24 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 187
"Elle ne se souvenait absolument pas de Piotr Alexandrovitch. Un jeune homme maigre, et même très maigre. Sobrement habillé et souriant. Il tira de la poche de son veston une enveloppe, en sortit une feuille de papier et la montra à Vika sans la lâcher.
— Vous connaissez ce document, Victoria Andréïevna ?
Elle y jeta un coup d’œil et un frisson la saisit : c’était l’engagement de collaboration qu’elle avait autrefois signé à la Loubianka. Maudit passé, maudit pays ! Piotr Alexandrovitch replia la feuille de papier, la remit dans sa poche et répéta sa question :
— Eh bien, Victoria Andreïevna, cela vous revient ?
Que peuvent-ils lui faire ? Ils ne sont pas à Moscou ! Elle va appeler un agent de police et lui livrer cet espion soviétique ! Qui a essayé de la faire chanter avec un faux papier. Ce papier servira avant tout à le démasquer.
— Non, répondit Vika, ce document m’est inconnu. Allons donc nous expliquer à la police.
— Nous n’avons pas besoin de la police, Victoria Andreïevna, répondit Soukhov en souriant. Des journalistes accourront tout de suite, et publieront ce document dans la presse et il vous sera difficile de réfuter l’expertise graphologique, difficile aussi d’expliquer vos rapports avec Mme Plevitskaïa et vos visites à Ozoir-la-Ferrière. Tout cela intéressera beaucoup les lecteurs. Mme Plevitskaïa a été démasquée et ses relations avec vous, un agent du NKVD, renforceront les accusations qui pèsent sur elle et serviront à vous inculper. Avant d’aller à la police il faut bien réfléchir.
Le discours de ce salaud, débité avec un charmant sourire, n’est pas une vaine menace : ils peuvent détruire sa vie et celle de Charles. Ils trament aussi impunément leurs intrigues à l’étranger qu’à la Loubianka, à Moscou ! Ils ont enlevé le général Koutiépov d’abord, puis le général Miller, en plein jour. Dire que le général Skobline et la Plevitskaïa, une chanteuse célèbre, travaillaient, eux aussi, pour eux !"

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23 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 186
"Staline sortit d’une autre armoire un ouvrage de Plekhanov et l’ouvrit à une page déjà marquée…
“La terreur est un ensemble systématique d’actes ayant pour but d’effrayer l’ennemi politique et de semer l’épouvante dans ses rangs.”
Cette définition est plus juste que celle d’Engels, car elle affirme le rôle positif de la terreur, mais elle est incomplète. Elle ne retient pour cible de la terreur que l’ennemi, l’adversaire à abattre.
En fait, la terreur n’est pas uniquement un moyen d’écraser toute dissidence, mais avant tout un moyen de créer le conformisme absolu découlant d’une peur collective. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut gouverner un peuple dans l’intérêt même de celui-ci. La souveraineté du peuple a toujours été et sera toujours un mythe. Le peuple ne saurait exercer le pouvoir, le pouvoir doit s’exercer sur le peuple. Les mesures de répression secrètes et massives inspirent une peur particulière, elles doivent donc être et sont le principal instrument de la terreur.
Mais, à présent, il faut une préparation psychologique publique, il faut que des meneurs portant des noms connus de tout le pays avouent leurs crimes. Et plus ces noms seront connus, plus le peuple sera convaincu du bien-fondé de la révolution des cadres, d’un renouvellement en masse de l’appareil et donc de ce qu’on appelle la terreur.
Les grands procès publics dont difficiles et comportent des aspects négatifs, mais ceux-ci sont largement compensés par les résultats positifs. Il faut intensifier et élargir la force et la portée de ces procès, à la fois quant aux noms et quant aux crimes soumis à la justice. Il faut utiliser jusqu’au bout l’assassinat de Kirov, qui constitue un atout majeur. Il faut en faire la base de tous les procès futurs et présenter les assassins de Kirov comme des ennemis jurés du Parti et du peuple. Ces procès publics devront être grandioses et universels. Tout le reste se jouera dans les coulisses. Et le procès le plus décisif sera le premier : de son succès dépendra celui des suivants.
D’après le recensement du Parti de 1922, celui-ci comprenait alors quatre cent mille membres, dont onze pour cent, en gros, soit quarante-quatre mille inscrits avant la Révolution ou en 1917. Il se souvient parfaitement de ces chiffres… Quinze ans se sont écoulés, beaucoup sont morts, beaucoup ont été exclus comme trotskistes, partisans de Zinoviev, de Sapronov ou de Boukharine. Combien sont-ils à présent ? Une vingtaine ou une trentaine de mille au grand maximum. Une misérable poignée ! Mais ils continuent à se considérer comme les maîtres de la situation… Vingt mille hommes dans un parti qui en comprend deux millions ! Un pour cent ! Le Parti se passera très bien d’eux.
IL déclenchera une avalanche qui emportera des dizaines et des centaines de milliers d’hommes peu fiables et fraiera la voie à des hommes uniquement dévoués à SA personne et dont toutes les pensées LUI appartiendront."

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22 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 185
"Dictature du prolétariat, nous disait-on. Nous sommes de plus en plus loin du compte. De plus en plus, c’est “la dictature de la bureaucratie sur le prolétariat”.
Car le prolétariat n’a même plus la possibilité d’élire un représentant qui défende ses intérêts lésés. Les votes populaires, ouverts et secrets, sont une dérision, une frime : toutes les nominations, c’est de haut en bas qu’elles se décident, qu’elles se font. Le peuple n’a le droit d’élire que ceux qui sont par avance choisis. Le prolétariat est joué. Bâillonné, ligoté de toutes parts, la résistance lui est devenue à peu près impossible. Ah ! la partie a été bien menée, bien gagnée par Staline ; aux grands applaudissements des communistes du monde entier qui croient encore, et croiront longtemps que, en U.R.S.S. du moins, ils ont remporté la victoire, et considèrent comme des ennemis et des traîtres tous ceux qui n'applaudissent pas."

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18 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 181
"C’était le temps où le seul sourire
Était le mort, heureux d’être au repos.
Léningrad n’était qu’une annexe inutile
Attachée à ses prisons.
Rendus fous par les supplices,
Les condamnés avançaient en rangs
Et les sifflets des locomotives
Chantaient la brève chanson de l’adieu.
Des étoiles de mort brillaient dans notre ciel.
L’innocente Russie se tordait de douleur,
Sous les bottes sanglantes,
Sous les pneus des fourgons noirs."

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15 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 178
"Et pourtant, je ne parvenais pas à imaginer que pareille chose pût m'arriver. Je n'éprouvais point de haine contre le Komintern, je n'étais que l'un des acteurs de la guerre que menaient des prolétaires internationalistes consciencieux contre la clique bureaucratique qui suivait Staline.
Certes, la clique gagnait toujours. Si demain Staline ordonnait à Dimitrov de hisser la croix gammée sur l'immeuble du Komintern à Moscou, Dimitrov le ferait. Si Staline disait à Wollweber de publier un pamphlet proclamant que Lénine était un pickpocket... Wollweber le ferait. Les années avaient profondément transformé le Komintern. L'avant-garde révolutionnaire n'était plus maintenant qu'une dague empoisonnée dans les mains de Staline.
Parfois, me maudissant de ma lâcheté, à croire que je voulais encore ranimer la flamme de ma foi, je me repassais divers épisodes de ma vie militante. À dix-huit ans, j'avais eu l'impression d'être un géant ; à vingt et un, c'était encore plus simple : “Il suffisait de lancer des grenades à la gueule de la contre-révolution” ; à vingt-deux, j'avais fait le tour du monde au service du Komintern -maigre, affamé, féroce- et j'en étais fier ; à vingt-neuf, les polices d'une demi-douzaine de pays européens me recherchaient en tant que principal agitateur des Fronts de mer du Komintern. À trente et un, j’œuvrais à transformer les prisons hitlériennes en écoles du prolétariat internationaliste. Et maintenant, à trente-trois ans, je me posais cette question : “Tout cela n'a-t-il jamais été que mensonge, imposture, et utopie sanglante ?”
Aucun homme ne peut se débarrasser de son passé."

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13 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 176
"Les masses se rendent compte du caractère réactionnaire du régime bolchévique : son régime de terreur et de persécution des non-communistes est condamné. La torture, dans les prisons politiques de la dictature et dans les camps de concentration du Grand Nord et de Sibérie, réveille les consciences des progressistes du monde entier. Dans presque tous les pays, des associations de défense et d'aide aux prisonniers politiques de Russie se sont constituées, pour demander leur libération et le rétablissement de la liberté d'opinion et d'expression."

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12 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 175
"La guerre civile n’était pas seulement une guerre mais aussi une révolution. (…) Depuis lors, et surtout depuis décembre de l’année dernière, le véritable combat du gouvernement espagnol a été d’écraser la révolution et de tout remettre dans l’état où il était auparavant. Ils ont plus ou moins réussi à le faire et ont maintenant installé un terrible règne de terreur dirigé contre quiconque est soupçonné de réelles sympathies révolutionnaires.
(...)
J’ai eu la chance de pouvoir sortir d’Espagne mais beaucoup de mes amis et connaissances sont toujours en prison et je crains fort que certains d’entre eux risquent d’être abattus, non pour une infraction quelconque mais pour s’être opposé au parti communiste (…) Ce que j’ai vu là-bas m’a tellement secoué que j’écris et que j’en parle à tout le monde. Naturellement, je suis en train d’écrire un livre sur ce sujet.
(...)
Lorsque la révolution a éclaté, les travailleurs, dans beaucoup de régions d’Espagne, ont établi les prémices d’un gouvernement du peuple : ils ont saisi des terres et des usines, ont mis en place des comités locaux, etc. Le gouvernement, qui est en grande partie contrôlé par le parti communiste, a réussi à défaire une grande partie de tout ça, d’abord en demandant aux travailleurs de ne pas compromettre la guerre et, plus tard, quand il s’est senti plus fort, par la force."

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11 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 174
"Cela fait près de neuf mois maintenant que je suis arrêté. J'ai déjà connu Kolodège et ses cachots, les tortures physiques et psychiques insupportables, les colères de Smola et le carrousel de Kohoutek. Et pourtant, si l'on m'avait dit, lorsque Kohoutek rentra de ses vacances, que pendant douze autres mois, les interrogatoires se poursuivraient journellement et qu'il me faudrait vivre un nombre incalculable de fois la retranscription des procès-verbaux administratifs, cela m'aurait semblé incroyable.
Je devine maintenant certaines des clés de cette tactique. L'arrestation de Slansky, en novembre, celle de Geminder et d'autres, leurs interrogatoires, leurs “aveux” ne pouvaient ne pas entraîner des formulations nouvelles dans les procès-verbaux administratifs de ceux qui, comme moi, devaient être inclus dans le procès. Mais moi, du moment que j'étais interrogé sur eux, et de la façon dont Kohoutek me les dépeignait, traîtres au Parti depuis toujours, je les croyais arrêtés depuis longtemps déjà. Je pense qu'aucun homme normal n'aurait pu imaginer que des dirigeants du Parti puissent laisser s'amonceler de telles accusations contre d'autres dirigeants, à l'insu de ces derniers, laissés en liberté, à leurs postes, des semaines et des mois durant.
Slansky ne passa qu'en septembre du Secrétariat général du Parti, à une vice-présidence du Conseil, une disgrâce certes, mais tout de même dorée. En effet, ce qui se passait avec nous illustre de façon aveuglante le procédé de fabrication de tels procès. On fabrique les accusations, les crimes, le cadre du procès et ensuite, seulement, on arrête les victimes, les coupables désignés."

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