22 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 185
"Dictature du prolétariat, nous disait-on. Nous sommes de plus en plus loin du compte. De plus en plus, c’est “la dictature de la bureaucratie sur le prolétariat”.
Car le prolétariat n’a même plus la possibilité d’élire un représentant qui défende ses intérêts lésés. Les votes populaires, ouverts et secrets, sont une dérision, une frime : toutes les nominations, c’est de haut en bas qu’elles se décident, qu’elles se font. Le peuple n’a le droit d’élire que ceux qui sont par avance choisis. Le prolétariat est joué. Bâillonné, ligoté de toutes parts, la résistance lui est devenue à peu près impossible. Ah ! la partie a été bien menée, bien gagnée par Staline ; aux grands applaudissements des communistes du monde entier qui croient encore, et croiront longtemps que, en U.R.S.S. du moins, ils ont remporté la victoire, et considèrent comme des ennemis et des traîtres tous ceux qui n'applaudissent pas."
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18 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 181
"C’était le temps où le seul sourire
Était le mort, heureux d’être au repos.
Léningrad n’était qu’une annexe inutile
Attachée à ses prisons.
Rendus fous par les supplices,
Les condamnés avançaient en rangs
Et les sifflets des locomotives
Chantaient la brève chanson de l’adieu.
Des étoiles de mort brillaient dans notre ciel.
L’innocente Russie se tordait de douleur,
Sous les bottes sanglantes,
Sous les pneus des fourgons noirs."
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15 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 178
"Et pourtant, je ne parvenais pas à imaginer que pareille chose pût m'arriver. Je n'éprouvais point de haine contre le Komintern, je n'étais que l'un des acteurs de la guerre que menaient des prolétaires internationalistes consciencieux contre la clique bureaucratique qui suivait Staline.
Certes, la clique gagnait toujours. Si demain Staline ordonnait à Dimitrov de hisser la croix gammée sur l'immeuble du Komintern à Moscou, Dimitrov le ferait. Si Staline disait à Wollweber de publier un pamphlet proclamant que Lénine était un pickpocket... Wollweber le ferait. Les années avaient profondément transformé le Komintern. L'avant-garde révolutionnaire n'était plus maintenant qu'une dague empoisonnée dans les mains de Staline.
Parfois, me maudissant de ma lâcheté, à croire que je voulais encore ranimer la flamme de ma foi, je me repassais divers épisodes de ma vie militante. À dix-huit ans, j'avais eu l'impression d'être un géant ; à vingt et un, c'était encore plus simple : “Il suffisait de lancer des grenades à la gueule de la contre-révolution” ; à vingt-deux, j'avais fait le tour du monde au service du Komintern -maigre, affamé, féroce- et j'en étais fier ; à vingt-neuf, les polices d'une demi-douzaine de pays européens me recherchaient en tant que principal agitateur des Fronts de mer du Komintern. À trente et un, j’œuvrais à transformer les prisons hitlériennes en écoles du prolétariat internationaliste. Et maintenant, à trente-trois ans, je me posais cette question : “Tout cela n'a-t-il jamais été que mensonge, imposture, et utopie sanglante ?”
Aucun homme ne peut se débarrasser de son passé."
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