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21 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 184

"Je ne souhaite pas rejeter l'importance de l'élément individuel dans l'histoire. Ni Staline ni moi-même n'avons les positions actuelles par accident. Mais nous n'avons pas créé ces positions. Chacun de nous a été pris dans ce drame pour la représentation d'idées et de principes précis. À leur tour, ces idées et principes ne sont pas tombés du ciel, mais ont de profondes racines sociales. C'est pourquoi on doit prendre, non l'abstraction psychologique de Staline en tant qu'“homme”, mais sa personnalité historique concrète comme dirigeant de la bureaucratie soviétique. On ne peut comprendre les actes de Staline qu'en partant des conditions d'existence de la couche de nouveaux privilégiés, avide de pouvoir, avide de confort matériel, inquiète pour ses positions, craignant les masses et haïssant mortellement toute opposition."

 

 

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20 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 183

"L'erreur fondamentale de la théorie Lénine-Trotsky est précisément que, tout comme Kautsky, ils opposent la démocratie à la dictature. “Dictature ou démocratie”, ainsi se pose la question pour les bolcheviks comme pour Kautsky. Ce dernier se prononce bien entendu pour la démocratie, et même pour la démocratie bourgeoise, puisqu'il l'oppose à la transformation socialiste. Lénine-Trotsky se prononcent au contraire pour la dictature d'une poignée de personnes, c'est-à-dire pour la dictature selon le modèle bourgeois. Ce sont là deux pôles opposés, tout aussi éloignés l'un et l'autre de la véritable politique socialiste. Le prolétariat, une fois au pouvoir, ne peut, suivant le bon conseil de Kautsky, renoncer à la transformation socialiste sous prétexte que “le pays n'est pas mûr” et se vouer à la seule démocratie, sans se trahir lui-même et sans trahir en même temps l'Internationale et la révolution. Il a le devoir et l'obligation, justement, de se mettre immédiatement, de la façon la plus énergique, la plus inexorable, la plus brutale, à l'application des mesures socialistes, et, par conséquent, d'exercer la dictature, mais une dictature de classe, non celle d'un parti ou d'une clique, dictature de classe, c'est-à-dire avec la publicité la plus large, la participation la plus active, la plus illimitée, des masses populaires, dans une démocratie complète. “En tant que marxistes, nous n'avons jamais été idolâtres de la démocratie formelle”, écrit Trotsky. Assurément, nous n'avons jamais été idolâtres de la démocratie formelle. Mais du socialisme et du marxisme non plus, nous n'avons jamais été idolâtres.

(…)

 

La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d'un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n'est pas la liberté. La liberté, c'est toujours la liberté de celui qui pense autrement. Non pas par fanatisme de la “justice”, mais parce que tout ce qu'il y a d'instructif, de salutaire et de purifiant dans la liberté politique tient à cela et perd de son efficacité quand la “liberté” devient un privilège."

 

 

 

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17 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 180

"Sur ces mots, Lénine se leva et, marchant de long en large, il poursuivit : “Oui, oui, les anarchistes regorgent d’idées pour l’avenir, mais quant au présent, ils n’ont pas les pieds sur terre. C’est pitoyable parce que leur aveuglement les prive de tout lien réel avec l’avenir en question.”

Sverdlov eut un petit rire, et s’adressant à moi : “Vous ne pouvez le nier, les remarques de Vladimir Illitch son justes.

— Est-ce que les anarchistes ont jamais reconnu qu’ils n’avaient pas les pieds sur terre dans la vie présente ? L’idée ne leur vient même pas à l’esprit”, insista Lénine.

Je leur déclarai que je n’étais qu’un paysan sans instruction et que je ne pouvais disputer de l’opinion si subtile que venait d’émettre le camarade Lénine : “Mais je dois dire que votre jugement sur les anarchistes qui ne se soucieraient pas du présent, n’auraient aucun lien avec lui et ainsi de suite, est totalement erroné. Les anarchistes-communistes d’Ukraine, ou du sud de la Russie, comme vous la nommez, vous communistes-bolchéviks, en évitant de l’appeler par son nom, ont donné de nombreuses preuves de leur attachement au présent. Toute la lutte de la campagne ukrainienne contre la Rada centrale a été menée sous la direction d’idée des anarchistes-communistes et, en partie des SR de gauche, dont les desseins, il est vrai, étaient bien différents des nôtres. Vos bolcheviks sont absents des campagnes ou, s’il s’en trouve, leur influence est nulle. Presque toutes les communes, ainsi que les collectifs de travail, ont été mis sur pied à l’initiative des anarchistes-communistes. La lutte armée contre la réaction s’est engagée sous leur direction idéologique et leur action organisatrice exclusives. Ce n’est pas l’intérêt de votre parti de le reconnaître, mais vous ne pouvez nier les faits. Je crois que vous connaissez bien le nom et le nombre des détachements révolutionnaires d’Ukraine, car ce n’est pas sans raison que vous avez souligné leur courage révolutionnaire… Une bonne moitié d’entre eux a combattu sous l’étendard anarchiste. Leurs commandants, Mokrooussov, Maria Nikiforova, Tchéredniak, Garine, Tcherniak, Lounev et tant d’autres, sont tous des anarchistes-communistes. Sans même parler du groupe auquel j’appartiens, ni de tous les détachements et bataillons libres que ne peut ignorer le haut commandement des gardes rouges… Tout cela, camarade Lénine, démontre de la manière la plus convaincante combien vos remarques concernant notre attitude à l’égard du présent et notre préoccupation exclusive de l’avenir sont dénuées de fondement. Ce que je vous ai dit au début de notre entretien ne peut être contesté, et correspond bien à la réalité, même si celle-ci vous contrarie. Nous tenons au présent et tentons de toutes nos forces, en effet, de nos rapprocher à travers lui de l’avenir, auquel nous pensons aussi et très sérieusement”.

À ces mots, je jetai un coup d’œil sur le président du Comité central exécutif des soviets, le camarade Sverdlov. Il rougit d’un coup, mais continua à me sourire. Quant à Lénine, il écarta les bras et dit : “Il est possible que je me trompe

— Oui, oui, camarade Lénine, dans ce cas précis vous nous avez durement jugés, nous les anarchistes-communistes, uniquement parce que vous êtes mal informé, à mon avis, de la réalité ukrainienne et de notre rôle dans le pays, appuyai-je.

— C’est bien possible, je ne le conteste pas. Chacun peut se tromper, surtout dans la situation actuelle” répéta Lénine, en écartant encore les bras. Puis voyant que j’étais nerveux, il s’efforça paternellement de m’apaiser, en changeant très adroitement de conversation."

 

 

 

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