09 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 172
"Les coups de téléphone de Staline ! Une fois ou deux par an, des rumeurs couraient dans Moscou : Staline avait appelé le metteur en scène Dovjenko, Staline avait téléphoné à l’écrivain Ehrenbourg.
Point lui était besoin d’ordonner : donnez un prix à un tel, ou un appartement, construisez-lui un institut scientifique ! Il était trop grand pour parler de ces choses. Ses subordonnés s’en occupaient, essayant de deviner ses désirs à l’expression de ses yeux, aux intonations de sa voix. Il lui suffisait d’adresser à un homme un petit rire bienveillant pour que son destin s’en trouve changé : il quittait les ténèbres, l’anonymat, pour un déluge de gloire, d’honneurs, de puissance. Des dizaines de personne haut placées saluaient alors l’heureux élu : Staline lui avait souri, avait plaisanté avec lui, lui avait parlé au téléphone.
Les gens se répétaient les détails de ces conversations, chaque parole prononcée par Staline leur semblait étonnante. Plus les mots employés étaient banals, plus ils les stupéfiaient. Staline, à les en croire, ne pouvait user de mots courants.
On racontait qu’il avait appelé un sculpteur célèbre et lui avait dit, en riant :
— Bonjour, vieil ivrogne.
Il avait appelé une autre célébrité, un homme honnête, et lui avait parlé d’un de ses camarades qu’on avait arrêté. L’autre, désemparé, avait bafouillé une réponse et Staline lui avait dit :
— Vous défendez bien mal vos amis.
On racontait qu’il avait téléphoné à la rédaction d’un journal pour les jeunes, et que le rédacteur adjoint avait répondu :
— Boubekine à l’appareil.
Staline avait alors demandé :
— Et qui est Boubekine ?
Et Boubekine de répondre :
— N’avez qu’à le savoir ! Et il avait brutalement raccroché.
Staline l’avait alors rappelé :
— Camarade Boubekine, ici Staline. Soyez gentil de m’expliquer qui vous êtes.
On racontait que Boubekine avait ensuite passé deux semaines à l’hôpital, pour se remettre du choc nerveux.
Une seule de ses paroles pouvait anéantir des milliers, des dizaines de milliers de personnes. Un maréchal, un commissaire du peuple, un membre du Comité central, un secrétaire d’obkom, tous ces gens qui, hier encore, commandaient une armée, un groupe d’armées, régnaient sur des régions, des républiques, d’énormes usines, pouvaient aujourd’hui, sur un simple mot de colère de Staline, n’être plus que grains de poussière dans un camp, où ils attendraient leur rata, dans un tintement de gamelles."

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06 mars 2023
"BOUQUINAGE" - 169
"Avélii et Varvara descendirent le lendemain dans un monde souterrain qu'ils connaissaient déjà, où l'on vivait d'une vie larvaire et doucement délirante... Aux fenêtres — car ces caves affleuraient au sol — garnies de fil de fer barbelés, manquaient la moitié des carreaux : et toute la poussière noircie des années recouvrait ce qui restait de vitre. Douze femmes ici, dix-sept hommes là-bas baignaient dans la même chaleur animale, respiraient les mêmes relents de défécation, tuant le temps avec les mêmes récits d'infortune. Les femmes s'allongeaient à tour de rôle pour dormir sur des planches qui puaient la punaise. Son tour venu, Varvara avait pour voisine une maigre femme de pêcheur aux pommettes aiguës, inculpée de spéculation, et une vieille à bandeau noir, inculpée de sorcellerie et propos contre-révolutionnaires."

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28 février 2023
"BOUQUINAGE" - 163
"La Patrouille, rassemblement d’hommes de toutes les époques, dont les derniers dirigeants vivaient à quelques millions d’années de là, existait pour garder, guider et aider le trafic à travers le temps. Mais elle était destinée avant tout à la préservation de l’histoire établie."

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27 février 2023
"BOUQUINAGE" - 162
"Toutes les entreprises de pompes funèbres avaient fermé leurs portes. La loi ne souffrait pas d’exception : les morts devaient être transportés, immédiatement après le décès, aux fosses crématoires. C’était le seul moyen de détruire les bactéries responsables de l’épidémie."

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26 février 2023
"BOUQUINAGE" - 161
"De jour en jour, et par les deux côtés de mon intelligence, le moral et l'intellectuel, je me rapprochai donc peu à peu de cette vérité, dont la découverte partielle a entraîné pour moi un si terrible naufrage : à savoir, que l'homme n'est en réalité pas un, mais deux."

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25 février 2023
"BOUQUINAGE" - 160
"Les bâtiments étaient si espacés qu'on s'imaginait difficilement la configuration de la métropole. Dommage, songea Hal. Les Wogs avaient plus d'espace vital qu'il ne leur en fallait. Tout au moins pour le moment ; avec l'explosion démographique, un jour viendrait où les édifices s'empileraient sur ces étendues vides. Ozagen deviendrait alors aussi surpeuplée que la Terre.
Il rectifia aussitôt : surpeuplée, oui, mais pas par les Wogglebugs. Si l'expédition menait son plan à bien, les humains, membres de l'Union, remplaceraient les indigènes.
Son cœur se serra et il songea — pensée irréaliste, bien sûr ! — qu'un tel événement était atrocement inique. De quel droit des êtres venus d'une autre planète arrivaient ici dans l'intention de massacrer impitoyablement tous les habitants de ce monde ?
Parce que le Précurseur l'avait dit. Pourtant..."

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24 février 2023
"BOUQUINAGE" - 159
"Quand il eut réussi à franchir le trou, il replaça tant bien que mal les briques, puis se colleta avec le sac jusqu'à ce qu'il l'eût amené dans la grotte. Debout dans l'obscurité, trempé de sueur, sa pensée tournait en rond : les diamants, les bagues, les montres, l'argent ; il se rappelait les chants dans l'église, les gens qui gueulaient au cinéma, le bébé mort, l'homme nu étendu sur une table blanche... Il voyait tous ces fragments de réalité danser devant ses yeux et les sentait reliés par quelque obscure signification, apparentés par quelque relation magique... Il restait les yeux écarquillés, convaincu que toutes ces images, à leur mode muette, s'efforçaient de lui dire quelque chose..."

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23 février 2023
"BOUQUINAGE" - 158
"Il savait maintenant ce dont il avait envie. Il voulait regagner son propre univers, un univers où les hommes n'avaient pas encore conquis la Lune. Et si jamais il y revenait, il se garderait bien d'aller dire aux savants de ne plus chercher à utiliser la fusée comme moyen de propulsion, mais plutôt de brancher des générateurs sur des machines à coudre.
Il remonta dans son appareil — avec beaucoup plus d'entrain qu'il n'en était sorti — et referma la porte étanche. L'atmosphère de la cabine s'était refroidie et un peu raréfiée, mais maintenant que la porte étanche était refermée, l'aérogène et le radiateur n'allaient pas tarder à la rendre de nouveau normale.
Il boucla les courroies en se disant : “Eh bien, je suis rudement content d'avoir été déçu.”
Il était content parce que, s'il n'avait pas tenté cette expérience, il n'aurait jamais été tout à fait satisfait de son propre univers, en admettant qu'il y revînt. Toute sa vie, il se serait reproché d'avoir connu un monde où le voyage dans l'espace était possible et de ne pas en avoir profité.
Maintenant, c'était chose faite, il avait la conscience tranquille."

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