10 septembre 2025
POLARS EN BARRE [45]
"Manchette va remettre la contestation sociale au centre du polar. (…) Pour Manchette, l’une des causes de l’émergence du roman noir ― cause que l’on a d’ailleurs pas assez soulignée ―, c’est la fin des utopies, la fin des idéaux révolutionnaires au crépuscule des années vingt. Quarante ans plus tard, le néo-polar ― et c’est Manchette qui invente le terme ― utilise le polar avec un recul critique. Le néo-polar, c’est un peu comme le western spaghetti, c’est-à-dire qu’il y a un produit de base qui est authentique, et qu’en y superposant notre culture ça devient autre chose. Manchette révolutionne ― il n’y a pas d’autre mot ― le paysage du roman noir français. Moi je trouve qu’avec Nada, Manchette fait du Nizan-polar. C’est La Conspiration en polar. Il ramène la politique au premier plan. Et il va faire école.
[…]
Je pense que l’on reste encore sur l’héritage Manchette. (…) L’héritage Manchette, c’est une dénonciation de la corruption, un constat lucide sur le monde. C’est ― aussi ― un esprit militant. (…) Bref, Manchette, qu’il l’ait voulu ou pas, a été un virage absolument essentiel. Manchette est toujours là. Et la plupart des polars possèdent un arrière-plan politique précis. Maintenant c’est explicite, tu fais un roman noir, c’est un roman engagé."
François Guérif
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09 septembre 2025
POLARS EN BARRE [44]
"Il s’approcha de la fenêtre, ajusta ses lunettes et examina le papier de près. Il se tournait pour dire quelque chose quand on entendit un grand bruit. La vitre brisée tomba sur le plancher. Woodward resta un moment debout, la bouche ouverte, puis ses jambes plièrent lentement sous lui et il tomba, une main agrippée au bas du rideau. Sa tête ballotta et ses lunettes glissèrent sur le côté de la figure. Ses yeux étaient grands ouverts et fixes."
Paul Cain
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08 septembre 2025
POLARS EN BARRE [43]
♦♦♦
"Pour apprendre à mieux connaître l’humanité souffrante, Danny fit une nouvelle fugue. Il vécut de grains ramassés autour des silos et bouillis dans des boites de conserves sur des feux de fortune. Comme les wagons de marchandises étaient tapissés à mi-hauteur de papier, le combustible ne manquait pas.
Évidemment, quand on fait un feu sur le plancher d’un wagon de marchandises, il arrive parfois que le wagon prenne feu également ― ce phénomène, d’ailleurs, provoquait invariablement une subite et joyeuse excitation parmi le personnel roulant et les surveillants attachés au convoi. Mais leur activité, quand bien même pittoresque, restait toujours inefficace en ce qui concerne la capture de Danny.
Il passa sans encombre au Canada et en sortit de même, après une conversation avec les préposés des douanes américaines. Ceux-ci lui demandèrent de leur prouver qu’il était citoyen des États-Unis. Danny s’empressa de les convaincre.
— Je peux vous donner, dit-il, les noms de tous les joueurs de base-ball américains, aussi bien dans les équipes nationales que régionales — je peux vous donner les positions des équipes et les points marqués par chacune d’elles.
Il s’exécuta sans se faire prier davantage et fut reconnu sur-le-champ américain cent pour cent."
Donald Henderson Clarke
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07 septembre 2025
POLARS EN BARRE [42]
"Les romans policiers sont les Mille et Une Nuits du monde moderne, et quand ils n’auraient que le mérite de recréer maint arabe en veston ou en jaquette écrasé de fatigue, ce serait déjà quelque chose.
Mais il est sans doute possible de leur trouver d’autres mérites. Bulwer Lytton, dans un de ses meilleurs romans, The Coming Race, se demande ce que deviendrait la littérature dans une société parfaitement organisée. Dans l’humanité des sages dont il nous fait le tableau, il n’y a plus ni poésie ni théâtre, car personne n’a plus de sentiments violents ni passionnés. Toutes les lois étant parfaites, il n’y a plus de revendications collectives ni individuelles, et par conséquent, plus de romans ni de pamphlets pour les exprimer. Bref, dans cette société utopienne, il n’y a plus de place pour la littérature, ni pour les littérateurs.
Bulwer ne parle pas de ce que deviendrait le detective novel. Et sans doute, il n’y aurait pas de place non plus pour le roman policier dans une telle société, puisque l’on n’y rencontre plus ni voleurs ni police. Remarquons cependant que ce que le roman policier emprunte aux exploits de la véritable police est réellement peu de chose, et que si un genre littéraire avait quelque chance de subsister dans cette société de gens trop sages, ce serait une forme voisine de celle de la nouvelle policière élaborée par Poe, s’adressant surtout et même exclusivement à l’intelligence.
Car le detective novel, le vrai, (et non le penny dreadful avec lequel on le confond trop souvent) s’adresse avant tout à l’intelligence ; et ce pourrait être pour lui un titre de noblesse. C’est peut-être, en tout cas, une des causes de la faveur dont il jouit. Un bon roman policier possède des qualités d’harmonie, d’organisation intérieure, d’équilibre, qui répondent à certains besoins de l’esprit, besoins que la partie de la littérature moderne qui se pique d’être la haute littérature néglige trop souvent pour se livrer à des débauches de sentimentalité ou d’érotisme. Au sortir de certaines lectures c’est presque un soulagement de suivre pas à pas la muse pédestre d’un Dr Watson."
Régis Messac
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06 septembre 2025
POLARS EN BARRE [41]
" — La littérature policière, c'est quoi pour vous ?
— Dorothy Belle Hughes : de la littérature."
Polar, Printemps 1983
♦♦♦
"Assurément, la révolte individuelle effraie bien moins que la révolte collective, mais elle n’en rend pas moins compte à sa façon des malaises d’une époque qui accumule les trahisons des promesses républicaines — ce que perçoit aussi une partie de la bourgeoisie… C’est en ces temps où se répète, comme indéfiniment, la mise à mort des espérances de justice sociale que s’affirment le roman policier et ses lecteurs. Si Edgar Allan Poe fut l’inventeur du genre avec Double Assassinat dans la rue Morgue, en 1841, Les Mystères de Paris, d’Eugène Sue (1842-1843), enquête dans les bas-fonds, ont incomparablement plus d’écho. Ces ouvrages dessinent les deux grandes voies que prendra le genre : roman noué sur une énigme, roman à imaginaire politico-social — qu’on appellera plus tard le « polar ». Ambiances radicalement différentes, pourtant l’énigme n’est que la version plus ou moins aseptisée, intemporelle et dépolitisée, de ce qui anime le polar : le désir d’accéder à la vérité cachée, de faire tomber le mensonge et advenir la justice, voilà toujours ce qui fait vibrer le détective. Mais, dans le polar, les crimes ne relèvent plus de la (seule) psychologie. Ils sont ancrés dans un monde où les crapules et les manipulateurs sont au pouvoir. Pas de grand justicier qui nettoie définitivement le « mal ». Le coupable est pluriel, le mal n’est pas individuel, mais politique, social, institutionnel. Au mieux, on en démonte quelques rouages, on rend visible sa violence, souvent métaphoriquement : avec les durs à cuire (abrités par la « Série noire »), avec la constellation du « néo-polar » (Jean-Patrick Manchette, etc.), avec les évocateurs de meurtres quasiment effacés par le récit officiel (Didier Daeninckx, Dominique Manotti)…"
Évelyne Pieiller
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05 septembre 2025
POLARS EN BARRE [40]
♦♦♦
"Elle sourit vaguement. Elle pouvait avoir trente ou trente-cinq ans. Elle avait l’œil marron et le visage délicat. Son sourire vague découvrit peu à peu ses dents qui étaient petites et régulières. Roucart s'avançait vers elle en l'appelant sa chère enfant et il avait la voix paternelle cependant que ses gros yeux bleus parcouraient sans cesse la silhouette mince de la jeune femme, et il s'étonnait hautement de la voir ici, d'abord elle ne chassait jamais, ensuite elle avait fait ses adieux à tout le monde hier après-midi et elle était partie en taxi à la gare.
— Pour une surprise, c'est une surprise, une bonne surprise ! clama-t-il et elle prit en main le calibre 16 et le tourna vers lui et avant même qu'il eût cessé de sourire elle lui vida les deux canons dans le buffet.
Ensuite il était étendu sur le dos contre la pente pleine de feuilles pourries. Il avait des trous plein le torse et sa veste kaki était remontée sous son menton à cause du choc et sa chemise à carreaux était à moitié sortie de son pantalon. La tête nue de Roucart était penchée et tournée sur un côté, sa joue reposait dans la boue, ses yeux et sa bouche étaient ouverts, sa casquette était par terre, retournée. De la salive miroitant dans sa bouche, l'homme eut une petite contraction de la paupière et puis mourut. Dans le lointain s'entendit le bruit bénin de trois coups de feu. La jeune femme s'en alla."
Jean-Patrick Manchette
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04 septembre 2025
POLARS EN BARRE [39]
"Sous un soleil brillant d’automne, je remontai dans ma voiture. J’étais le gentil mec qui tâchait de se débrouiller pour s’en tirer. Oui. J’étais un gars comme ça. J’étais content de me connaître. J’étais le genre de type qui arrachait à une vieille épave à moitié pourrie ses plus chers secrets pour gagner un pari de dix dollars."
Raymond Chandler
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03 septembre 2025
POLARS EN BARRE [38]
"Soudain, il la serra contre lui, farouchement, toute sa souffrance réveillée, il ferma les yeux très fort. Elle s’écarta doucement de lui, puis le regarda avec toute la candeur d’un très jeune enfant.
— Pourquoi on est venu ici, Papa ? demanda-t-elle.
Et parce que son petit visage et ses yeux étaient si francs, et parce qu’il n’avait jamais menti à sa fille pendant sa courte vie de neuf ans, il soutint son regard et murmura :
— Parce que je crois que ta maman a été assassinée, Penny."
Ed McBain
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