10 novembre 2022
"BOUQUINAGE" - 53
"Je ne faisais rien. Je rêvais. Je méditais sur cette vie qui s'en allait de moi. Tous mes comptes à jour, j'essayais de comprendre. Le sens des choses encore m'échappait. Toutes ces joies que j'avais eues, tous ces deuils que j'avais portés, tout ce petit univers étrange et familier d'un vieux chalet cerné par un lac – tout cela allait finir, ou plutôt, moi j'allais finir, nos relations allaient finir, et je n'y avais rien compris. “La vie est une ombre qui passe, un pauvre acteur qui tient son rôle sur la scène et dont on n'entend plus parler. C'est une histoire dite par un idiot, pleine de cris et de furie, et qui ne signifie rien.” Mais le même Shakespeare, avant de mourir, écrivit la Tempête et le Conte d'hiver : “Emmène-moi en quelque endroit où nous puissions à loisir échanger nos questions et réponses sur le rôle joué par chacun de nous dans cette vaste brèche du temps... Allons, emmène-nous.” Ainsi, j'étais à la fin du voyage, et je ne pouvais honnêtement dire quel en était le sens ni même s'il en avait un."
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09 novembre 2022
"BOUQUINAGE" - 52
"Son visage donnait une impression de force, avec son nez fin mais aquilin, des narines particulièrement larges, un front haut et bombé, des cheveux qui se clairsemaient aux tempes, mais, ailleurs, épais et abondants. Les sourcils, massifs, se rejoignaient presque à l’arête du nez et paraissaient boucler tant ils étaient denses. La bouche, pour autant que je pusse l’entrevoir, sous l’épaisse moustache, présentait quelque chose de cruel, sans doute en raison des dents éclatantes et particulièrement pointues. Elles avançaient au-dessus des lèvres elles-mêmes dont le rouge vif soulignait une vitalité étonnante chez un homme de cet âge. Les oreilles étaient pâles et se terminaient en pointes. Le menton paraissait large et dur et les joues, malgré leur maigreur, donnaient toujours une impression d’énergie. L’impression générale était celle d’une extraordinaire pâleur. J’avais déjà remarqué le revers de ses mains qu’il avait posées sur ses genoux et, dans la lueur des flammes, elles m’avaient paru longues et fines. Pourtant, à présent que je les voyais de près, je les découvrais grossières, larges, doigts épais. Étrange constatation, aussi, je remarquais des poils au milieu des paumes. Les ongles étaient longs et fins, presque trop pointus. Un moment donné, le comte se pencha vers moi et ses mains me frôlèrent. Je ne pus retenir un frisson. Peut-être devais-je en imputer la cause à son haleine fétide, mais une terrible nausée s’empara de moi, que je ne pus cacher. Le comte s’aperçut de mon dégoût, car il recula. Avec un sourire effrayant, qui découvrit davantage ses dents proéminentes, il retourna s’asseoir à côté de la cheminée."
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08 novembre 2022
"BOUQUINAGE" - 51
"Peut-on dire que Valérian est une série idéologiquement engagée ?
Jean-Claude Mézières : Je me rappelle le nombre de gens qui me disaient, il y a trente ans, “Valérian c'est bien, mais qu'est-ce que c'est politique !”
Pierre Christin : Valérian et Laureline sont des agents spatio-temporels censés être neutres mais ils finissent toujours par choisir le camp des opprimés, en général sous la pression de Laureline. Même si ce n'est pas une bande dessinée “engagée”, dans le sens où elle n'est proche d'aucun parti ou d'aucune idéologie, elle choisit le camp des faibles. L'exploitation d'autrui est un thème présent dans de nombreux albums. Je choisissais pour chaque titre une thématique le plus souvent liée au contexte politique. Ainsi, j'ai commencé à parler des médias et de leurs manipulations quand le monde médiatique a pris une ampleur insoupçonnée par rapport aux années 1970, ou quand j'ai senti que le néo-libéralisme allait tout embarquer, sans même le dire à Jean-Claude. La politique m'intéressait mais je n'ai jamais été un militant acharné, et j'ai compris ça assez vite avec Valérian ; j'essayais de faire passer des trucs qui me tenaient à cœur, mais discrétos !
(...)
On pourrait résumer Valérian en disant que c'est une série humaniste ?
Pierre Christin : Oui, c'est une bande dessinée résolument antiraciste, anti-xénophobe et anti-confessionnelle, depuis le début. Elle est née dans un contexte où la plupart des bandes dessinées étaient conformistes, avec un type de héros incarnant l'appareil d’État : des soldats, des scouts, des flics, des pilotes... fondamentalement des bras armés. Valérian étend l'humanisme jusqu'aux non-humains."
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