certains critiques à assimiler ses écrits et ceux d’autres auteurs «noirs» au marxisme (…). Il est vrai que La Moisson Rouge peut être considérée comme un réquisitoire contre la société capitaliste, mais elle ne comporte pas même l’amorce d’un programme socialiste, ou une seule véritable idée de réforme. Il ne s’agit que de décrire la corruption et d’observer le protagoniste tandis qu’il s’efforce de redresser provisoirement quelques torts ; mais il fait cela pour la beauté du geste, sans espérer vraiment qu’il en sortira rien de durable, et en appliquant ses propres lois, qui ne sont pas celles de la société.
S’il faut vraiment coller une étiquette politique aux héros «noirs», c’est sans doute celle de populistes déçus qui leur conviendrait le mieux."
Diane Johnson
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19 août 2025
POLARS EN BARRE [23]
"Hammett a délogé le meurtre des palais vénitiens pour le "balancer" dans la rue ; non pas que le crime doive y traîner indéfiniment mais il était bienvenu de se défaire le plus possible des chichis bourgeois d'Emily Post. Au cours de presque toute sa carrière, il écrivit pour un public qui entretenait une attitude tranchée, agressive, envers la vie. Ce public ne redoutait pas l'immoralité du monde, celle-ci faisait partie de son quotidien. La violence ne le choquait pas, il la retrouvait en bas de chez lui. Hammett remit le crime entre les mains d'assassins dissimulant de solides mobiles et utilisant les moyens à leur disposition ; adieu cadavre exécuté arbitrairement à coups de pistolets de duel sculptés, de curare ou de poison tropical. Dans ses livres, il décrivit les gens tels qu'ils étaient et il les fit penser et parler, dans ses intrigues, avec le langage qui leur était familier. Il avait son style personnel, bien que son public ne s'en aperçût pas puisqu'il utilisait une langue soi-disant dépourvue de titres de noblesse."
Raymond Chandler
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18 août 2025
POLARS EN BARRE [22]
"A l’appel de Dashiell Hammett, le roman policier se met à délirer, comme sous le coup d’une forte fièvre. Il parle gras, sent la sueur et la crapule ; ses personnages se pochardent, se battent et s’abattent dans la plus complète indignité.
Une phrase dans La Moisson Rouge définit à elle seule l’esthétique d’un genre qui a pris mauvais genre : « Enjambant les débris, le bootlegger descendit lentement les marches jusque la chaussée. Reno le traita de pouilleux, de mangeur de poisson et lui logea quatre balles dans la tête. »
Image saisissante ayant pour dénominateur commun, à chacune de ses composantes, la violence que l’on retrouve dans le décor, présenté à l’état de ruines, dans le langage de l’acteur, dans l’action : quatre balles de sang-froid, dans l’écriture qui laisse jaillir la description sans apprêt, ou plutôt sans ménagement.
Cette citation démontre combien l’osmose a aussitôt existé entre roman noir et film noir. Le premier procède d’une vision cinématique qu’il est aisé de transposer en une vision cinématographique. Il n’est pas récit mais image en mouvement.
[…]
L’œuvre de Hammett, dans sa finalité, se caractérise par la pureté morale. (…) Le détective ― comment ne pas voir en lui une projection de l’auteur ? ― est le seul à garder les mains propres. (…) Il résiste à toutes les tentatives de corruption ou de compromis (…) Il est un anarchiste dangereux.
Et voici le véritable objet du procès intenté à Dashiell Hammett. Coupable de scepticisme envers les institutions de son pays ― la police et surtout la justice. Coupable de contester ses valeurs morales. Coupable de bousculer le protocole et les formes. Coupable de faire trop bon marché de la vie humaine, de piétiner les doigts d’un cadavre au lieu de se découvrir devant lui. Coupable de ne pas jouer le jeu du roman bourgeois, de se refuser à faire pleurer les midinettes en tirant de vieilles ficelles. (…)
A travers Hammett, ce n’est pas l’immoralité ― apparente ― du roman policier noir qui est en cause mais son pouvoir subversif."
Francis Lacassin
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