05 septembre 2025
POLARS EN BARRE [40]

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"Elle sourit vaguement. Elle pouvait avoir trente ou trente-cinq ans. Elle avait l’œil marron et le visage délicat. Son sourire vague découvrit peu à peu ses dents qui étaient petites et régulières. Roucart s'avançait vers elle en l'appelant sa chère enfant et il avait la voix paternelle cependant que ses gros yeux bleus parcouraient sans cesse la silhouette mince de la jeune femme, et il s'étonnait hautement de la voir ici, d'abord elle ne chassait jamais, ensuite elle avait fait ses adieux à tout le monde hier après-midi et elle était partie en taxi à la gare.
— Pour une surprise, c'est une surprise, une bonne surprise ! clama-t-il et elle prit en main le calibre 16 et le tourna vers lui et avant même qu'il eût cessé de sourire elle lui vida les deux canons dans le buffet.
Ensuite il était étendu sur le dos contre la pente pleine de feuilles pourries. Il avait des trous plein le torse et sa veste kaki était remontée sous son menton à cause du choc et sa chemise à carreaux était à moitié sortie de son pantalon. La tête nue de Roucart était penchée et tournée sur un côté, sa joue reposait dans la boue, ses yeux et sa bouche étaient ouverts, sa casquette était par terre, retournée. De la salive miroitant dans sa bouche, l'homme eut une petite contraction de la paupière et puis mourut. Dans le lointain s'entendit le bruit bénin de trois coups de feu. La jeune femme s'en alla."
Jean-Patrick Manchette

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04 septembre 2025
POLARS EN BARRE [39]
"Sous un soleil brillant d’automne, je remontai dans ma voiture. J’étais le gentil mec qui tâchait de se débrouiller pour s’en tirer. Oui. J’étais un gars comme ça. J’étais content de me connaître. J’étais le genre de type qui arrachait à une vieille épave à moitié pourrie ses plus chers secrets pour gagner un pari de dix dollars."
Raymond Chandler

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03 septembre 2025
POLARS EN BARRE [38]
"Soudain, il la serra contre lui, farouchement, toute sa souffrance réveillée, il ferma les yeux très fort. Elle s’écarta doucement de lui, puis le regarda avec toute la candeur d’un très jeune enfant.
— Pourquoi on est venu ici, Papa ? demanda-t-elle.
Et parce que son petit visage et ses yeux étaient si francs, et parce qu’il n’avait jamais menti à sa fille pendant sa courte vie de neuf ans, il soutint son regard et murmura :
— Parce que je crois que ta maman a été assassinée, Penny."
Ed McBain

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02 septembre 2025
POLARS EN BARRE [37]
"J’ai secoué la tête :
― Rien ne se règle jamais tout seul.
On est resté un long moment plantés tous les deux devant la fenêtre, sans rien dire. La radio, de l’autre côté de la cour, avait fini par s’éteindre, et la nuit était très paisible. Et, pourtant, dans toutes les rues et les avenues de la ville, la police était à nos trousses."
Steve Fisher

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01 septembre 2025
POLARS EN BARRE [36]

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♦♦♦
"Il est inutile d’insister sur la perception du roman policier comme sous-littérature : elle est tellement ancrée dans nos mœurs, en portent témoignage les propos de tant de critiques et d’écrivains «respectables», ainsi que, souvent, ceux des auteurs «policiers» eux-mêmes, que l’on peut honnêtement la considérer comme un fait acquis.
Toutefois, ce fait acquis correspond étrangement à ce qui semble bien constituer une caractéristique intrinsèque du genre. Car loin d’avoir été formulé après la naissance de celui-ci, sur la base d’une appréciation globale et empirique, le jugement reléguant le roman policier dans le domaine «para-littéraire», tout comme l’association du genre au jeu, survint au moment même de cette naissance. Mieux : la désapprobation constitua, dès l’abord, une composante essentielle du propos isolant le «detective story» de la «bonne» littérature.
(…)
D’une certaine manière, l’on pourrait même se demander si le roman policier n’est pas rejeté précisément parce qu’il s’agit d’un genre. Dans une telle perspective, l’aspect «mauvaise littérature» ne constituerait nullement un jugement de valeur, mais bien un décret proprement constitutif du genre. Il ne s’agirait pas d’une catégorie comportant un grand nombre de mauvais échantillons, mais bien d’une mauvaise littérature parce que constituée en catégorie.
(…)
C’est dès sa naissance que le roman policier semble ainsi promis à une destinée singulière. On ne l’observe pas parce qu’il existe, — il vient à l’existence dans la mesure où l’on en parle. Et c’est a priori qu’on ne le perçoit que comme antithèse de ce qui est, par définition, la seule forme d’écriture digne d’être remarquée, la bonne, vraie littérature."
Uri Eisenzweig

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31 août 2025
POLARS EN BARRE [35]
"Il me coupa la parole.
— La loi, c’est moi qui l’ai faite dans le comté de Tangerine pendant des années, et vous voyez ce que ça a donné. La loi est aussi pourrie que moi, Frank. On ne peut plus compter sur la loi. C’est vieux jeu, c’est passé de mode. Nous l’avons tellement déformée et tournée à notre avantage, le général et moi, qu’elle a les reins brisés."
Don Tracy

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30 août 2025
POLARS EN BARRE [34]
"Une fois de plus venait de se produire ce miracle, déprécié, discrédité aux yeux de ses milliers de bénéficiaires —sauf un— qui s’appelle la naissance du jour.
Tous deux, l’homme et la jeune fille, demeuraient inertes, endormis à leur table, aurait-on dit. Lui, assis droit dans sa chaise, elle, pliée en deux, la tête calée sur la table.
Pourtant, Shawn avait les yeux grand ouverts. Ceux de la jeune fille étaient invisibles, derrière son bras replié, comme un rempart, l’autre allongé en travers de la table, vers lui.
(…)
Shawn toucha d’abord la main tendue vers lui, légèrement.
— Il fait jour, dit-il doucement. Les étoiles sont parties ! Regardez… on ne les voit plus.
Elle ne bougea pas. Il remonta alors plus haut sur le bras, au dessus du coude, et insista patiemment, du bout des doigts.
— Levez la tête, elles sont loin, je vous assure. Vous ne me croyez pas ? Vous n’avez pas confiance en moi ?
Elle ne parut pas entendre. Il abandonna et retira sa main, persuadé qu’elle ne bougerait jamais plus."
William Irish

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29 août 2025
POLARS EN BARRE [33]
"Les pages du calendrier défilent, s’envolent, se déchirent, changent d’aspect. Elles ressemblent à des courbes de ventes, maintenant. Elles montrent le passage de 53 à 54. Les barres verticales grimpent de plus en plus haut. Le tirage de Confidentiel atteint le million d’exemplaires par mois. Puis Confidentiel bondit jusqu’au million et demi en un temps remarquablement record.
Et tout ça, c’est grâce à MOI. Je suis plongé jusqu’au cou dans les secrets sordides que j’ai cruellement convoités toute ma vie. J’ai mis sur écoute le Tout Hollywood. Ma ville grouille de cafteurs de cancans que je rétribue personnellement. Les chambres d’hôtel et les maisons de passe son reliées directo à mon magnéto. J’apprends tout ce qui est effrontément honteux, sexuellement souillé, profondément répugnant, et tout ce qui est mal du point de vue de la morale. C’est mal, c’est véridique, et c’est à MOI."
James Ellroy

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