07 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [77]
"Toute leur vie était dirigée non par les lois, statuts ou règles, mais selon leur bon vouloir et libre arbitre. Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire quoi que ce soit... Ainsi l'avait établi Gargantua. Toute leur règle tenait en cette clause :
FAIS CE QUE VOUDRAS,
car des gens libres, bien nés, bien instruits, vivant en honnête compagnie, ont par nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et retire du vice; c'est ce qu'ils nommaient l'honneur. Ceux-ci, quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion et contrainte, se détournent de la noble passion par laquelle ils tendaient librement à la vertu, afin de démettre et enfreindre ce joug de servitude; car nous entreprenons toujours les choses défendues et convoitons ce qui nous est dénié. Par cette liberté, ils entrèrent en une louable émulation à faire tout ce qu'ils voyaient plaire à un seul. Si l'un ou l'une disait : "Buvons", tous buvaient. S'il disait: "Jouons", tous jouaient. S'il disait: "Allons nous ébattre dans les champs", tous y allaient. Si c'était pour chasser, les dames, montées sur de belles haquenées, avec leur palefroi richement harnaché, sur le poing mignonnement engantelé portaient chacune ou un épervier, ou un laneret, ou un émerillon ; les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient tant noblement instruits qu'il n'y avait parmi eux personne qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d'instruments harmonieux, parler cinq à six langues et en celles-ci composer, tant en vers qu'en prose. Jamais ne furent vus chevaliers si preux, si galants, si habiles à pied et à cheval, plus verts, mieux remuant, maniant mieux toutes les armes. Jamais ne furent vues dames si élégantes, si mignonnes, moins fâcheuses, plus doctes à la main, à l'aiguille, à tous les actes féminins honnêtes et libres, qu'étaient celles-là. Pour cette raison, quand le temps était venu pour l'un des habitants de cette abbaye d'en sortir, soit à la demande de ses parents, ou pour une autre cause, il emmenait une des dames, celle qui l'aurait pris pour son dévot, et ils étaient mariés ensemble; et ils avaient si bien vécu à Thélème en dévotion et amitié, qu'ils continuaient d'autant mieux dans le mariage; aussi s'aimaient-ils à la fin de leurs jours comme au premier de leurs noces."
[François Rabelais, Gargantua, 1534]
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06 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [76]
"Nous nous considérions dès lors comme des hommes libres, voyant que tout danger grave était écarté. Joyeux, nous passions notre temps à nous promener pour voir ce qui méritait d’être vu dans la cité et dans les environs, à l’intérieur du périmètre qui nous était accordé, ainsi qu’à faire connaissance avec de nombreuses personnes de la ville, et non du moindre rang. Auprès d’eux, nous trouvâmes une telle humanité, une telle franchise et un tel désir d’accueillir, si l’on peut dire, les étrangers en leur sein, que nous en oubliâmes tout ce qui nous était cher dans nos patries. Et nous découvrions constamment de nombreuses choses dignes d’être remarquées et racontées. Car, en vérité, s’il est en ce monde un miroir digne de retenir le regard de l’homme, c’est bien ce pays-là."
[Francis Bacon, La Nouvelle Atlantide, 1623]
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05 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [75]
"Tout est commun, mais le partage est réglé par les magistrats. Cependant les sciences, les honneurs et les jouissances de la vie sont partagés de manière que personne parmi eux ne peut songer à s’en approprier d’autres au détriment de ses concitoyens. Ils disent que l’esprit de propriété ne naît et ne grandit en nous que parce que nous avons une maison, une femme et des enfants en propre. De là vient l’égoïsme, car pour élever un fils jusqu’aux dignités et aux richesses et pour le faire héritier d’une grande fortune, nous dilapidons le trésor public ; si nous pouvons dominer les autres par notre richesse et notre puissance, ou bien, si nous sommes faibles, pauvres et d’une famille obscure, nous devenons avares, perfides et hypocrites. Donc, en rendant l’égoïsme sans but, ils le détruisent et il ne reste que l’amour de la communauté."
[Tommaso Campanella, La Cité du Soleil, 1613]
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04 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [74]
"Ainsi, tout le monde, en Utopie, est occupé à des arts et à des métiers, réellement utiles. Le travail matériel y est de courte durée, et néanmoins ce travail produit de l’abondance et du superflu. Quand il y a encombrement de produits, les travaux journaliers sont suspendus, et la population est portée en masse sur les chemins rompus ou dégradés. Faute d’ouvrage ordinaire et extraordinaire, un décret autorise une diminution sur la durée du travail, car le gouvernement ne cherche pas à fatiguer les citoyens par d’inutiles labeurs.
Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d’abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s’affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l’étude des sciences et des lettres. C’est dans ce développement complet qu’ils font consister le vrai bonheur."
[Thomas More, L’Utopie, 1516]
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03 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [73]
"En quittant le pont, le chevalier avisa devant lui une merveilleuse et forte muraille bâtie de pierres précieuses étincelantes. Une fois auprès, il vit une porte toute en or, resplendissante comme le soleil ; il y fut droit : elle s’ouvrit. En même temps, venait à lui une grande compagnie de prélats, archevêques, évêques, protonotaires, abbés, prieurs et gens d’église de toute sorte, vêtus de riches ornements ; ils s’avancèrent en bel ordre vers le chevalier et l’accueillirent avec honneur. Puis deux archevêques le prirent par les mains et lui montrèrent le pays ; ils lui demandèrent comment il avait pu passer et résister aux tentations des diables.
Le chevalier leur répondit que la vertu du nom de Jésus l’avait tiré de tous les périls.
Ils le menèrent ensuite ça et là, et plus Owein avançait, plus le pays lui semblait délectable, merveilleusement vaste, plein de beaux prés verdoyants parsemés de nobles fleurs odorantes, avec des arbres qui embaumaient. La nuit y était plus claire que n’est ailleurs le jour en été. Les habitants de ce pays resplendissaient comme des étoiles, volaient les uns vers les autres, menant plus grande joie et plus douce vie que nul ne saurait croire."
[Henri de Saltrey, Le purgatoire de Saint-Patrick, vers 1188]
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02 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [72]
"D’abord apparaît un mur qui s’élève jusqu’aux nues, sans créneaux ni chemin de ronde ni bretèches ni tour aucune ; nul d’eux n’en peut savoir la matière ; personne n’y travailla : le souverain Roi en fut le seul ouvrier. Ce mur est plus blanc que neige, et tout entier sans joints ; les gemmes dont il est enchâssé jettent de grands feux : chrysolithes de choix tachetées d’or, chrysoprases, topazes, hyacinthes, calcédoines, émeraudes, sardoines, jaspes; sur les bords luisent les améthystes ; avec la claire jacinthe, le cristal et le béryl, ces pierres se renvoient leurs clartés et font ressortir leurs couleurs : grand artiste celui qui les plaça !
Les monts sont élevés, tout en marbre dur; la mer les bat, loin des murailles. Au-dessus des monts de marbre, la montagne est toute d’or fin. Plus haut encore est le mur de Paradis qui clôt le jardin : c’est ce grand mur que nous devons franchir."
[Benoît, Navigation de Saint Brendan, vers 1130]
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01 novembre 2020
IMAGINAIRE(S) [71]
"Il ne fait jamais nuit dans toute l’île mais le jour n’y est pas fort éclatant, c’est comme une aurore perpétuelle. De toutes les saisons, ils ne connaissent que le printemps et de tous les vents que les zéphirs ; mais la terre est couverte de fleurs et de fruits toute l’année, dont la récolte se fait tous les mois, encore dit-on qu’au mois qui porte le nom de Minos, il y a double moisson. Les épis, au lieu de blé, sont chargés de petits pains semblables à des champignons, si bien qu’on n’est jamais en peine ni de cuire ni de moudre. Il y a trois cent soixante-cinq fontaines d’eau douce et autant de miel, et cinq cents d’huile de senteur, mais plus petites, avec plusieurs ruisseaux de lait et de vin."
[Lucien de Samosate, Histoire véritable (d’un voyage à la Lune), vers 200 ans après J.-C.]
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20 octobre 2020
IMAGINAIRE(S) [70]
"− Extraordinaire ! Un ordinateur photonique miniaturisé. Je comprends tout maintenant !
− Tu te trompes John Difool ! Et tu n’as rien compris ! Je ne suis pas un ordinateur, je suis vivant ! Tout comme toi ! Et les lignes de forces du destin nous ont réunis, tous les deux, pour que s’accomplisse la justice !"
[Alejandro Jodorowsky et Moebius, L’Incal noir, 1981]
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