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05 janvier 2023

"BOUQUINAGE" - 109

"Il était habillé comme vous et moi, je veux dire comme nous serions habillés si nous participions à une de ces battues, organisées chez nous pour les ambassadeurs ou autres personnages importants, dans nos grandes chasses officielles. Son veston de couleur brune semblait sortir de chez le meilleur tailleur parisien et laissait voir une chemise à gros carreaux, comme en portent nos sportifs. La culotte, légèrement bouffante au-dessus des mollets, se prolongeait par une paire de guêtres. Là s'arrêtait la ressemblance ; au lieu de souliers, il portait de gros gants noirs. C'était un gorille, vous dis-je ! Du col de la chemise sortait la hideuse tête terminée en pain de sucre, couverte de poils noirs, au nez aplati et aux mâchoires saillantes. Il était là, debout, un peu penché en avant, dans la posture du chasseur à l'affût, serrant un fusil dans ses longues mains. Il se tenait en face de moi, de l'autre côté d'une large trouée pratiquée dans la forêt perpendiculairement à la direction de la battue. Soudain, il tressaillit. Il avait perçu comme moi un léger bruit dans les buissons, un peu sur ma droite. Il tourna la tête, en même temps qu'il relevait son arme, prêt à épauler. De mon perchoir, j'aperçus le sillage laissé dans la broussaille par un des fuyards, qui courait en aveugle droit devait lui. Je faillis crier pour l'alerter, tant l'intention du singe était évidente. Mais je n'en eus ni le temps ni la force ; déjà, l'homme déboulait comme un chevreuil sur le terrain découvert. Le coup de feu retentit alors qu'il atteignait le milieu du champ de tir. Il fit un saut, s'effondra et resta immobile après quelques convulsions. Mais je n'observai l'agonie de la victime qu'un peu plus tard, mon attention ayant été encore retenue par le gorille. J'avais suivi l'altération de sa physionomie depuis qu'il était alerté par le bruit, et enregistré un certain nombre de nuances surprenantes : d'abord, la cruauté du chasseur qui guette sa proie et le plaisir fiévreux que lui procure cet exercice ; mais par-dessus tout le caractère humain de son expression."

 

 

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04 janvier 2023

"BOUQUINAGE" - 108

"Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu’à la nausée, non le combattant qu’il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu’il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d’angoisse n’était que clarté. ‘’Assassiner n’est pas seulement tuer...’’ Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait le plus possible, comme si la nuit n’eût pas suffi à cacher ses gestes. Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu’il ne pourrait jamais s’en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard était nu dans sa poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à l’entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute. Mais non, il ne se passait rien : c’était toujours à lui d’agir."

 

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03 janvier 2023

"BOUQUINAGE" - 107

"Martha se mit à hurler à pleine gorge, sans s'arrêter, cherchant peut-être à disperser tout ce cauchemar par un jet sonore, comme on disperse des flammes avec une lance d'incendie. Sa voix atteignit un aigu insoutenable et se brisa en un hoquet. Elle tituba dans les bras du savant affolé.

La lumière revint. Le lustre clignota plusieurs fois avant de briller d'une façon normale.

Les jumelles avançaient toujours à pas menus. Leurs têtes chauves luisaient de la pluie qu'elles avaient reçue, sans doute, en passant sur la terrasse. Leurs pieds nus laissaient des traces humides sur les dalles. Et Joachim eut un recul à la pensée que cette pluie terrienne était  radioactive. Il vit aussi que toutes ces têtes rondes n'avaient plus d'yeux, ni d'oreilles, ni de bouches. Elles n'étaient plus que des boules revêtues d'une peau unie et lisse. Les fillettes n'étaient plus qu'une foule sans visages et leurs mains avaient disparu. Leurs bras mous se raccordaient les uns aux autres et formaient un seul long serpent sans solution de continuité. Une activité cellulaire accélérée les unissait en un seul organisme. Une métamorphose fantastique résultant de la foudre, du venin, de la chair d'une morte et de cent hasards biochimiques produisait un être nouveau."

 

 

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01 janvier 2023

"BOUQUINAGE" - 105

 

"On découvrait de nouveaux virus tous les jours, et je me demandais souvent si ceux-ci ne régneraient pas un jour, et ne finiraient pas par gagner contre nous une guerre qui avait commencé dans la nuit des temps."

 

 

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31 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 104

"Ce que la nature a mis un million d’années à construire, nous sommes capables de le détruire en un seul jour."

 

 

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29 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 102

"Il s'apprêtait à remonter l'escalier lorsque l'oncle Vernon se mit à parler.

- Drôle de façon d'aller dans une école de sorciers, le train. Les tapis volants sont en panne ?

Harry ne répondit rien.

- D'ailleurs, où se trouve-t-elle cette école ?

- Je ne sais pas, dit Harry en prenant conscience pour la première fois de son ignorance à ce sujet. Je dois prendre le train à la gare de King's Cross à onze heures, sur la voie 9¾, ajouta-t-il en regardant le billet que Hagrid lui avait donné.

Son oncle et sa tante l'observèrent avec des yeux ronds.

- La voie combien ?

- 9¾ 

- Ne dis pas de bêtises, dit l'oncle Vernon. La voie 9¾ n'existe pas.

- C'est écrit sur mon billet.

- Ils sont tous fous ! décréta l'oncle Vernon. Enfin, tu as de la chance, je devais de toute façon aller à Londres demain matin.

- Pour le travail ? demanda Harry, essayant d'être aimable.

- Non, j'emmène Dudley à l'hôpital. Il faut lui faire enlever cette queue en tire-bouchon avant qu'il entre au collège."

 

 

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27 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 100

"Tel que nous le définissons plus précisément, le romantisme est une critique culturelle, ou une révolte, contre la modernité capitaliste-industrielle au nom de valeurs passées, prémodernes ou précapitalistes. En tant que vision du monde, il est présent dans toute une série de créations culturelles: littérature et art, religion et philosophie, théorie politique, historiographie, anthropologie, et même économie politique. Il perçoit dans l'avènement de la société bourgeoise moderne une perte décisive de valeurs humaines, sociales et spirituelles qui existaient dans un passé réel ou imaginaire - le Moyen Âge, la Grèce homérique, le communisme primitif, et autres.

La contestation romantique s'inspire toujours de valeurs précapitalistes -sociales, culturelles ou religieuses- et se caractérise par la nostalgie d'un paradis perdu, d'un âge d'or du passé. Mais cela ne signifie pas qu'elle soit toujours réactionnaire et rétrograde. Le romantisme peut prendre des formes régressives, rêvant d'un retour imaginaire au passé, mais aussi des formes révolutionnaires qui aspirent à une utopie future faisant un détour par le passé.

(...)

La perspective romantique est donc en contradiction directe avec ce que l'on a appelé “le régime moderne d'historicité”, fondé sur la croyance que le “Progrès” est inévitable et sur le rejet du passé prémoderne comme “archaïque”.

(...)

Comme nous l'avons déjà suggéré, le romantisme ne conteste pas toujours le système capitaliste dans son ensemble, mais réagit souvent à un certain nombre de traits de la modernité qu'il trouve particulièrement odieux et insupportables. Voici quelques exemples marquants -dans une liste qui est loin d'être exhaustive- de composantes caractéristiques et interdépendantes de la civilisation moderne fréquemment déplorées ou dénoncées dans les œuvres romantiques :

1) Le désenchantement du monde. (...)

2) La quantification du monde. (...)

3) La mécanisation du monde. (...)

4) La dissolution des liens sociaux. (...)

 

À cette liste de thèmes romantiques prédominants, il convient d'ajouter celui qui est au centre de cette étude : la destruction de la nature. Le gaspillage, la dévastation et la désolation infligées à l'environnement naturel par la civilisation industrielle sont souvent un motif profond de tristesse et de colère romantique. Elle est intimement liée aux quatre objets précédents de la protestation romantique. Nostalgiques de l'harmonie perdue entre l'homme et la nature, consacrant parfois la nature comme l'objet d'un culte mystique, de nombreux romantiques ont observé avec mélancolie et désespoir les progrès de la mécanisation et de l'industrialisation, la conquête moderne de l'environnement qui a conduit à la disparition des espaces sauvages et à la défiguration de beaux paysages. L'empoisonnement de la vie sociale par l'argent et l'empoisonnement de l'air par la fumée industrielle sont compris par certains romantiques comme des phénomènes parallèles, issus de la même racine perverse - la domination impitoyable de l'utilitarisme et du mercantilisme, le pouvoir dissolvant du calcul quantitatif. Dans le monde capitaliste désenchanté, la nature cesse d'être un royaume magique et spirituel, une création divine ou la splendeur sacrée de la beauté. Les forêts, les rivières et les paysages sont réduits à l'état de matières premières, exploitées jusqu'à épuisement."

 

 

 

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26 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 99

 

"Hari Seldon n’avait rien d’impressionnant à l’époque. Comme l’empereur Cléon Ier, il avait trente-deux ans, mais ne mesurait qu’un mètre soixante-treize. Le visage lisse, les traits avenants, il avait les cheveux bruns, presque noirs, et ses habits trahissaient une touche de provincialisme.

Pour quiconque, dans les siècles futurs, connaîtrait Hari Seldon uniquement comme un demi-dieu de légende, il semblerait quasiment sacrilège de ne pas le voir assis dans un fauteuil roulant, arborer des cheveux blancs, un visage âgé et ridé, un calme sourire irradiant la sagesse. Cependant, même à cet âge fort avancé, son regard resterait chaleureux. Cela au moins ne changerait pas.

Et son regard était particulièrement chaleureux, pour l’heure, car son article venait d’être présenté au Congrès décennal. Il y avait même soulevé un certain intérêt et le vieil Osterfith lui avait dit, en hochant la tête: ‘’Ingénieux, jeune homme ; fort ingénieux.’’ Ce qui, venant d’Osterfith, pouvait être considéré comme satisfaisant. Fort satisfaisant.

Mais voilà que survenait un développement nouveau –autant qu’inattendu– et Seldon se demandait s’il était ou non de nature à renforcer son allégresse et accroître sa satisfaction.

Il fixait le jeune homme en uniforme – l’emblème au Soleil et à l’Astronef bien en évidence sur le côté gauche de sa tunique.

‘’Lieutenant Alban Wellis, dit l’officier de la garde impériale avant de ranger sa carte. Voulez-vous bien me suivre, monsieur ?’’

Wellis était armé, bien sûr. Et deux autres gardes attendaient devant sa porte. Seldon savait qu’il n’avait pas le choix, nonobstant les circonlocutions polies de l’autre, mais rien ne lui interdisait de chercher à en savoir plus : ‘’Pour voir l’Empereur ?

— Pour être conduit au Palais, monsieur. Tels sont les ordres que j’ai reçus.

— Mais pourquoi ?

— On ne me l’a pas dit. Et mes ordres sont stricts : vous devez me suivre… d’une manière ou de l’autre.

— Mais cela ressemble fort à une arrestation. Je n’ai pourtant rien commis de répréhensible.

— Disons plutôt, monsieur, que l’on vous fournit une garde d’honneur, si vous ne tardez pas davantage.‘’

Seldon ne tarda pas plus. Il pinça les lèvres, comme pour retenir de nouvelles questions, hocha la tête, avança d’un pas. Même si c’était pour être présenté à l’Empereur et recevoir ses félicitations, il n’y trouvait aucun plaisir. Il était pour l’Empire –enfin, pour la paix et l’unité des mondes formant l’humanité–, mais il n’était pas pour l’Empereur.

Le lieutenant le précéda, les deux autres fermant la marche. Seldon sourit aux passants qu’il croisait, essayant de prendre un air dégagé. Une fois sortis de l’hôtel, ils montèrent dans un véhicule terrestre officiel (Seldon caressa de la main les garnitures intérieures : jamais il n’avait vu quelque chose d’aussi ouvragé).

Ils se trouvaient dans un des secteurs les plus opulents de Trantor : ici, le dôme était assez haut pour vous donner l’impression d’être à l’air libre et l’on aurait pu jurer –même quelqu’un comme Hari Seldon qui était né et avait grandi dans un monde ouvert– qu’on était à la lumière naturelle. Certes, il n’y avait ni ombre ni soleil, mais l’air était léger et parfumé.

Et puis l’impression se dissipa, la courbure du dôme s’accentua, les parois se rétrécirent et bientôt ils s’enfonçaient dans un tunnel confiné, balisé à intervalles réguliers par l’emblème au Soleil et à l’Astronef et donc réservé (de l’avis de Seldon) aux véhicules officiels.

Une porte s’ouvrit et le véhicule s’y engouffra. Lorsqu’elle se referma derrière eux, ils se retrouvèrent à l’extérieur, pour de bon. Il n’y avait en tout et pour tout que deux cent cinquante kilomètres carrés de terres à l’air libre sur Trantor, et sur ces terres se dressait le Palais impérial. Seldon aurait aimé avoir l’occasion de parcourir ce domaine – moins parce qu’il abritait le Palais que parce qu’il hébergeait l’Université et, détail plus intrigant encore, la Bibliothèque Galactique. Et pourtant, en passant du monde clos de Trantor à cette enclave à l’air libre, envahie par les bois et les forêts, il était passé dans un monde où les nuages obscurcissaient le ciel et où un vent frais s’engouffrait dans sa chemise. Il pressa le contact qui refermait la vitre du véhicule.

A l’extérieur, le temps était maussade."

 

 

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