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09 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 203

"Maigret s’était rarement senti aussi dépaysé, comme en dehors de la vie normale, avec un malaise semblable à celui qui nous prend quand, dans un rêve, le sol se dérobe sous nos pieds.

Dans les rues enneigées, les rares passants marchaient en s’efforçant de garder l’équilibre, les voitures, les taxis, les autobus roulaient au ralenti tandis qu’un peu partout des camions de sable ou de sel longeaient au pas les trottoirs.

Derrière presque toutes les fenêtres brûlaient des lampes électriques et la neige tombait toujours d’un ciel gris ardoise.

Il aurait presque pu dire ce qui se passait dans chacune de ces petites cases où les humains respiraient. Depuis plus de trente ans, il avait appris à connaître Paris quartier par quartier, rue par rue, et pourtant, ici, il se sentait plongé dans un monde différent, où les réactions des êtres étaient imprévisibles.

Comment vivait Félix Nahour, quelques heures plus tôt encore ? Quelles étaient ses relations exactes avec ce secrétaire qui n’en était pas un, avec sa femme et ses deux enfants ? Pourquoi ceux-ci étaient-ils sur la Côte d’Azur et pourquoi…

Il y avait tant de pourquoi qu’il ne pouvait que les aborder un à un. Rien n’était clair. Rien n’était net. Rien ne se passait comme dans d’autres familles, d’autres foyers."

 

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06 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 200

"Une des spécificités de l’œuvre d'Hergé tient au dualisme inhérent à ses personnages, voyous ou héros positifs. L'ensemble de la saga baigne dans une série de dualités, de contrastes entre réalisme et caricature, références techniques et merveilleux, classicisme et fantastique, rationnel et irrationnel, familier et exotique, dramatique et comique, Histoire et fiction. Les 24 albums racontent des aventures extraordinaires qui prennent racine dans le quotidien. Tintin, tel le dieu Janus, est à double face : il réalise des exploits hors du commun mais en vivant comme tout le monde, c'est un personnage héroïque et imaginaire dans un monde réel et crédible. Ce contraste se lit jusque dans le dessin du petit reporter : caricatural et inconcevable au niveau du visage, totalement réaliste du cou jusqu'aux pieds, avec son imperméable clair, son pull-over bleu, ses pantalons de golf et ses chaussures marron.

Tintin n'est pas seulement un être fantasmagorique ou surhumain, monstre de perfection et de vertu. Il n'est pas un “monstre froid”. Il est aussi notre voisin avec ses faiblesses. Cette ambivalence de Tintin, ses ambiguïtés parfois, nous permettent de mieux comprendre les dimensions multiples et souvent contradictoires des critiques adressées à l'encontre du héros de Hergé.

Cette dualité explique qu'il puisse à la fois attirer ou exaspérer, séduire ou horripiler."

 

 

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04 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 198

"Ils s'étaient figurés qu'ils auraient, à jamais, une infinité de choix et de secondes chances. Ils avaient gaspillé beaucoup trop de ce temps inappréciable qui leur avait été accordé, l'avaient gâché par l'amertume, la culpabilité et la quête futile de réponses inexistantes — alors qu'eux-mêmes, leur amour mutuel, constituait la seule réponse dont ils auraient dû rêver. Et maintenant, même l'occasion de lui dire cela, de la prendre dans ses bras pour lui faire savoir à quel point il l'avait vénérée et chérie, lui était éternellement refusée. Paméla était morte et, dans trois ans, Jeff mourrait, lui aussi, sans savoir pourquoi il avait vécu."

 

 

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03 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 197

"L'erreur la plus répandue revient à qualifier Didier Comès d'auteur métaphysique, à la recherche de Dieu, ou reproche formel, de connoter son œuvre comme relevant du mauvais chromo régionaliste. “Didier Comès dessine mal”, n'est-ce pas là un avis semblable à celui qu'avancent certains cuistres à propos de Balzac, qualifié de mauvais écrivain, sans que soit jamais précisé ce qu'est la valeur artistique ? Oublions donc les Abel Mauvy de la critique pour savourer notre plaisir et relisons Silence en toute sérénité. Sans doute, le poids de l'histoire pèsera sur Didier Comès. Ces dernières années, nous avons assisté au retour du récit et à l'émergence du noir et blanc. La démarche de Comès s'insère dans cette orientation dont les chefs de file sont Muñoz et Sampayo, Pratt et Tardi."

 

 

 

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Jean-Maurice Rosier

 

02 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 196

"Il aurait largement le temps de se poser des questions. Des questions qu’il ne pourrait poser à personne, hormis à lui-même et au vent hululant dont la violence ne cesserait de croître.

Il y eut toutefois un interlude. Sweeny partit à pied rechercher l’émetteur, qu’il avait enterré au point H de la nomenclature de Howe, avant de rejoindre la station. Le trajet lui prit onze jours ; les efforts qu’il déploya et les privations qu’il endura auraient inspiré un roman à Jack London. Mais ces épreuves ne signifiaient rien pour lui. Il ignorait s’il aurait envie d’utiliser le poste qu’il ramenait. Et il ne se rendait pas compte que sa randonnée solitaire était une épopée, il n’avait pas conscience qu’elle constituait un exploit d’une rare difficulté. Il manquait de points de comparaison, fussent-ils littéraires : il n’avait jamais lu un seul roman. Il mesurait toutes choses en fonction des changements que ceci ou cela apportait à sa situation et la possession de la radio ne changeait rien aux questions qu’il se posait. Simplement, elle lui permettrait d’agir sur les réponses — lorsqu’il aurait des réponses."

 

 

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28 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 191

"Le médecin serre une dernière fois son épaule et retourne à sa place. Il la regarde comme il l’a toujours fait pendant toutes ces année, droit dans les yeux, sans faillir.

— Non, André ne m’en a pas parlé. Je ne l’ai pas vu depuis trois semaines. Vous savez, vous, où est André ?

Elle veut parler mais ses oreilles se mettent à bourdonner, elle se voit en pyjama, ses cheveux sont lâchés, ils sont beaux encore, n’est-ce pas, ses cheveux ? Elle tient à la main un téléphone, c’est la nuit, elle est seule, elle crie. C’est la nuit, elle vient d’être réveillée par la sonnerie du téléphone et elle ne se souvient pas des mots dits mais elle sait qu’elle a crié très fort. Où est André ?

Le médecin ne la quitte pas du regard et elle ne peut y lire autre chose que de la douceur, de la gentillesse, de la franchise. Elle se lève, elle se sent forte tout à coup, c’est un sentiment qui lui est familier, elle ne tombe jamais en dépression, on croit qu’elle va tomber, on croit qu’elle va cette fois-ci rompre mais non, elle se redresse, elle va se remettre en route. Elle sourit. Elle rédige son chèque et part avec l’ordonnance.

Le docteur B. reste assis à son bureau. Malgré lui, son cœur se serre. Il regarde l’heure, c’est déjà dix-neuf heures et il n’y a plus personne dans la salle d’attente. Il voudrait pouvoir la suivre, cette patiente, l’accompagner pendant un moment, ne plus être son médecin mais simplement un ami qui aurait le courage de lui révéler ce qu’elle a effacé de sa mémoire mais qui la réveille toutes les nuits à la même heure, comme un fantôme qui n’aurait pas terminé son travail."

 

 

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27 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 190

"En somme, Anson avait raison. L’université est une jungle comme le reste du monde, avec cette seule différence que, là, les choses se passent entre gens mal armés pour la lutte, précisément parce qu’ils ont choisi cette carrière afin de s’y sentir à l’abri."

 

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24 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 187

"Elle ne se souvenait absolument pas de Piotr Alexandrovitch. Un jeune homme maigre, et même très maigre. Sobrement habillé et souriant. Il tira de la poche de son veston une enveloppe, en sortit une feuille de papier et la montra à Vika sans la lâcher.

— Vous connaissez ce document, Victoria Andréïevna ?

Elle y jeta un coup d’œil et un frisson la saisit : c’était l’engagement de collaboration qu’elle avait autrefois signé à la Loubianka. Maudit passé, maudit pays ! Piotr Alexandrovitch replia la feuille de papier, la remit dans sa poche et répéta sa question :

— Eh bien, Victoria Andreïevna, cela vous revient ?

Que peuvent-ils lui faire ? Ils ne sont pas à Moscou ! Elle va appeler un agent de police et lui livrer cet espion soviétique ! Qui a essayé de la faire chanter avec un faux papier. Ce papier servira avant tout à le démasquer.

— Non, répondit Vika, ce document m’est inconnu. Allons donc nous expliquer à la police.

— Nous n’avons pas besoin de la police, Victoria Andreïevna, répondit Soukhov en souriant. Des journalistes accourront tout de suite, et publieront ce document dans la presse et il vous sera difficile de réfuter l’expertise graphologique, difficile aussi d’expliquer vos rapports avec Mme Plevitskaïa et vos visites à Ozoir-la-Ferrière. Tout cela intéressera beaucoup les lecteurs. Mme Plevitskaïa a été démasquée et ses relations avec vous, un agent du NKVD, renforceront les accusations qui pèsent sur elle et serviront à vous inculper. Avant d’aller à la police il faut bien réfléchir.

Le discours de ce salaud, débité avec un charmant sourire, n’est pas une vaine menace : ils peuvent détruire sa vie et celle de Charles. Ils trament aussi impunément leurs intrigues à l’étranger qu’à la Loubianka, à Moscou ! Ils ont enlevé le général Koutiépov d’abord, puis le général Miller, en plein jour. Dire que le général Skobline et la Plevitskaïa, une chanteuse célèbre, travaillaient, eux aussi, pour eux !"

 

 

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