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03 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 197

"L'erreur la plus répandue revient à qualifier Didier Comès d'auteur métaphysique, à la recherche de Dieu, ou reproche formel, de connoter son œuvre comme relevant du mauvais chromo régionaliste. “Didier Comès dessine mal”, n'est-ce pas là un avis semblable à celui qu'avancent certains cuistres à propos de Balzac, qualifié de mauvais écrivain, sans que soit jamais précisé ce qu'est la valeur artistique ? Oublions donc les Abel Mauvy de la critique pour savourer notre plaisir et relisons Silence en toute sérénité. Sans doute, le poids de l'histoire pèsera sur Didier Comès. Ces dernières années, nous avons assisté au retour du récit et à l'émergence du noir et blanc. La démarche de Comès s'insère dans cette orientation dont les chefs de file sont Muñoz et Sampayo, Pratt et Tardi."

 

 

 

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Jean-Maurice Rosier

 

02 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 196

"Il aurait largement le temps de se poser des questions. Des questions qu’il ne pourrait poser à personne, hormis à lui-même et au vent hululant dont la violence ne cesserait de croître.

Il y eut toutefois un interlude. Sweeny partit à pied rechercher l’émetteur, qu’il avait enterré au point H de la nomenclature de Howe, avant de rejoindre la station. Le trajet lui prit onze jours ; les efforts qu’il déploya et les privations qu’il endura auraient inspiré un roman à Jack London. Mais ces épreuves ne signifiaient rien pour lui. Il ignorait s’il aurait envie d’utiliser le poste qu’il ramenait. Et il ne se rendait pas compte que sa randonnée solitaire était une épopée, il n’avait pas conscience qu’elle constituait un exploit d’une rare difficulté. Il manquait de points de comparaison, fussent-ils littéraires : il n’avait jamais lu un seul roman. Il mesurait toutes choses en fonction des changements que ceci ou cela apportait à sa situation et la possession de la radio ne changeait rien aux questions qu’il se posait. Simplement, elle lui permettrait d’agir sur les réponses — lorsqu’il aurait des réponses."

 

 

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28 mars 2023

"BOUQUINAGE" - 191

"Le médecin serre une dernière fois son épaule et retourne à sa place. Il la regarde comme il l’a toujours fait pendant toutes ces année, droit dans les yeux, sans faillir.

— Non, André ne m’en a pas parlé. Je ne l’ai pas vu depuis trois semaines. Vous savez, vous, où est André ?

Elle veut parler mais ses oreilles se mettent à bourdonner, elle se voit en pyjama, ses cheveux sont lâchés, ils sont beaux encore, n’est-ce pas, ses cheveux ? Elle tient à la main un téléphone, c’est la nuit, elle est seule, elle crie. C’est la nuit, elle vient d’être réveillée par la sonnerie du téléphone et elle ne se souvient pas des mots dits mais elle sait qu’elle a crié très fort. Où est André ?

Le médecin ne la quitte pas du regard et elle ne peut y lire autre chose que de la douceur, de la gentillesse, de la franchise. Elle se lève, elle se sent forte tout à coup, c’est un sentiment qui lui est familier, elle ne tombe jamais en dépression, on croit qu’elle va tomber, on croit qu’elle va cette fois-ci rompre mais non, elle se redresse, elle va se remettre en route. Elle sourit. Elle rédige son chèque et part avec l’ordonnance.

Le docteur B. reste assis à son bureau. Malgré lui, son cœur se serre. Il regarde l’heure, c’est déjà dix-neuf heures et il n’y a plus personne dans la salle d’attente. Il voudrait pouvoir la suivre, cette patiente, l’accompagner pendant un moment, ne plus être son médecin mais simplement un ami qui aurait le courage de lui révéler ce qu’elle a effacé de sa mémoire mais qui la réveille toutes les nuits à la même heure, comme un fantôme qui n’aurait pas terminé son travail."

 

 

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