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19 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 92

"Elle vit entrer Slim ; il portait un paquet enveloppé de papier brun sous le bras.

Slim donnait le frisson à Maisey. Elle se retourna précipitamment en faisant semblant de rectifier l’alignement des manteaux et des pardessus, ce qui lui évita de le regarder. 

Slim monta l’escalier, longea le couloir et parvint à la chambre de Miss Blandish. Il s’arrêta un instant devant la porte et s’assura qu’il n’y avait personne en vue avant de tirer une clé de sa poche. Il ouvrit la porte et entra dans le vaste salon. 

Chaque fois qu’il pénétrait dans cette pièce, elle lui plaisait davantage. Il n’avait jamais rien vu d’aussi joli. Décorée en bleu et gris, meublée de fauteuils profonds en cuir gris, d’un tapis bleu et d’un gros poste de télévision, c’était à ses yeux la plus belle pièce du monde. Il n’y manquait que des fenêtres, mais Slim lui-même était bien forcé d’admettre qu’il eût été dangereux de garder la jeune fille dans une pièce dotée de fenêtres. 

Il s’avança jusque sur le seuil de la chambre à coucher. Cette chambre lui plaisait autant que le salon. Elle était décorée dans les tons ivoire et rose, et dominée par le large lit à deux places capitonné de rose. Un deuxième poste de télévision se dressait au pied du lit. Slim était un fanatique de la télévision. Il ne se lassait pas de regarder les images défiler sur le petit écran. 

Miss Blandish était assise devant la coiffeuse. Elle portait un peignoir rose qui s’était entrouvert et dévoilait ses jambes splendides. Ses pieds nus étaient glissés dans des mules roses. Elle se manucurait distraitement les ongles et bien qu’elle ait entendu entrer Slim, elle ne leva pas les yeux."

 

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18 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 91

"— Je suis Aycha, répondit-elle solennellement, cette Aycha à qui tu t'es consacré pour l'éternité.

— Elle ment, elle ment !... interrompit Atené. Si tu es cette immortelle, cette Aycha, fais-en la preuve à ces deux hommes qui t'ont connue autrefois. Arrache ces voiles qui gardent si jalousement ta beauté. Laisse cette forme divine, cette incomparable splendeur s'épanouir sur notre nuit et l'éblouir. À coup sûr, ton amant n'aura pas oublié de tels charmes ; à coup sûr, il te reconnaîtra et s'agenouillera en te disant : celle-ci est mon immortelle et pas une autre ! Alors, mais pas avant, croirai-je que tu es cet esprit malfaisant que tu as avoué être, cet esprit qui acheta d'un meurtre le don d'éternelle vie et usa de sa beauté infernale pour ensorceler l'âme des hommes."

 

 

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17 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 90

"Zvéréva le fit venir. Elle voulut donner à l’interrogatoire le ton d’une conversation familière.
 
“Vous écrivez, camarade Roublev ?
 
J’écris.
 
Un message au Comité central, n’est-ce pas ?
 
Pas précisément ? Je ne sais pas bien si nous avons encore un Comité central au sens où nous l’entendions dans le vieux parti.”
 
Zvéréva fut surprise. Tout ce que l’on savait de Kiril Roublev portait à le croire “dans la ligne”, soumis -non sans réserves intérieures-, discipliné ; et les réserves intérieures fortifient les acceptations pratiques. L’instruction risquait d’échouer.
 
“Je vous comprends mal, camarade Roublev. Vous savez, je pense, ce que le parti attend de vous ?”
 
La prison le marquait moins qu’un autre, puisqu’il portait la barbe auparavant. Il ne paraissait pas déprimé, quoique fatigué : le cerne des yeux. Une tête de saint vigoureux au grand nez osseux, telle qu’on en voit sur certaines icônes de l’école de Novgorod. Zvéréva cherchait à le déchiffrer. Il parlait calmement :
 
“Le parti… Je sais à peu près ce que l’on attend de moi… Mais quel parti ? Ce que l’on appelle le parti a tellement changé… Vous ne pouvez certainement pas me comprendre…
 
Et pourquoi, camarade Roublev, croyez-vous que je ne puisse pas vous comprendre Au contraire, je…
 
N’en dites pas plus, coupa Roublev, vous avez sur les lèvres une phrase officielle qui ne signifie plus rien. Je veux dire que nous appartenons probablement, vous et moi, à des espèces humaines différentes. Je le dis sans aucune animosité aucune, je vous assure.”
 
Ce qu’il pouvait y avoir d’offensant dans le propos s’atténuait par le ton objectif et le regard poli.
 
“Puis-je vous demander, camarade Roublev, ce que vous écrivez, à qui et à quelle fin ?”
 
Roublev hochait la tête en souriant, comme si une étudiante lui eût posé une question intentionnellement embarrassante.
 
“Camarade juge d’instruction, je songe à écrire une étude sur le mouvement des briseurs de machines en Angleterre au début du XIXème siècle… Ne vous récriez pas, j’y songe sérieusement.”
 
Il attendit l’effet de sa plaisanterie. Zvéréva l’observait aussi, aimable. De petits yeux sagaces.
 
“J’écris pour l’avenir. Un jour les archives s’ouvriront. On y trouvera peut-être mon mémoire. Le travail des historiens qui étudieront notre temps en sera facilité. J’estime que c’est beaucoup plus important que ce que vous êtes probablement chargée de me demander… Maintenant, citoyenne, permettez-moi à mon tour une question: de quoi exactement suis-je inculpé ?
 
Vous le saurez bientôt. Êtes-vous satisfait du régime ? De la nourriture ?
 
Passable. Pas assez de sucre, parfois, dans la compote. Mais beaucoup de prolétaires soviétiques, qui ne sont inculpés de rien, sont moins bien nourris que vous et moi, citoyenne.”
 
Zvéréva dit sèchement :
 
“L’interrogatoire est terminé.”
 
Roublev revint à sa cellule d’excellente humeur."
 
 
 

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