07 octobre 2018
Un vote pour un programme de rupture !
Dans quelques jours, les élections communales ; dans quelques mois, les élections législatives et les élections européennes. Comment se positionner en Belgique face à ces échéances politiques ? Je ne développerai pas ici mon point de vue sous la forme d'un «article» classique mais sous la forme -plus dynamique- d'un «entretien» avec... un interlocuteur fictif.
Les sondages ont toujours beaucoup de succès, surtout à l'approche d'une échéance électorale nationale. Que t'inspire celui réalisé pour Le Soir-RTL Info et publié la semaine dernière ?
Un intérêt tout-à-fait relatif. En France, un Jean-Luc Mélenchon préfère parler -ironiquement- d' «horoscopes». Cette expression me convient. Ils vous arrachent un sourire ou on les prend au sérieux ! Et dans ce deuxième cas de figure, ils favorisent de vives préoccupations et débouchent sur des extrapolations sans fin, bref ils perturbent. Il est toujours amusant d'entendre des responsables de partis (ou des observateurs) répéter qu'un sondage doit être relativisé car il n'est jamais qu'une «photographie» d'une réalité à un moment donné, et ces mêmes personnes (sans parler des militants !) les commenter avec acharnement dès qu'ils sont publiés. Surtout si les résultats leur sont favorables !
Précisément, jouons le jeu. Quelles sont les principales indications de cette fameuse «enquête d'opinion», réalisée dans la perspective des élections fédérales de 2019 ?
Il y a d'inévitables fluctuations par rapport à d'autres sondages, d'autant qu'il existe toujours une «marge d'erreur», mais il est difficile de parler de grands bouleversements. La NVA recule mais reste de loin de premier parti néerlandophone. Les autres partis flamands de la coalition fédérale -Open VLD et CD&V- sont plutôt stables. Le SPA tire son épingle du jeu et Groen progresse légèrement. Le Belang reprend du poil de la bête et le PvdA reste en dessous de la barre des 5 % au niveau régional. Ce qui n'exclut évidemment pas qu'il la dépasse dans tel ou tel arrondissement.
Côté wallon, le PS reste le premier parti, loin toutefois des résultats des législatives de 2014. Le MR se tasse et le PTB arrive en troisième position ! Recul confirmé du CDH et irruption de Défi. Le PP, pour sa part, demeure au dessus du seuil éligible des 5 %... Mais laissons là des chiffres qui seront vite oubliés lorsque les citoyens voteront, car c'est finalement le seul «sondage» important...
Aucune conclusion ne peut donc être tirée de ce bruit médiatique récurrent ?
Rien de définitif, certainement. Mais au delà des sondages, nous pouvons nous appuyer sur les résultats des scrutins de ces 40 dernières années, bien réels eux, et les confronter à cette inflation récurrente de chiffres.
C'est-à-dire ?
Avec notre système électoral de type proportionnel et compte-tenu de l'éparpillement des listes et des résultats, les coalitions de partis sont inévitables. Prenons le niveau fédéral, qui reste le plus décisif malgré le processus de fédéralisation de l'Etat. Au début des années '80, nous avons eu droit aux gouvernements Martens-Gol, coalitions musclées des droites. Ensuite, durant 25 ans, retour à des alliances gouvernementales du PS avec la droite, bref la traditionnelle «politique de collaboration de classe» de la social-démocratie. Enfin, depuis 2014, nous voilà à nouveau avec une coalition des droites totalement décomplexées, articulée autour de la teigneuse NVA. Pendant toute ces décennies, c'est l'austérité budgétaire et des mesures fortes de «libéralisation» -inspirées directement par l'Union européenne réellement existante, celle du capital !- qui ont toujours été au menu de la population.
Et demain ?
Les perspectives ne sont guère réjouissantes !
Michel II est déjà planifié ?
Si cela s'avère mathématiquement possible, ils n'hésiteront pas longtemps !
Qu'en est-il justement des actuelles projections en sièges ?
Le politologue de l'ULB, Pascal Delwit, a fourni à cet égard d'intéressantes données. Avec les réserves d'usage évidemment.
Pour la Belgique :
Pour la Wallonie :
Un premier constat : l'actuel gouvernement fédéral ne disposerait plus de la majorité à la Chambre : 71 députés sur 150. Mais l'apport du CDH suffirait à combler ce déficit !
Deuxième constat : la faiblesse des «gauches» (les guillemets sont naturellement de circonstance). Socialistes,écologistes et PTB -ensemble!- obtiendraient 55 parlementaires fédéraux. Impossible, dans ces conditions, d'envisager la moindre coalition gouvernementale, en admettant même qu'ils le souhaiteraient !
Troisième constat, au niveau wallon, où le centre de gravité politique est beaucoup plus à gauche qu'en Flandre, la majorité MR-CDH serait en déconfiture. A l'inverse, une coalition PS-Ecolo-PTB -celle souhaitée par certains dirigeants de la FGTB wallonne- serait arithmétiquement possible, bien qu'un peu juste : 38 sièges sur 75 ! Mais politiquement, vu le positionnement ré-affirmé d'Ecolo et du PS, cette perspective semble bel et bien exclue !
Quatrième constat, la présence confirmée de l'extrême-droite. Il y avait déjà le Vlaams Belang ; il y a maintenant le Parti Populaire qui s'incruste et grignote des mandats, bénéficiant sans doute des «affaires» (Publifin, Samu social, ...), et du climat raciste et anti-migrants.
Une véritable alternative politique est donc exclue ?
Sauf tsunami électoral du PTB, oui ! Toute boutade mise à part, il faut voir la réalité telle qu'elle est et non telle que l'on voudrait qu'elle soit : à court terme, il n'existe effectivement pas d'alternative sur le plan institutionnel au niveau de l'Etat-Belgique. Au lendemain de mai 2019, ce sera soit la reconduction d'une coalition à droite toute, soit le retour du PS dans le cadre d'une sempiternelle alliance avec ces piliers de la droite que sont le MR-Open VLD, sans oublier le CD&V. Et à entendre un Di Rupo, un accord avec la NVA n'est même plus à exclure...
Cependant, en Wallonie...
...Une majorité de gauche est certes théoriquement possible, compte tenu des chiffres mentionnés plus haut et qui devront bien sûr être confirmés. Dans les faits, néanmoins, ce sera très difficile car, encore une fois, Ecolo et le PS répètent à l'envi qu'ils ne veulent pas gouverner avec le PTB ! Et, par ailleurs, ce dernier refuse de s'engager dans tout exécutif qui ne romprait pas avec les politiques du passé, ce en quoi il a totalement raison.
Mais alors, comment sortir d'une telle impasse ?
Les adeptes du discours «seules les luttes comptent» ont encore de beaux jours devant eux. Problème : les «luttes» n'ont rien stoppé au cours de toutes ces années «austéritaires». Ni les trains de mesures rétrogrades de Martens-Gol ; ni le «plan global», le «pacte des générations», la ratification des «traités européens», la déstabilisation de la Sécu, les privatisations ou la chasse aux chômeurs mis en oeuvre pendant un quart de siècle avec la complicité du SPA-PS ; ni bien entendu la furieuse offensive anti-sociale engagée depuis 4 ans par les compères du MR et de la NVA ! De surcroît, la nécessité évidente de se battre n'épuise pas la question du «débouché politique». Or, pour gagner, tout mouvement social/politique qui a pour ambition de changer radicalement la donne doit pouvoir «marcher sur les deux jambes», les mobilisations et les prolongements institutionnels de celles-ci...
Les succès ont été rares parce que les réactions syndicales ont sans doute été insuffisantes. Il suffirait peut-être de hausser le ton pour imposer d'autres orientations politiques, non ?
Il est difficile d'imaginer un rapide revirement dans la stratégie de la CSC et de la FGTB. Ces organisations ont toujours misé sur la «concertation». Et maintenant que celle-ci est en déliquescence, leurs dirigeants se retrouvent dans la même situation qu'un crabe plaqué sur le sable lorsque la mer se retire soudainement ! Ils sont d'autant plus désorientés qu'ils ne voient pas comment pourraient se concrétiser des majorités et des politiques qui répondent à leurs voeux, pour reprendre la question du «nécessaire prolongement aux luttes» évoquée plus haut. Certes, sur papier et avec quelques yaka de circonstance, tout serait facile, à commencer par une grève générale à durée illimitée. Sauf que nous ne sommes plus en 1936 ou en 1960-61, que le monde a évolué très vite, à commencer par le «monde du travail», et que cette exigence de grève générale semble peu «matérialisable» dans la conjoncture actuelle.
Les travailleurs ne remettent plus en cause le capitalisme et sont dès lors intégrés dans celui-ci ?
Ils y vivent et l'imaginaire collectif a été colonisé par l'imaginaire d'un modèle productiviste et consumériste. Est-ce de l' «intégration» ou «simplement» de l' «aliénation» ? Et puis, il ne faut pas sous-estimer le poids des défaites du XXème siècle et l'échec du «communisme» qui ont accrédité l'idée qu'il n'existait aucune solution de rechange attractive au capitalisme !
Triste état des lieux...
... A l'évidence. J'ajoute que la tendance au repli sur la sphère privée et les processus d'individualisation des rapports sociaux constituent également une difficulté supplémentaire pour tout combat émancipateur.
No future ?
C'est aller vite en besogne même si la «crise du réchauffement climatique» constitue, à terme, une vraie menace pour l'espèce humaine. Pour en revenir à notre «ici et maintenant», fort heureusement, il y a bel et bien des contestations du système d'hégémonie néo-libérale. Encore faut-il comprendre qu'il ne s'agit plus simplement du vieux conflit «bourgeoisie-prolétariat» mais des conséquences de l'émergence de multiples mouvements sociaux qui ont engagé des combats divers : féministes, écologiques, anti-racistes, minorités sexuelles... Il ne s'agit donc plus seulement d'un affrontement «gauche-droite» vertébré par la «classique lutte de classe» mais d'une opposition plus large entre une oligarchie et le peuple. Mais là, nous entrons dans un vaste débat autour d'une problématique mise à toutes les sauces : le «populisme». Et il faut toujours se méfier des concepts en «isme»...
Revenons-en, par conséquent, à nos échéances immédiates, les élections qui vont se multiplier en quelques mois... Que faire ?
Voter. C'est obligatoire. Ou plus exactement, les électeurs et électrices sont contraints de se rendre aux bureaux de vote, pas nécessairement de choisir un parti ou un(e) candidat(e). Après tout, un vote blanc ou un vote nul représentent aussi un signal politique. Ce n'est toutefois pas celui que je préconise.
Un «vote utile» est donc quand même nécessaire ?
Je n'aime pas cette expression de «vote utile». Utile à quoi ? Utile à qui ? Utile pour faire quoi ? Il ne s'agit pas ici d'un froid calcul utilitariste, ni de feeling, ni de sentimentalisme, ni même de connivence idéologique. Il s'agit d'une analyse politique concrète d'une situation politique concrète !
Aujourd'hui, quelle est donc cette fameuse donne ?
La Belgique est l'un des pays fondateurs de l'Union européenne et celle-ci dicte à ses Etats membres -et à ceux qui les gouvernent- une politique qui traduit les principes -oserais-je dire «idéologiques»- du néo-libéralisme. Cette orientation a été bétonnée dans des «traités», imposés aux peuples (rappelez-vous le funeste épisode des referendum en France ou aux Pays-Bas, en 2005), et majoritairement ratifiés par les parlements nationaux (et les partis qui les composent) malgré une opposition populaire réelle. Chez nous, le PS les a votés sans états d'âme et il s'est même trouvé des députés Ecolo pour lui emboîter le pas ! Seul le PTB s'y est clairement opposé.
Par ailleurs, le PS n'a nullement abandonné sa ligne d'accompagnement de la trajectoire du capitalisme, et les responsables écologistes campent obstinément sur une position «ni...ni...». Ce qui les conduit à nouer régulièrement des alliances avec tout et n'importe qui, droite libérale y comprise, leur seule exclusive semblant précisément être... le PTB, associé pour la circonstance à l'extrême-droite !
Or, parmi tous les partis -je parle de ceux qui ont une implantation régionale et/ou nationale significative- le PTB est sans conteste le seul à défendre sans ambiguïté d'autres perspectives que celles issues de la tambouille néo-libérale. Le PTB est le seul à s'engager clairement sur un refus d' «exercice du pouvoir» avec la droite, que ce soit le MR ou le CDH. Et le PTB affirme tout aussi clairement qu'il ne gouvernera pas pour mener des politiques d'austérité autoritaires qui cadrent avec les recommandations de la Commission européenne ! Que ce soit en matière de politique salariale, de sécurité sociale, de défense des services publics, de fiscalité ou de transition écologique, le programme du PTB constitue un programme de rupture avec la doxa réactionnaire, sans commune mesure avec les platitudes programmatiques des autres partis !
Il n'y a donc pas à hésiter : dans la situation actuelle, il faut voter PTB chaque fois que c'est possible.
ANNEXES
1. Les principaux résultats du sondage RTL-Info/Le Soir
https://www.rtl.be/info/belgique/politique/grand-barometr...
2. Et en Flandre ?
Voici la projection de Pascal Delwit :
Tout dessin supplémentaire serait inutile : le centre de gravité politique est nettement situé à droite ! A elle seule, la NVA disposerait du même nombre de sièges que Groen-Spa-PVdA réunis ! : 33 ! Si l'on ajoute les 21 strapontins du CD&V et les 17 de l'Open VLD, on arrive ainsi à 71 sièges sur 118 ! L'extrême-droite (Le Vlaams Belang), pour sa part, obtiendrait 13 sièges, soit six fois plus que le PVdA !
3. Concernant une question qui semble beaucoup tarauder, une réponse du porte-parole du PTB :
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24 septembre 2018
Marx dans le texte (18)
« Après avoir montré que la résistance périodiquement exercée de la part de l'ouvrier contre la réduction des salaires et les efforts qu'il entreprend périodiquement pour obtenir des augmentations de salaires sont inséparablement liés au système du salariat et sont provoqués par le fait même que le travail est assimilé aux marchandises et soumis par conséquent aux lois qui règlent le mouvement général des prix; après avoir montré, en outre, qu'une hausse générale des salaires entraînerait une baisse générale du taux du profit, mais qu'elle serait sans effet sur les prix moyens des marchandises ou sur leurs valeurs, maintenant il s'agit finalement de savoir jusqu'à quel point, au cours de la lutte continuelle entre le capital et le travail, celui-ci a chance de l'emporter.
Je pourrais répondre de façon générale et vous dire que le prix du marché du travail, de même que celui de toutes les autres marchandises, s'adaptera, à la longue, à sa valeur; que, par conséquent, en dépit de toute hausse et de toute baisse, et quoi que fasse l'ouvrier, il ne recevra finalement en moyenne que la valeur de son travail, qui se résout dans la valeur de sa force de travail, laquelle est déterminée, à son tour, par la valeur des moyens de subsistance nécessaires à sa conservation et à sa reproduction, et dont la valeur est finalement réglée par la quantité de travail qu'exige leur production.
Mais il y a quelques circonstances particulières qui distinguent la valeur de la force de travail, la valeur du travail, des valeurs de toutes les autres marchandises. La valeur de la force de travail est formée de deux éléments dont l'un est purement physique et l'autre historique ou social. Sa limite ultime est déterminée par l'élément physique, c'est-à-dire que, pour subsister et se reproduire, pour prolonger son existence physique, il faut que la classe ouvrière reçoive les moyens de subsistance indispensables pour vivre et se multiplier. La valeur de ces moyens de subsistance de nécessité absolue constitue par conséquent la limite ultime de la valeur du travail. D'autre part, la longueur de la journée de travail a également des limites extrêmes, quoique très extensibles. Ses limites extrêmes sont données par la force physique de l'ouvrier. Si l'épuisement quotidien de sa force vitale dépasse un certain degré, celle-ci ne pourra pas fournir journellement une nouvelle activité. Néanmoins, comme nous l'avons dit, cette limite est très extensible. Une succession rapide de générations débiles et à existence brève approvisionnera le marché du travail tout aussi bien qu'une série de générations fortes et à existence longue.
Parallèlement à cet élément purement physiologique, la valeur du travail est déterminée dans chaque pays par un standard de vie traditionnel. Celui-ci ne consiste pas seulement dans l'existence physique, mais dans la satisfaction de certains besoins naissant des conditions sociales dans lesquelles les hommes vivent et ont été élevés. Le standard de vie anglais pourrait être réduit à celui de l'Irlande, le standard de vie d'un paysan allemand à celui d'un paysan de Livonie. L'importance du rôle que jouent à cet égard la tradition historique et les habitudes sociales, vous pourrez la voir dans l'ouvrage de M. Thornton sur la Surpopulation. Il y montre que les salaires moyens dans diverses régions agricoles d'Angleterre, encore de nos jours, diffèrent plus ou moins suivant les circonstances plus ou moins favorables dans lesquelles ces régions sont sorties du servage.
Cet élément historique ou social qui entre dans la valeur du travail peut augmenter ou diminuer, disparaître complètement, de telle sorte que la limite physiologique subsiste seule. Du temps de la guerre contre les Jacobins, entreprise, comme disait le vieux George Rose, budgétivore et sinécuriste impénitent, pour mettre les consolations de notre sainte religion à l'abri des incursions de ces mécréants de Français, les honnêtes fermiers anglais que nous traitions si tendrement dans un chapitre précédent abaissèrent les salaires des ouvriers agricoles même au-dessous du minimum purement physique et firent ajouter, moyennant les Lois des pauvres, ce qui était nécessaire à la conservation physique de la race. C'était une manière glorieuse de transformer l'ouvrier salarié en esclave et le paysan libre et fier de Shakespeare en un indigent assisté.
Si vous comparez les salaires normaux, c'est-à-dire les valeurs du travail dans différents pays et à des époques historiques différentes dans le même pays, vous trouverez que la valeur du travail elle-même n'est pas une grandeur fixe, qu'elle est variable même si l'on suppose que les valeurs de toutes les autres marchandises restent constantes.
D'une comparaison analogue des taux du profit sur le marché il ressortirait que non seulement ceux-ci varient, mais que varient aussi leurs taux moyens.
Mais, en ce qui concerne les profits, il n'existe pas de loi qui déterminerait leur minimum. Nous ne pouvons pas dire quelle est la limite dernière de leur baisse. Et pourquoi ne pouvons-nous fixer cette limite ? Parce que nous sommes bien capables de fixer les salaires minimums, mais non les salaires maximums. Nous pouvons seulement dire que les limites de la journée de travail étant données, le maximum des profits correspond à la limite physiologique la plus basse des salaires et que, étant donné les salaires, le maximum des profits correspond à la prolongation de la journée de travail encore compatible avec les forces physiques de l'ouvrier. Le maximum du profit n'est donc limité que par le minimum physiologique de salaire et le maximum physiologique de la journée de travail.
Il est clair qu'entre ces deux limites du taux maximum du profit, il y a place pour une échelle immense de variations possibles. Son degré n'est déterminé que par la lutte incessante entre le capital et le travail; le capitaliste essaye continuellement d'abaisser les salaires à leur minimum physiologique et de prolonger la journée de travail à son maximum physiologique, tandis que l'ouvrier exerce constamment une pression dans le sens opposé.La chose se réduit à la question du rapport des forces des combattants.
En ce qui concerne la limitation de la journée de travail en Angleterre ainsi que dans tous les autres pays, elle n'a jamais été réglée autrement que par l'intervention législative. Sans la pression constante des ouvriers, agissant du dehors, jamais cette intervention ne se serait produite. En tout cas, le résultat n'aurait pas été obtenu par des accords privés entre les ouvriers et les capitalistes. Cette nécessité même d'une action politique générale est la preuve que, dans la lutte purement économique, le capital est le plus fort.
Quant aux limites de la valeur du travail, leur fixation dépend toujours en fait de l'offre et de la demande. J'entends par là la demande de travail de la part des capitalistes et l'offre de travail faite par les ouvriers. Dans les pays coloniaux, la loi de l'offre et de la demande favorise l'ouvrier. De là, le niveau relativement élevé des salaires aux Etats-Unis d'Amérique. Le capital a beau s'y évertuer; il ne peut empêcher que le marché du travail ne s'y vide constamment par la transformation continuelle des ouvriers salariés en paysans indépendants, se suffisant à eux-mêmes. La situation d'ouvrier salarié n'est, pour une très grande partie des Américains, qu'un stade transitoire qu'ils sont sûrs de quitter au bout d'un temps plus ou moins rapproché. Pour remédier à l'état de choses existant aux colonies, le paternel gouvernement anglais a adopté, pendant un certain temps, ce que l'on appelle la théorie de la colonisation moderne, qui consiste à élever artificiellement le prix de la terre aux colonies dans le but d'empêcher la transformation trop rapide du salarié en paysan indépendant.
Passons maintenant aux pays de vieille civilisation, où le capital domine entièrement le processus de la production. Prenons, par exemple, la hausse des salaires des ouvriers agricoles en Angleterre de 1849 à 1859. Quelle en fut la conséquence ? Les cultivateurs n'ont pas pu, comme le leur aurait conseillé notre ami Weston, élever la valeur du blé, pas même son prix sur le marché. Il leur fallut, au contraire, en accepter la baisse. Mais pendant ces onze années, ils introduisirent des machines de toutes sortes, appliquèrent des méthodes scientifiques nouvelles, convertirent une partie des terres arables en pâturages, augmentèrent l'étendue des fermes et, du même coup, le volume de la production; par ces moyens et par d'autres encore, ayant diminué la demande du travail par l'augmentation de sa force productive, ils créèrent de nouveau un excédent relatif de la population des ouvriers agricoles. Telle est la méthode générale suivant laquelle s'accomplissent plus ou moins rapidement, dans les vieux pays depuis longtemps habités, les réactions du capital contre les augmentations de salaires. Ricardo fait remarquer très justement que la machine est en concurrence continuelle avec le travail, et que souvent elle ne peut être introduite que lorsque le prix du travail a atteint un certain niveau; mais l'emploi de la machine n'est qu'une des nombreuses méthodes pour accroître la force productive du travail. Ce développement même qui crée une surabondance relative du travail ordinaire simplifie, d'autre part, le travail qualifié et ainsi le déprécie.
La même loi se fait sentir sous une autre forme. Avec le développement de la force productive du travail, l'accumulation du capital s'accélère beaucoup, même en dépit d'un taux de salaire relativement élevé. On en pourrait conclure, comme Adam Smith, du vivant duquel l'industrie moderne n'était encore qu'à ses débuts, que l'accumulation accélérée du capital doit nécessairement faire pencher la balance en faveur de l'ouvrier en créant une demande croissante de travail. Pour cette même raison, un grand nombre d'écrivains contemporains se sont étonnés que les salaires n'aient pas augmenté davantage, alors que le capital anglais s'est accru dans ces vingt dernières années beaucoup plus rapidement que la population anglaise. Mais, parallèlement à l'accumulation continuelle du capital, il s'opère une modification croissante dans la composition du capital. La portion du capital total, qui consiste en capital fixe, machines, matières premières, moyens de production de toutes les sortes possibles, s'accroît plus rapidement comparativement à l'autre portion du capital qui est employée en salaires, c'est-à-dire à l'achat du travail. Cette loi fut établie sous une forme plus où moins exacte par Barton, Ricardo, Sismondi, le professeur Richard Jones, le professeur Ramsay, Cherbuliez et plusieurs autres.
Si le rapport entre ces deux éléments du capital était à l'origine 1 contre 1, il devient au cours du progrès de l'industrie 5 contre 1, etc. Si sur un capital total de 600, on en investit 300 en instruments, matières premières, etc., et 300 en salaires, il n'y aura qu'à doubler le capital total pour créer une demande de 600 ouvriers au lieu de 300. Mais si, sur un capital de 600, 500 sont investis en machines, matériaux, etc., et 100 seulement en salaires, il faudra porter le même capital de 600 à 3 600 pour créer une demande de 600 ouvriers au lieu de 300. Dans le développement de l'industrie, la demande de travail ne marche donc pas de pair avec l'accumulation du capital. Elle s'accroîtra sans doute, mais dans un rapport constamment décroissant relativement à l'augmentation du capital.
Ces quelques indications suffiront à montrer que le développement même de l'industrie moderne doit nécessairement faire pencher toujours davantage la balance en faveur du capitaliste contre l'ouvrier et que, par conséquent, la tendance générale de la production capitaliste n'est pas d'élever le niveau moyen des salaires, mais de l'abaisser, c'est-à-dire de ramener, plus ou moins, la valeur du travail à sa limite la plus basse. Mais, telle étant la tendance des choses dans ce régime, est-ce à dire que la classe ouvrière doive renoncer à sa résistance contre les atteintes du capital et abandonner ses efforts pour arracher dans les occasions qui se présentent tout ce qui peut apporter une amélioration temporaire à sa situation ? Si elle le faisait, elle se ravalerait à n'être plus qu'une masse informe, écrasée, d'êtres faméliques pour lesquels il n'y aurait plus de salut. Je pense avoir montré que ses luttes pour des salaires normaux sont des incidents inséparables du système du salariat dans son ensemble, que, dans 99 cas sur 100, ses efforts pour relever les salaires ne sont que des tentatives pour maintenir la valeur donnée au travail, et que la nécessité d'en disputer le prix avec le capitaliste est en connexion avec la condition qui l'oblige à se vendre elle-même comme une marchandise. Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d'entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure.
En même temps, et tout à fait en dehors de l'asservissement général qu'implique le régime du salariat, les ouvriers ne doivent pas s'exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne. Ils ne doivent pas oublier qu'ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets, qu'ils ne peuvent que retenir le mouvement descendant, mais non en changer la direction, qu'ils n'appliquent que des palliatifs, mais sans guérir le mal. Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par les escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiétements ininterrompus du capital ou les variations du marché. Il faut qu'ils comprennent que le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société. Au lieu du mot d'ordre conservateur: "Un salaire équitable pour une journée de travail équitable", ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d'ordre révolutionnaire: "Abolition du salariat". »
[Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865]
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12 septembre 2018
Actions syndicales contre le gouvernement Michel : pour faire quoi ?
De nouvelles mobilisations syndicales sont annoncées, notamment pour le mardi 2 octobre. Elles serviront peut-être de prélude à un «plan d'action» plus vaste, plus tard dans l'année. Avec l'objectif d'une manifestation nationale ou d'une grève générale de 24 heures, en... décembre, à quelques jours de la traditionnelle trêve des confiseurs, Noël et Nouvel An obligent ?
La remarque peut paraître désabusée, mais ce scénario a déjà été écrit tant de fois que l'on ne peut l'exclure. Avec un scepticisme accru, car il n'a jamais empêché le gouvernement NVA-MR de mettre en exécution ses projets socialement rétrogrades !
Alors, incapacité de tirer les leçons du passé, incapacité de se mettre en mouvement avec l'ensemble des salariés, absence de volonté d'affronter réellement l'exécutif fédéral ou attentisme contraint faute d'une alternative politique concrète à courte échéance ?
Il semble aujourd'hui évident que les décideurs qui «représentent» une «majorité sociale» potentielle préfèrent occuper une dernière fois «le terrain»... avant les élections législatives (et européennes) de 2019. Dans l'espoir, sans doute, qu'une nouvelle configuration parlementaire issue des urnes débouche sur la constitution d'un gouvernement «moins à droite» qui mettrait en oeuvre un programme moins violent contre le «monde du travail» et contre les «exclus» de celui-ci...
Toutefois, ce ne sont pas les participations gouvernementales du PS, voire même d'Ecolo, qui ont manqué au cours des 30 dernières années. Et celles-ci n'ont jamais permis une remise en cause des politiques d'austérité exigées par l'Union européenne, en vertu d'engagements et de traités pourtant contestés par les peuples, à maintes reprises !
Mais il y a longtemps que la perspective rêvée d'une révolution permanente a été supplantée par la plate réalité d'une impasse permanente !
Le «mouvement social» a décidément beaucoup de difficultés à avancer de manière équilibrée, sur ses deux jambes : les luttes ont besoin d'un débouché institutionnel et celui-ci ne peut prendre vie qu'en s'appuyant sur une action populaire au long cours.
Le problème majeur reste la construction d'une force politique à vocation hégémonique, porteuse d'un programme alternatif ambitieux qui puisse bénéficier d'un soutien majoritaire parmi les travailleurs/travailleuses- citoyens/citoyennes.
Hélas, en Belgique, nous en sommes toujours réduits à piétiner autour d'un clivage classique «gauche/droite» (guillemets vraiment d'usage) et à devoir observer des échanges d'invectives concernant des étiquettes qui ont pourtant beaucoup perdu de leur signification et de leur portée subversive. Dans la foulée du siècle dernier, ce début de troisième millénaire a -en effet- consolidé une fâcheuse tendance : les renoncements bousculent les idéaux, les compromissions se jouent des compromis, toute perspective de transformation du monde est priée de s'effacer derrière quelques misérables rafistolages de celui-ci !
Face à la droite et à l'extrême-droite, les solutions de rechange sont donc ténues et les possibilités d'une rupture avec le désordre du capital sont plus qu'aléatoires. Entre Ecolo qui cultive un «ni... ni...» opaque susceptible d'ouvrir la voie à n'importe quelles alliances, entre le PS bienveillant accompagnateur des orientations austéritaires chères aux puissants, entre le PTB ancien (?) parti mao-stalinien à la trajectoire politique sinueuse, le chemin d'un renouvellement stratégique et programmatique fécond est très étroit. Le décalage constaté avec des pays comme l'Espagne ou la France -et les stimulantes innovations engagées par Podemos ou par la France Insoumise- est évident.
Une situation d'autant plus complexe, -déconcertante même-, que nous vivons dans un «pays petit», disparate, taraudé par une vieille «question nationale», avec une cohabitation historiquement forcée de deux peuples, et avec des centres de gravité politiques différents suivant les régions et les communautés.
Les campagnes électorales à venir pourraient être l'occasion -pour les adversaires de l'actuel mode de production/consommation dominant- d'une clarification concernant les perspectives stratégiques fondamentales.
Malheureusement cet enjeu ne semble pas être une préoccupation prioritaire au sein de partis plus soucieux de se disputer le titre de «champion de la gauche», ou plus ardents pour «gagner l'hégémonie dans un camp», que de chercher une voie inédite adaptée à notre époque chahutée et capable de rassembler majoritairement pour un changement de cap radical.
Nous pourrons de toute façon vérifier très rapidement ce qu'il en est réellement.
A suivre...
@
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