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20 septembre 2025

POLARS EN BARRE [55]

 

"Puis la Révolution vint, et avec elle son cortège d’idées nouvelles, égalité, liberté, qui vont se répandre dans le monde entier. En même temps, de grands bouleversements sociaux surviennent, aussi bien en Europe qu’en Amérique, où la guerre d’Indépendance fait rage. Aucune classe sociale n’est épargnée.

 

C’est le moment où, dans tous les pays, la police se développe de façon considérable. En France, elle pourchasse les ennemis de la Révolution, puis recherche les adversaires de l’Empire, enfin contribue à la consolidation de la Restauration. On est arrivé au règne de Vidocq et de ses semblables, et leurs actions commencent à intéresser le public par le truchement des gazettes. C’est l’époque où les premiers « faits divers » sont jetés en pâture à la curiosité malsaine. Cette fois, toutes les conditions sont réunies pour l’apparition du genre.

 

Le roman policier est le symbole d’une société où les valeurs ont été bouleversées mais qui s’accroche à ses traditions. Le détective, qu’il s’agisse de Sherlock Holmes, du commissaire Maigret, de Philip Marlowe et d’Isaac Sidel, ne remet pas en cause la société au nom de laquelle il agit ; au contraire, il est le plus ardent défenseur de ses lois. C’est un homme d’ordre ; même s’il méprise la pourriture qu’il découvre chez les nantis, les puissants, il est là pour défendre l’idéal de la société bourgeoise. Le succès du policier après les deux dernières guerres mondiales est symptomatique. Il correspond chez le public à un besoin d’ordre, de stabilité, à un désir de retrouver des hiérarchies, de sentir qu’il existe des barrières contre la montée de la pègre.

 

Puis, au fil des années, ses certitudes se sont effilochées. Des traumatismes douloureux lui ont ouvert les yeux ; il devenait de plus en plus évident que la société actuelle ne valait pas mieux que celles qui l’avaient précédée.

 

Jacques Sadoul

 

 

 

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19 septembre 2025

POLARS EN BARRE [54]

"Sans renier la dimension ludique du roman policier, il faut reconnaître que l’intérêt de ce dernier a largement débordé du simple duel entre auteur et lecteur qui fit les beaux jours du roman d’énigme. Avec le roman noir, il est devenu un «outil» de critique sociale et de dénonciation politique, parfois même jusqu’à en perdre sens. Par le biais du roman criminel, il s’est intéressé à la psychopathologie. Il s’est fait le témoin de l’état de nos sociétés, en interrogeant ce qui constitue la part la plus symptomatique de leurs dérives : la criminalité, sous toutes ses formes, des plus organisées aux plus erratiques. Il a joué de nos peurs et de nos nerfs sous le couvert de suspense. Il s’est fait le reflet de ces accès de violence qui, telles des secousses sismiques, viennent briser des vies, des esprits, des âmes, ainsi que n’a trop souvent l’occasion de nous le montrer la colonne des faits divers.

 

[…]

 

Aujourd’hui, le roman policier a droit de cité partout, il est l’objet de colloques et de thèses universitaires, on le célèbre par des prix et des festivals qui ont pignon sur rue. Comme il est loin le temps des invectives contre un genre qu’on ne trouvait rien moins que vulgaire et dégradant…

 

Le roman policier a gagné la bataille non seulement parce qu’il a contaminé la littérature «mainstream» (Robbe-Grillet, Paul Auster, Umberto Eco…), mais aussi parce qu’il a conquis toutes sortes de territoires : le cinéma bien sûr, le théâtre, la BD, la radio (qui ne se souvient des Maîtres du mystère ?) et la télévision qui en fait aujourd’hui une consommation forcenée."

 

Jacques Baudou et Jean-Jacques Schleret

 

 

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18 septembre 2025

POLARS EN BARRE [53]

 

"Tout le monde sait que les noms des stars de cinéma sont gravés sur les trottoirs de Hollywood Boulevard, mais ça fait toujours bizarre quand on le voit. Il y a des carrés de macadam, et sur chaque carré il y a le contour doré d’une étoile à cinq branches, et dans une étoile sur deux il y a le nom d’une vedette. Chaque année, ces noms perdent un peu plus de leur signification. L’idée de ces noms, c’est l’immortalité, mais ce qu’ils révèlent vraiment, c’est la mort."
 
Donald Westlake
 
 
 
 

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17 septembre 2025

POLARS EN BARRE [52]

 

"On pourrait dire qu’à partir d’un certain moment le roman policier ressent comme un poids injustifié les contraintes qui constituent son genre et s’en débarrasse pour se former un nouveau code. La règle du genre est perçue comme une contrainte à partir du moment où elle ne se justifie plus par la structure de l’ensemble. Ainsi dans les romans de Hammett et de Chandler le mystère global était devenu pur prétexte, et le roman noir qui lui a succédé s’en est débarrassé, pour élaborer davantage cette autre forme d’intérêt qu’est le suspense et se concentrer autour de la description d’un milieu. Le roman à suspense, né après les grandes années du roman noir, a ressenti ce milieu comme un attribut inutile, et n’a gardé que le suspense lui-même. Mais il a fallu en même temps renforcer l’intrigue et rétablir l’ancien mystère."

 

Tzvetan Todorov

 

 

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16 septembre 2025

POLARS EN BARRE [51]

 

"Tous ces individus avaient des ambitions personnelles qui faisaient d’eux des personnages exemplaires, des défauts personnels qui faisaient d’eux des criminels, ou des instincts fâcheux qui les amenaient devant la cour d’assises. Le reporter se contentait de les coucher tels quels dans les colonnes de son journal. Le reporter est un être sans passion, qui évite de prendre parti ou de se laisser entraîner par des sentiments violents ― sauf lorsqu’il s’agit de son journal. Il se ferait tuer pour son journal. Avec son journal derrière lui, il se sent la force, la bravoure et l’audace d’un paladin. Sans son journal, il est aussi vulnérable qu’une méduse échouée sur la plage.

— Je suis M. Ross de la Planète.

Ces paroles magiques vous permettaient d’entrer sans crainte dans des bouges qui suaient le crime, de franchir les barrages d’incendie, de pénétrer dans des palais, des tribunaux ou des commissariats de police, de bavarder aussi bien avec le président qu’avec le marchand de pommes du coin, de fréquenter des loges d’artistes ou des taudis…

— Je suis M. Ross…

Cela ne vous menait nulle part. Personne n’avait envie de bavarder avec un quelconque M. Ross. Mais M. Ross de la Planète, c’est tout différent. Bavarder avec lui, c’était s’adresser au monde entier. Les gens s’inclinent devant l’opinion publique, qu’ils soient princes ou clochards, honnêtes ou escrocs. Pas étonnant, songeait Barry, si les vrais reporters regardent de haut toute activité humaine autre que le métier de journaliste."

 

Donald Henderson Clarke

 

 

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15 septembre 2025

POLARS EN BARRE [50]

 

"Comment un univers qui suscite tant l’imagination aurait-il pu être occulté du cinéma ? Si l’écriture crée les contours de la matière astucieuse du polar, le cinéma lui rend hommage, invitant les mots à devenir images, retrouvant la fidélité des personnages révélés par des acteurs hors du commun. Le polar a inspiré le cinéma et le cinéma le lui rend bien !"

[…]

"S’il est né grâce aux histoires de privés rebelles et souvent désabusés, au fil des ans, le roman noir s’est diversifié et chaque nouvelle génération y a imprimé ses préoccupations et ses propres obsessions.

La forme, la structure narrative s’est diversifiée : enquête, mystère, dénonciation sociale, étude de mœurs, voyage initiatique, mal de vivre, le roman noir peut être ceci ou cela. Parfois même, il ne contient ni crime, ni enquête, mais l’essentiel demeure : il continue de parler du monde, de l’individu paumé et des puissances occultes qui le manipulent. Car le noir, c’est une manière particulière de regarder le monde et de le raconter en montrant ce qui se cache sous le tapis, ce qui se dissimule derrière la façade. On y croise rarement des gens heureux car, c’est bien connu, ils n’ont pas d’histoire, et le roman noir raconte toujours une histoire… qui ainsi devient universelle."

 

François Guérif et Claude Mesplède

 

 

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14 septembre 2025

POLARS EN BARRE [49]

 

"Il y avait d’excellentes empreintes digitales sur l’appui de la fenêtre de la cuisine et sur le tiroir à argenterie du buffet de la salle à manger. Il y avait également de bonnes empreintes sur l’argenterie éparpillée par terre à proximité de la fenêtre fracturée. Plus important encore, si la plupart des empreintes trouvées sur le manche du couteau étaient floues, certaines d’entre elles étaient très nettes. Toutes les empreintes étaient semblables ; elles avaient été laissées par une seule et même personne. (…) Les empreintes trouvées sur l’appui de la fenêtre, le tiroir, l’argenterie et le couteau n’étaient pas celles de Gérard Fletcher. Ce qui ne signifiait absolument rien s’il avait les mains gantées au moment où il avait achevé sa femme."

 

Ed McBain

 

 

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13 septembre 2025

POLARS EN BARRE [48]

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"Ce soir là, de nouveau, la nuit semblait vouloir s’enfoncer dans les ténèbres. Tout était silence, à part le hurlement sauvage des coyotes dans le lointain.

Ce soir-là, Weaver sirotait un verre de vin tout en essayant de lire. Pour la première fois, il trouvait la nuit et le silence un peu effrayants.

Les soirées précédentes, il avait été seul dans la maison ; ce soir pas tout à fait. Ce soir, Jenny Ames était là. Maintenant qu’il avait appris sur elle le peu qu’il en savait, elle était devenue pour lui un être vivant. La veille encore, elle n’était qu’un nom.

Ce soir, elle envahissait son esprit et la pièce tout entière. Elle lui paraissait d’autant plus vivante qu’il en savait moins sur elle. Une photo aurait suffi à rompre le charme, mais il n’en existait aucune ; rien qu’un vague signalement que son imagination pouvait exploiter à son gré. Une jolie fille aux cheveux noirs qui avait aimé ― ou cru aimer ― un monstre et qui était venue à Taos dans le but de l’épouser.

Issue du mystère, elle s’en était allée dans un mystère plus profond encore ― l’ultime mystère. Et elle avait séjourné dans cette pièce, s’était peut-être assise sur cette même chaise, durant les quelques heures entre son arrivée ici et son départ pour les éternelles ténèbres."

 

Fredric Brown

 

 

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