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05 février 2018

Le Manifeste du Parti Communiste a 170 ans (III)

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A propos du Manifeste

 

 

Bien que les circonstances aient beaucoup changé au cours des vingt-cinq dernières années, les principes généraux exposés dans ce Manifeste conservent dans leurs grandes lignes, aujourd'hui encore, toute leur exactitude. Il faudrait revoir, çà et là, quelques détails. Le Manifeste explique lui-même que l'application des principes dépendra partout et toujours des circonstances historiques données, et que, par suite, il ne faut pas attribuer trop d'importance aux mesures révolutionnaires énumérées à la fin du chapitre II. Ce passage serait, à bien des égards, rédigé tout autrement aujourd'hui. Etant donné les progrès immenses de la grande industrie dans les vingt-cinq dernières années et les progrès parallèles qu'a accomplis, dans son organisation en parti, la classe ouvrière, étant donné les expériences, d'abord de la révolution de février, ensuite et surtout de la Commune de Paris qui, pendant deux mois, mit pour la première fois aux mains du prolétariat le pouvoir politique, ce programme est aujourd'hui vieilli sur certains points. La Commune, notamment, a démontré que "la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'Etat et la faire fonctionner pour son propre compte" (voir La guerre civile en France, Adresse de l'AIT, où cette idée est plus longuement développée). En outre, il est évident que la critique de la littérature socialiste présente une lacune pour la période actuelle, puisqu'elle s'arrête à 1847. Et, de même, si les remarques sur la position des communistes à l'égard des différents partis d'opposition (chapitre IV) sont exactes aujourd'hui encore dans leurs principes, elles sont vieillies dans leur application parce que la situation politique s'est modifiée du tout au tout et que l'évolution historique a fait disparaître la plupart des partis qui y sont énumérés.

Cependant, le Manifeste est un document historique que nous ne nous attribuons plus le droit de modifier. Une édition ultérieure sera peut-être précédée d'une introduction qui comblera la lacune entre 1847 et nos jours; la réimpression actuelle nous a pris trop à l'improviste pour nous donner le temps de l'écrire.



Karl Marx et Friedrich Engels, 1872



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Bien que le Manifeste soit notre œuvre commune, j'estime néanmoins de mon devoir de constater que la thèse principale, qui en constitue le noyau, appartient à Marx. Cette thèse est qu'à chaque époque historique, le mode prédominant de la production économique et de l'échange, et la structure sociale qu'il conditionne, forment la base sur laquelle repose l'histoire politique de ladite époque et l'histoire de son développement intellectuel, base à partir de laquelle seulement elle peut être expliquée; que de ce fait toute l'histoire de l'humanité (depuis la décomposition de la communauté primitive avec sa possession commune du sol) a été une histoire de luttes de classes, de luttes entre classes exploiteuses et exploitées et opprimées; que l'histoire de cette lutte de classes atteint à l'heure actuelle, dans son développement, une étape où la classe exploitée et opprimée - le prolétariat - ne peut plus s'affranchir du joug de la classe qui l'exploite et l'opprime - la bourgeoisie - sans affranchir du même coup, une fois pour toutes, la société entière de toute exploitation, oppression, division en classes et lutte de classes.



Friedrich Engels, 1888

 

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Il nous donne dans sa simplicité classique l'expression réelle de cette situation : le prolétariat moderne est, se pose, croît et se développe dans l'histoire contemporaine comme le sujet concret, comme la force positive, et le communisme devra nécessairement être l'aboutissement de son action inévitablement révolutionnaire. Et c'est pour cela que cette oeuvre, en donnant à sa prédiction une base théorique, et en l'exprimant en formules brèves, rapides, concises et mémorables, forme un recueil, bien plus, une mine inépuisable de graines de pensée, que le lecteur peut féconder et multiplier indéfiniment.



Antonio Labriola, 1895



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Cette plaquette vaut des tomes : son esprit fait vivre et se mouvoir, jusqu'à nos jours, l'ensemble du prolétariat organisé et combattant du monde civilisé.

 

Lénine, 1896

 

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Cet ouvrage expose avec une clarté et une rigueur remarquables la nouvelle conception du monde, le matérialisme conséquent étendu à la vie sociale, la dialectique, science la plus vaste et le plus profonde de l'évolution, la théorie de la lutte des classes et du rôle révolutionnaire dévolu dans l'histoire mondiale au prolétariat, créateur d'une société nouvelle, la société communiste.

 

Lénine, 1913

 

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A l'heure présente le socialisme est l'ultime planche de salut de l'humanité. Au dessus des remparts croulants de la société capitaliste on voit briller en lettres de feu le dilemme prophétique du Manifeste du Parti Communiste : socialisme ou retombée dans la barbarie !

 

Rosa Luxemburg, 1918

 

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Le Manifeste n'était pas une révélation, il ne faisait que refléter sous la forme la plus limpide et la plus ramassée les conceptions du monde acquises par ses auteurs. Pour autant qu'on puisse en juger par le style, c'est Marx qui a pris la plus grande part à la rédaction définitive, bien qu'Engels, comme le montre son premier projet, n'ait rien à envier à Marx quant à la compréhension des problèmes, et doive être légitimement considéré comme coauteur à part entière du Manifeste.

 

Franz Mehring, 1918

 

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Ce document renferme tous les résultats du travail scientifique que Marx et Engels, en particulier le premier, avaient accompli de 1845 à 1847.

 

David Riazanov, 1922

 

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Quel autre livre pourrait se mesurer même de loin avec le Manifeste communiste ? Cependant, cela ne signifie nullement qu'après 90 années de développement sans exemple des forces productives et de grandioses luttes sociales, le Manifeste n'ait pas besoin de rectifications et de compléments. La pensée révolutionnaire n'a rien de commun avec l'idolâtrie. Les programmes et les pronostics se vérifient et se corrigent à la lumière de l'expérience, qui est pour la pensée humaine l'instance suprême. Des corrections et des compléments, ainsi qu'en témoigne l'expérience historique même, ne peuvent être appliqués avec succès qu'en partant de la méthode qui se trouve à la base du Manifeste.

 

Léon Trotsky, 1937

 

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Le processus révolutionnaire n'apparaît pas encore, au moment du Manifeste et dans le Manifeste, avec tous ses problèmes et toute son ampleur. Tout en pensant que l'avènement du communisme dépend de conditions multiples et ne peut être que l'aboutissement d'une période historique, Marx semble penser que cet avènement est proche. Il semble imaginer, après la prise du pouvoir politique par le prolétariat, lors d'une crise européenne, une marche continue vers le communisme, sans arrêts, sans régressions momentanées. Il semble donc encore se représenter une période de «révolution permanente» consistant d'abord en une révolution politique, puis en une transformation sociale continue et rapide par le moyen de l'Etat politique ainsi conquis. Seule l'étude du capitalisme, lorsqu'il aura rétabli la situation après l'ébranlement des années 48, permettra à Marx d'approfondir et de différencier ces notions fondamentales ; en particulier, il développera l'analyse de la crise économique dans le Capital. La ligne générale, l'essentiel du Manifeste restera, mais les affirmations qu'il contient dans ce cadre général seront par la suite revues et approfondies (non pas révisées!).

 

Henri Lefebvre, 1947

 

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Le Manifeste ne contient rien que les auteurs n'aient exprimé auparavant dans d'autres écrits. Mais ils y résumèrent leurs convictions sous une forme accessible à tous et en une langue massive, précise et dégagée de toute formule hégélienne. C'est peut-être, avant tout, la puissance suggestive du style qui a assuré à cet écrit sa place au premier rang des écrits politiques populaires de tous les temps : rien dans ce genre, au cours du XIXème siècle, ne peut lui être comparé. Le Manifeste est un appel enthousiasmant, non un lourd traité de science sociale.

 

Werner Blumenberg, 1962

 

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Trop d'intellectuels universitaires, dits «sérieux», sont disposés à la rigueur à admirer le Marx scientifique du Capital mais ferment les yeux et font les dégoûtés devant les pages crues et toutes politiques du Manifeste. Celui-ci demeure pour nous un modèle d'intervention pratique du point de vue ouvrier dans la lutte de classes.

 

Mario Tronti, 1966

 

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Le Manifeste n'a pas joué un très grand rôle dans le développement de la Révolution de 1848. Les idées qu'il exprimait étaient très en avance sur la conscience du prolétariat, et les communistes représentaient à l'époque une infime minorité. Mais il venait à point nommé. En juin 1848, la classe ouvrière parisienne montait sur les barricades et sa lutte était maintenant ouvertement dirigée contre la bourgeoisie. L'histoire allait montrer que la question posée désormais était l'antagonisme entre le travail et le capital. Le prolétariat trouvait au moment où il entrait sur la scène politique l'arme décisive qui le mènerait à la victoire. On sait quel rôle le Manifeste a joué par la suite et celui qu'il joue encore dans le monde. Rarement texte n'a connu une telle audience et n'a connu une telle efficacité. Il est un des accoucheurs du monde contemporain.

 

Emile Bottigelli, 1967

 

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Le Manifeste n'a pas son origine dans un certain nombre d'esquisses rédigées indépendamment les unes des autres par Marx-Engels ou dans l'unique esquisse d'Engels d'octobre-novembre 1847, mais remonte à un projet de profession de foi de juin 1847 auquel participa Engels et qui fut soumis aux communes pour discussion.

 

Bert Andréas, 1972

 

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Le Manifeste n'est pas une simple exposition de doctrine -ce qui a été la manière la plus courante de le traiter, en dehors des circonstances de temps et de lieu- mais la plate-forme programmatique et politique des communistes en vue d'une révolution spécifique, celle dont l'explosion leur paraît imminente dans certains pays et proches dans d'autres.

 

Fernando Claudin, 1976

 

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Ce ne sont pas les classiques qui peuvent nous dire ce que nous avons à faire aujourd'hui ; c'est ce que nous avons à faire aujourd'hui qui nous dit ce qui demeure vivant chez eux.

 

Lucien Sève, 1983

 

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Si, dans l'Idéologie allemande et surtout dans Misère de la philosophie, Marx a redécouvert la politique en tant que moyen nécessaire de la révolution prolétarienne, cette démarche se confirme et s'amplifie dans le Manifeste Communiste, qui réintroduit même la notion d'Etat, constamment critiquée auparavant. Préparée par les oeuvres antérieures, cette insistance sur la dimension politique marque une étape importante dans l'évolution de la pensée marxienne.

 

Maurice Barbier, 1992

 

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Le Manifeste Communiste est un des principaux textes de l'histoire mondiale. C'est le document fondateur du courant communiste (marxiste-révolutionnaire) du mouvement ouvrier. En rupture avec toutes les autres idéologies en vogue au début du XIXème siècle, il donne pour la première fois une base rationnelle, objective, scientifique à l'existence et à l'activité de la classe ouvrière. Dans ce sens, il s'agit aussi d'un tournant capital dans l'histoire du mouvement ouvrier naissant. Voilà pour le contenu. Et puis il y a le style. La force du raisonnement est portée par un élan et une pugnacité sans pareil. Les contemporains, de haut en bas de l'échelle sociale, ne s'y sont pas trompés.

 

François Vercammen, 1998

 

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Quand la lutte quitte le champ de l'analyse historique pour intégrer le présent, le Manifeste est un document sur les choix, les possibilités, et a fortiori les certitudes. Entre «maintenant» et ce temps imprévisible où «au cours du développement» apparaîtra «une association où le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous», se trouve le domaine de l'action politique.

 

Eric Hobsbawm, 1998

 

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Le Manifeste est l'illustration développée de la thèse d'une révolution communiste, imminente et inéluctable. En même temps, la portée de ce texte dépasse largement la conjoncture de sa commande, en raison de l'écho et de la diffusion considérables qu'il connaîtra, le plus souvent longtemps après sa rédaction (...). Texte de loin le plus célèbre de Marx -et l'on oublie souvent la part prise par Engels à sa rédaction-, souvent lu comme le bréviaire des révolutions passées et à venir, il doit être pour cette raison tout spécialement replacé dans son contexte historique ainsi que dans le mouvement propre de la recherche marxienne de cette époque.

 

Isabelle Garo, 2000

 

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C'est un texte fondateur, inaugural, déclaratif. Prophétique et performatif, il mêle inextricablement le constat de ce qui est et l'énoncé de ce qui doit être, le pronostic et le programme, la déduction logique et le but de l'effort à fournir. Le déclarer actuel ou dépassé n'a guère de sens : ces jugements supposent un simple jeu d'avancées et de retards sur un même fil chronologique du temps. Or, le Manifeste brise cette ligne temporelle et s'offre aux perpétuelles remises en jeu de sa réception.

 

Daniel Bensaid, 2000

 

 

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03 février 2018

Le Manifeste du Parti Communiste a 170 ans (I)

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Février 1848. Un «manifeste» est publié en langue allemande, à Londres : Manifest der Kommunistischen Partei.

Il a été rédigé par deux jeunes intellectuels et révolutionnaires rhénans, Karl Marx et Friedrich Engels, mandatés par la «Ligue des Communistes» qu'ils avaient rejointe en 1847. Le premier n'a pas encore atteint son trentième anniversaire, le second est son cadet de 2 ans.

A peine l'opuscule sorti de l'imprimerie éclate en France la révolution, prélude à une série d'explosions révolutionnaires qui vont ébranler les structures de la vieille Europe monarchique. Un télescopage symbolique entre une oeuvre militante de grande portée théorique destinée prioritairement à la classe ouvrière et un mouvement réel qui va embraser le continent européen une année durant. Même si ce document n'a pas eu de réelle incidence sur le déroulement de ce « Printemps des peuples ».

Un quart de siècle plus tard, dans une préface écrite pour une nouvelle édition allemande, Marx et Engels précisent que la situation a «beaucoup changé au cours des 25 dernières années» mais qu'ils ne se reconnaissent «plus le droit d'y rien y changer» car «le Manifeste est un document historique» [1].

Historique, assurément. Le Manifeste est un document qui a marqué son époque et qui est connu partout dans le monde. Il serait même le texte le plus traduit et le plus diffusé après la Bible ! Assertion vraie ou fausse, sa notoriété internationale est incontestable et ses 23 pages (dans l'édition originale) ont été beaucoup lues et beaucoup discutées.

Mais quel est encore l'intérêt d'un écrit vieux de 170 ans ? Certes, notre monde n'est plus celui de Marx et d'Engels ; il n'a cessé d'évoluer. Il reste toutefois un monde intolérable dominé par le capital qui doit être radicalement transformé.

 

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La lutte des classes comme moteur du développement des sociétés et des combats politiques qui en découlent, la nécessité d'abolir la «propriété bourgeoise», l'internationalisme, l'ambition révolutionnaire, la dialectique de «l'émancipation individuelle» et de «l'émancipation collective», ne sont pas des perspectives obsolètes renvoyant à un passé définitivement révolu !

Le Manifeste, qui a gardé toute sa tonicité et une forte cohésion, demeure un outil de réflexion et de proposition pertinent, un point d'appui utile dans nos confrontations avec le système de la production marchande généralisée.

Bien sûr, le Manifeste -qui ne synthétise pas toutes les conceptions de Marx et Engels- n'est pas un texte sacré pour dévots ; il se réfère à des événements aujourd'hui oubliés, il évoque des noms méconnus depuis longtemps et il a recours à un vocabulaire propre au XIXème siècle ; il ne peut donc répondre à toutes les interrogations contemporaines.

Mais celles et ceux qui refusent de se soumettre au désordre capitaliste persistant et qui continuent à oeuvrer pour l'émancipation humaine auraient tort d'ignorer ce document décisif dans l'histoire du mouvement social.

Il faudra toujours le lire et le relire pour stimuler l'indispensable réflexion sur le pourquoi et le comment des luttes de notre temps...

 

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[1] Préface à l'édition allemande de 1872.

 

 

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21 janvier 2018

A (re)voir, à (ré)écouter...

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19 janvier 2018

Marx, vous avez dit Karl... (2)

 

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En cinq ans, il était passé de la philosophie contemporaine à la philosophie militante, de la philosophie au communisme, et du rêve à l'action. Philosophe humaniste agissant : tel est bien la définition qu'on peut donner de Karl Marx autour de la trentième année.

 

Luc Somerhausen, 1946

 

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La théorie de Marx est une «critique» dans la mesure où chacun de ses concepts condamne l'ordre existant dans sa totalité.

 

Herbert Marcuse, 1954

 

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Il est peu de personnalités dans l'histoire universelle chez qui l'évolution individuelle se conjugue de façon aussi intime avec celle de l'ensemble de la société.

 

Georg Lukacs, 1955

 

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mandel 1.jpgIl est impossible de dissocier chez Marx le sociologue du révolutionnaire, l'historien de l'économiste. Mais il n'a pu être efficacement, c'est-à-dire scientifiquement, sociologue, historien et surtout révolutionnaire que parce qu'il a été économiste, que parce qu'il a bouleversé la science économique...

 

Ernest Mandel, 1967

 

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Marx savait parler un langage simple, clair et direct mais en même temps il ne faisait aucune concession sur le contenu scientifique de ses théories. Il estimait que les ouvriers avaient droit à la science, et qu'ils pouvaient parfaitement surmonter les difficultés propres à tout exposé vraiment scientifique. Cette règle d'or est et reste plus que jamais une leçon pour nous.

 

Louis Althusser, 1969

 

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Le marxisme est l'ensemble des contresens qui ont été fait sur Marx.

 

Michel Henry, 1976

 

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Je ne me sens pas une obligation de fidélité à Marx, mais quand vous regardez les analyses concrètes que fait Marx à propos de 1848, de Louis Napoléon, de la Commune, dans les textes historiques plus que dans les textes théoriques, je crois qu'il replace bien les analyses de pouvoir à l'intérieur de quelque chose qui est fondamentalement la lutte des classes, et qu'il ne fait pas de la lutte des classes une rivalité pour le pouvoir.

 

Michel Foucault, 1977

 

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lefebvre.jpgL'oeuvre de Marx se situe par rapport à notre époque à peu près comme la physique de Newton par rapport à la physique moderne. Pour arriver à celle-ci, il faut passer par celle-là, prendre ses concepts, les modifier, les compléter, les transporter en leur adjoignant d'autres concepts. Ni fétichiser Marx, ni l'envoyer aux poubelles.

 

Henri Lefebvre, 1983

 

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Commémorer Marx selon son génie, ce serait, d'abord, libérer Marx du marxisme en général et de ses diverses moutures. Non pour laver le père fondateur des pêchés commis par des bâtards irrespectueux, débiles ou malhonnêtes et le retrouver dans son authenticité, mais pour faire cesser un mensonge qui a commencé précisément il y a un siècle et qui empoisonne la vie politique contemporaine. Dans les années qui suivirent la mort de Marx et singulièrement depuis 1889, date de la fondation de la IIè Internationale, s'est imposée une fable, bientôt reprise, amplifiée, réactivée : la fusion entre une conception du monde à caractère scientifique née dans la tête d'un (ou deux) homme(s) : LE marxisme, et une force socio-matérielle, produite par l'histoire et productrice d'histoire : le mouvement ouvrier !

 

François Châtelet, 1983

 

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L'attitude anti-étatique de Marx n'a jamais varié. Entre 1843 et 1883, pendant quarante années de son activité publique, tant théorique que politique, Marx considère la lutte contre l'Etat comme la tâche primordiale du prolétariat et comme la condition première de son émancipation. Marx oppose à l'Etat, organisme parasitaire et oppressif, érigé au dessus de la société, dans l'intérêt de la classe économiquement dominante, une société sans classes et sans Etat, d'où seraient bannis les antagonismes sociaux et qu'il qualifie de socialiste.

 

Victor Fay, 1983

 

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L'activité intellectuelle de Marx, qui fusionna rapidement avec son activité pratique en une union homogène qui devait se perpétuer jusqu'à la fin de sa vie, partit de la nécessité de l'émancipation humaine. Elle était en ce sens un produit des idées de liberté qui firent irruption sous les formes les plus diverses en Europe et en Amérique depuis le siècle des Lumières -ou, plus exactement, depuis la Réforme- à travers la Révolution française et ses héritiers, les démocrates révolutionnaires des années 20 et 30 du XIXè siècle, les jeunes-hégéliens et les premiers groupes socialistes. Elle peut être résumée dans l'exigence de «renverser toutes les conditions au sein desquelles l'homme est un être diminué, asservi, abandonné, méprisé» [Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel]. Tout au long de sa vie, Marx est resté fidèle à cet objectif d'émancipation.

 

Ernest Mandel, 1983

 

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Or la pensée de Marx est tout sauf un système clos. Marx a toujours présenté son oeuvre comme une recherche ouverte, comme une conception du monde, de la nature et de l'homme en transformation continue. La méthode de Marx est «un fil conducteur» -pour reprendre ses termes. C'est un outil d'analyse qui a sans cesse besoin d'être affiné pour comprendre le processus historique dans sa détermination concrète, pour saisir les sociétés dans leur totalité et en découvrir les contradictions, pour expliquer et transformer le monde. La pensée de Marx est essentiellement critique. Critique, du verbe grec krinein, juger. Critique radicale car, pour Marx, critiquer c'est remonter à la racine des choses -et mettre ainsi en lumière comment il est possible de les modifier jusqu'à la racine.

 

Pierre Joye, 1983

 

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liebman.jpegPour dissiper le doute sur l'actualité du marxisme -celui de Marx il s'entend- il n'est que de le lire, de constater le mordant de son écriture, sa netteté, son tranchant. Rien ne vit davantage que cette ironie corrosive, cette vigueur tonifiante dont jaillit toujours la critique et quelquefois une espèce de joie, comme un signe de santé, le torrent de l'intelligence qui ne recule devant aucun obstacle, aucun interdit, aucun tabou. A côté de Marx, le lucide de Tocqueville parait mièvre et compassé, et Hugo, qui écrivit pourtant à la même époque et aborda à sa manière les mêmes thèmes, à côté de Marx, Hugo est simplement illisible. On pourrait multiplier les comparaisons. Marx ou l'éternelle jeunesse.

 

Marcel Liebman, 1983

 

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Pour transformer le monde, Marx n'aura cessé, sa vie durant, de l'interpréter.

 

Jean Mortier, 1983

 

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Marx a montré qu'au départ les hommes produisent leur propre histoire. Nous ne vivons pas en société, nous produisons la société pour vivre et nous devons rendre compte de toutes les productions qui font notre être social. L'essence de l'homme, c'est la totalité des rapports sociaux en devenir. Marx l'a formulé avec sa fameuse thèse sur Feuerbach.

 

Maurice Godelier, 1983

 

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L'attitude vis-à-vis de Marx et de son oeuvre comprend, à mon avis, deux aspects complémentaires. D'un côté, il faut restituer cette oeuvre dans toute son ampleur philosophique, scientifique et critique. D'autre part, il faut se servir de cette pensée comme d'un instrument d'analyse, de recherche, de découverte. Cet instrument ne vaut que si l'on s'en sert : il doit perpétuellement s'affirmer.

 

Henri Lefebvre, 1983

 

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Ni Marx ni Engels ne furent des prolétaires (...) Son évolution vers le communisme n'est donc point déterminée par une expérience immédiatement vécue ou par ses propres conditions d'existence misérables (qui sont postérieures à cette adhésion...). Elle est essentiellement déterminée par le résultat d'un travail intellectuel ou par des motivations morales.

 

Ernest Mandel, 1986

 

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bourdieu.jpgPar définition, la science est faite pour être dépassée. Et Marx a assez revendiqué le titre de savant pour que le seul hommage à lui rendre soit de se servir de ce qu'il a fait et de ce que d'autres ont fait avec ce qu'il avait fait pour dépasser ce qu'il a cru faire.

 

Pierre Bourdieu, 1987

 

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Généralement, il n'abandonne pas ce pour quoi il s'était passionné : Marx n'est pas l'homme des reniements. La pensée de la liberté est la constante profonde de toute son oeuvre et de toute son action. S'il pense une liberté qui ne se ramène pas purement et simplement à la compréhension de la nécessité, sa pensée est nécessairement une pensée du possible.

 

Michel Vadée, 1992

 

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Pas sans Marx, pas d'avenir sans Marx. Sans la mémoire et sans l'héritage de Marx, de son génie, de l'un au moins de ses esprits. Car ce sera notre hypothèse ou plutôt notre parti pris : il y en a plus d'un et il doit y en avoir plus d'un.

 

 

 

Jacques Derrida, 1993

 

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Marx a assumé son rôle d'intellectuel sans partager les ambitions et les prébendes de l'intelligentsia, mais sans non plus singer la condition ouvrière. Le véritable engagement pour Marx n'était pas politique au sens de l'adhésion à un parti «compris dans le sens essentiellement éphémère», mais révolutionnaire, par appartenance au «parti au sens éminemment historique».

 

Louis Janover, 1994

 

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rubel.jpgLa carrière de Marx se présente comme la quête tourmentée d'une harmonie existentielle entre l'action politique et la création théorique. L'inachèvement de la théorie est en quelque sorte la rançon des échecs politiques du mouvement ouvrier auquel Marx a tenu à s'identifier . Restée un «torse», l'oeuvre scientifique n'en continue pas moins à être présente et entière comme appel révolutionnaire lancé à l'humanité en péril de mort.

 

Maximilien Rubel, 1994

 

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Faisant le bilan de son rapport à Hegel dans ses textes de jeunesse, Marx utilise sans hésitation l'expression d' «impératif catégorique», par laquelle Kant désignait la source de l'action morale. Chez Marx il s'agit de l'impératif de supprimer toutes les conditions dans lesquelles l'homme est un être humilié, asservi, abandonné et méprisable. Cette préoccupation éthique traverse toute l'oeuvre jusqu'au Capital.

 

Maximilien Rubel, 1995

 

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Marx a été avant tout un analyste et un théoricien de la société capitaliste. Il s'est gardé de toute spéculation concernant l'avenir.

 

Jacques Bidet, 1995

 

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Marx nous a offert un authentique principe d'intelligibilité du social en désignant l'infrastructure matérielle comme fondement caché de la société.

 

Robert Fossaert, 1997

 

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Tout le projet de Marx a consisté à débusquer, derrière la trompeuse apparence, les rapports sociaux fondamentaux. Dans le capitalisme, seul le travail est source et mesure de la valeur, et le profit se forme comme un surplus.

 

Michel Husson, 2002

 

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Marx-Engels n'étaient pas hostiles à la démocratie représentative en tant que telle, mais soucieux de multiplier les instances de décision à tous les niveaux de la vie sociale, particulièrement à la base.

 

Jacques Texier, 2002

 

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L'actualité de Marx, c'est celle du capital lui-même. Car, s'il fut un formidable penseurbensa.jpg de son époque, s'il a pensé avec son temps, il a aussi pensé contre et au-delà de son temps, de manière intempestive. Son corps-à-corps, théorique et pratique, avec son ennemi irréductible, la puissance impersonnelle du capital, le porte jusqu'à notre présent. Son actualité d'hier fait son actualité d'aujourd'hui.

 

 

 

Daniel Bensaid, 2009

 

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pena-ruiz.jpgKarl Marx n'a jamais confondu la fermeté sur les exigences de lucidité et les principes de l'émancipation avec un quelconque sectarisme doctrinal. Quant à son projet politique, fondé sur l'humanisme et la solidarité à l'égard des exploités, il fut toujours celui d'une émancipation multiforme des individus et des peuples. Il n'avait pas d'autre horizon que celui d'une société affranchie des conflits de classe et réconciliée de ce fait avec elle-même. La classe ouvrière, écrivait Marx, est une classe universelle : à travers sa propre émancipation, elle permet l'émancipation de tous. Le dominé n'aspire pas à prendre la place du dominant, mais à éradiquer cette domination. Comme le chante l'hymne de Pottier et Degeyter, «l'Internationale sera le genre humain».

 

Henri Pena-Ruiz, 2012

 

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Trois grands thèmes centraux développés par Marx restent valides. Le premier est l'analyse des classes comme outil central de compréhension des sociétés. Le deuxième est la critique du capitalisme comme forme spécifique de société de classes. Le troisième est la possibilité de voir émerger une alternative d'émancipation de la société capitaliste.

 

Erik Olin Wright, 2017

 

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Ce qui est pertinent dans son oeuvre aujourd'hui, c'est sa façon d'analyser les formesdardot.jpeg que prend la lutte sociale. Son idée est que la lutte transforme les conditions de la lutte en même temps que les acteurs de cette lutte. L'émancipation, pense-t-il, ne vient pas après la lutte, ce n'est pas pour le lendemain, ce n'est pas seulement un «but». Contrairement à beaucoup de marxistes pour qui les classes préexistent à la lutte, Marx pense que les classes se constituent de et par la lutte, à travers la lutte. C'est de la lutte que les acteurs s'émancipent.

 

Pierre Dardot, 2017

 

 

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Isabelle_Garo.jpgUne pensée en révolution permanente.

 

Isabelle Garo, 2017

 



 

 

 

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18 janvier 2018

Marx, vous avez dit Karl... (1)

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Ce ne serait pas un mal, mon cher Karl, si tu voulais bien écrire un peu plus lisiblement.

 

Heinrich Marx, 1837

 

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Tu me connais, mon cher Karl, je ne me suis ni entêté ni prisonnier de préjugés. Que tu orientes ta carrière vers telle ou telle matière, cela m'est au fond égal. La seule chose qui me tienne naturellement à coeur, par amour de toi, c'est que tu choisisses ce qui correspond le mieux aux dispositions de ton esprit.

 

Heinrich Marx, 1837

 

*****

 

jenny.jpegAh, mon amour, mon amour adoré, voilà que tu te mêles à présent de politique. C'est bien ce qui peut te faire rompre le cou, mon Karl, songe seulement que tu as quelqu'un qui t'aime ici, qui espère et se lamente, et qui dépend entièrement de ton destin.

 

Jenny von Wesphalen, 1841

 

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Bien que révolutionnaire en diable le Dr Marx est un des esprits les plus pénétrants que je connaisse.

 

Georges Jung, 1841

 

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Marx est de nouveau ici. Dernièrement j'ai fait une excursion avec lui pour jouir une fois encore de beaux paysages. Ce fut un délicieux voyage. Nous étions comme d'habitude très gais. A Godesberg nous louâmes deux ânes et galopâmes à fond de train autour de la montagne et à travers le village. Les bourgeois de Bonn qui se trouvaient là nous regardaient avec un air plus scandalisé que jamais. Nous poussions des cris de joie, tandis que les ânes répondaient par des braiments.

 

Bruno Bauer, 1842

 

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C'est un phénomène qui m'a fait une impression énorme. En bref, vous pouvez vous moses_hess.jpgattendre à rencontrer le plus grand -peut être le seul authentique philosophe de l'actuelle génération (...). Le Dr Marx (tel est le nom de mon idole) est encore un très jeune homme de 24 ans. Il portera à la religion et à la philosophie médiévale leur coup de grâce. Il allie le plus profond sérieux philosophique avec l'esprit le plus mordant. Imagine-toi Rousseau, Voltaire, Holbach, Lessing, Heine et Hegel réunis en une seule et même personne -je dis bien réunis et non juxtaposés- et tu as le Dr Marx.

 

Moses Hess, 1842

 

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Souvent il est ivre, souvent il flâne toute la journée. Mais quand il a un travail à faire, il y passe le jour et la nuit. Il n'a pas d'heure fixe, pour dormir et se lever, souvent il reste debout toute la nuit et, à midi, il s'étend sur un sofa, tout habillé, et dort jusqu'au soir, indifférent aux allées et venues autour de lui. Sa femme, cultivée et charmante, s'est habituée à cette vie de bohème et semble s'être faite à cette misère. Ses enfants sont très beaux, avec les yeux intelligents de leur père. Comme mari et comme père, Marx, en dépit de son caractère sauvage, est le plus tendre et le plus docile des hommes.

 

Wilhelm Stieber, 1850

 

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bakounine.jpgMarx était beaucoup plus avancé que je ne l'étais, comme il reste encore aujourd'hui non pas plus avancé, mais incomparablement plus savant que moi. Je ne savais alors rien de l'économie politique, je ne m'étais pas encore défait des abstractions métaphysiques, et mon socialisme n'était que d'instinct. Lui, quoique plus jeune que moi, était déjà un athée, un matérialiste savant et un socialiste réfléchi. Ce fut précisément à cette époque qu'il élabora les premiers fondements de son système actuel. Nous nous vîmes assez souvent car je le respectais beaucoup pour sa science et pour son dévouement passionné et sérieux, quoique toujours mêlé de vanité personnelle, à la cause du prolétariat, et je cherchais avec avidité sa conversation toujours instructive et spirituelle lorsqu'elle ne s'inspirait pas de haine mesquine, ce qui arrivait hélas trop souvent. Jamais pourtant il n'y eut d'intimité franche entre nous. Nos tempéraments ne se supportaient pas.

 

Michel Bakounine, 1871

 

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darwin.png

Cher Monsieur, je vous remercie de l'honneur que vous m'avez fait en m'envoyant votre grand oeuvre sur le capital ; et je voudrais de tout coeur être plus digne de le recevoir en comprenant davantage l'importante et profonde question de l'économie politique. Bien que nos recherches aient été si différentes, je crois que nous désirons tous deux sérieusement l'extension du savoir et que c'est à coup sûr cela qui accroîtra à long terme le bonheur de l'humanité.

 

Charles Darwin, 1873

 

*****

 

Friedrich_Engels.jpgMarx était avant tout un révolutionnaire. Contribuer d'une façon ou d'une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d'Etat qu'elle a créées, collaborer à l'affranchissement du prolétariat moderne auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. La lutte était son élément.

 

Friedrich Engels, 1883

 

*****

 

Karl Marx est une des rares personnalités qui furent à même d'occuper une place de premier plan à la fois dans les sciences et dans l'activité publique ; ils les liait de façon si intime qu'il est impossible de bien le comprendre si on sépare le savant du lutteur socialiste.

 

(...)

 

A part les poètes et les romanciers, Marx avait un moyen original de se distraire : les mathématiques, pour lesquelles il avait une prédilection toute particulière. L'algèbre lui apportait même un inconfort moral ; elle le soutenait aux moments les plus douloureux de son existence mouvementée.

 

(...)

 

Marx ne permettait à personne de mettre de l'ordre, ou plutôt du désordre dans ses livres et ses papiers. Car leur désordre n'était qu'apparent, en réalité tout était à sa place.

 

Paul Lafargue, 1890

 

*****

 

Le style de Marx, c'est Marx lui-même. On lui a reproché d'avoir voulu enfermer le maximum de sens dans un minimum de mots ; or c'est précisément ce qui distingue Marx.

 

Wilhelm Liebknecht, 1896

 

*****

 

Son langage était bref, suivi d'une logique implacable ; il ne disait jamais des choses inutiles. Chaque phrase contenait une pensée, formant un maillon nécessaire dans la chaîne des arguments. Marx n'avait rien d'un rêveur.

 

Friedrich Lessner, 1898

 

*****

 

jaurès1.jpgC'est le mérite décisif de Marx, le seul peut-être qui résiste pleinement à l'épreuve de la critique et aux atteintes profondes du temps, d'avoir rapproché et confondu l'idée socialiste et le mouvement ouvrier.

 

Jean Jaurès, 1901

 

*****

 

La profondeur de la pensée de Marx ne tient pas seulement à son génie mais au fait qu'il éclaire sans cesse toutes les questions qu'il traite à partir des perspectives historiques les plus vastes et en montrant les connexions dialectiques.

 

Rosa Luxemburg, 1902

 

*****

plekhanov.jpg

A la fois militant et penseur, il n'a pas seulement organisé et formé les premiers cadres de l'armée internationale des ouvriers : en collaboration avec son fidèle ami Friedrich Engels, il a forgé pour elle l'arme intellectuelle qui lui a permis d'infliger à l'adversaire une multitude de défaites, et qui le temps aidant, lui donnera la victoire totale. Si le socialisme est devenu une science, nous le devons à Karl Marx.

 

Georges Plekhanov, 1903

 

*****

 

Kautsky.jpgMarx fut le premier qui insista sur le rôle important des syndicats dans la lutte des classes du prolétariat et cela dès 1846 (...) Tandis qu'il travaillait au Capital (...), il prévoyait déjà la société par actions et les cartels modernes. Pendant la guerre de 1870-1871, il présageait que la prépondérance dans le mouvement socialiste allait désormais passer de la France à l'Allemagne. En janvier 1873, il prédisait la crise qui commença peu de mois après. On peut en dire autant d'Engels. Même lorsqu'ils se trompaient, leur erreur recelait quelque idée juste et profonde.

 

Karl Kautsky, 1909

 

*****

 

Marx a continué et parachevé les trois principaux courants d'idées du XIXème siècle, qui appartiennent aux trois pays les plus avancés de l'humanité : la philosophie classique allemande, l'économie politique classique anglaise et le socialisme français, lié aux doctrines révolutionnaires françaises en général.

 

Lénine, 1914

 

*****

 

Marx a été grand, son action a été féconde, non point tant parce qu'il a inventé à partir de rien, non point tant parce qu'il a tiré de son imagination une vision originale de l'histoire, mais bien parce que le fragmentaire, l'inachevé, tout ce qui n'était pas encore mûr, est devenu chez lui maturité, système, prise de conscience. Sa prise de Antonio.jpgconscience personnelle peut devenir celle de tout le monde, elle est déjà devenue celle de beaucoup ; voilà pourquoi ce n'est pas seulement un penseur mais un homme d'action ; il est aussi grand dans l'action que dans la pensée, ses livres ont transformé le monde comme ils ont transformé la pensée. Marx, c'est l'entrée de l'intelligence dans l'histoire de l'humanité, c'est l'avènement de la conscience.

 

Antonio Gramsci, 1918

 

*****

 

Ce qui fait sans conteste l'incomparable grandeur de Marx, c'est qu'en lui le penseur et l'homme d'action étaient indissolublement liés, qu'ils se complétaient et se renforçaient mutuellement. Mais il n'en est pas moins certain que le militant, chez lui, a toujours pris le pas sur le penseur.

 

Franz Mehring, 1918

 

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Marx et Engels furent des révolutionnaires jusque dans la moelle des os.

 

Léon Trotsky, 1929

 

*****

 

Trotsky-191x300.jpgL'erreur de Marx-Engels quant aux délais historiques découlait d'une part de la sous-estimation des possibilités inhérentes au capitalisme, et d'autre part de la sur-estimation de la maturité révolutionnaire du prolétariat.

 

Léon Trotsky, 1937

 

*****

 

Secondaire aussi de constater que certaines prévisions de Marx et d'Engels n'ont pas été confirmées par l'histoire et que par contre bien des faits se sont produits qu'ils n'avaient pas prévus...Marx et Engels furent trop grands -trop intelligents- pour se croire infaillibles et prétendre au prophétisme.Il est vrai -mais il n'importe- que leurs continuateurs n'ont pas toujours été à la hauteur de leurs sagesse.

 

Victor Serge, 1938

 

*****

 

La théorie et la pratique révolutionnaires ont donc formé de tout temps chez Marx une totalité indivisible, et c'est cette totalité qui constitue aujourd'hui l'élément vivant dans ce que Marx nous a légué.

 

Karl Korsh, 1938

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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03 janvier 2018

2018, année du bicentenaire de la naissance de Marx

Thema_Marx_200_01.jpg

 

Karl Marx ! Huit lettres qui claquent tel un étendard dans la tempête. Un prénom et un nom qui ont échappé depuis longtemps à l'homme qui les a portés au coeur du bouillonnant XIXème siècle, dans son Allemagne natale comme dans ses pays d'exil : la France, la Belgique et finalement l'Angleterre, après de nouveaux passages dans la capitale française, au moment des ébranlements révolutionnaires et contre-révolutionnaires de 1848-1849, en Europe.

marx j.jpgUne personnalité historique incontournable dont il sera à nouveau beaucoup question dans les prochains mois car, le 5 mai 2018, il y aura exactement 200 ans que Marx vit le jour à Trèves (en Rhénanie).

On a évidemment déjà amplement disserté et discouru sur Marx tout au long du XXème siècle jusqu'à nos jours. De manière dithyrambique pour les uns, tandis que les autres s'efforçaient de le disqualifier par tous les moyens, n'hésitant pas à lui imputer une responsabilité dans l'émergence des régimes «totalitaires» le siècle dernier, et pour les crimes perpétrés dans les «pays du socialisme réellement existant» ! Une querelle absurde concernant un homme décédé en 1883, 34 ans avant la première «révolution communiste», celle d'Octobre 1917 en Russie ! Et une polémique qui ne risque pas de s'éteindre puisqu'elle permet d'accréditer l'idée qu'il ne peut exister d'alternative démocratique au capitalisme.

Certes, cet anniversaire n'influencera pas la folle trajectoire d'une humanité engagée dans une voie sans issue, celle de l'accumulation illimitée du capital et de la marchandisation généralisée du monde, celle d'un productivisme et d'un consumérisme irrationnels, destructeurs des ressources vitales de la planète. Mais si notre futur est compromis, il reste toujours de notre ressort d'inverser la marche du capitalisme financier globalisé vers le désastre !

L'avenir n'est donc pas définitivement hypothéqué. Mais pas sans l'oeuvre de Marx qui conserve une réelle pertinence pour comprendre les contradictions de notre société dans la perspective de la changer, radicalement. Même si elle ne fournit pas de recettes ou de réponses définitives pour résoudre nos problèmes actuels et pour relever les défis de notre époque. Inutile de chercher dans ses textes la moindre appréciation sur le «réchauffement climatique» ni la moindre considération sur la «révolution numérique»...

De quel Marx s'agit-il ?

D'abord, d'un Marx débarrassé du «marxisme» ! Lui, n'a jamais prétendu être le propagateur d'un nouvel évangile, le communisme. Lui, n'a jamais revendiqué la paternité d'une «doctrine», par essence fermée à toutes les interrogations critiques. Et jamais on ne trouvera sous sa plume les termes onomastiques qui furent d'abord utilisés par ses adversaires politiques ! [1] Il est, par ailleurs, devenu difficile d'encore se réclamer d'un «marxisme» au singulier tant les interprétations des écrits de Marx ont été multiples et tant les courants politiques «de gauche» qui s'en réclament ont proliféré au cours d'une histoire particulièrement agitée des «mouvements ouvriers» de tous les pays. A l'évidence, il existe aujourd'hui presque autant de «marxismes» qu'il existe de «marxistes» ! Et cette situation n'a pas peu contribué à rendre parfois illisible les apports décisifs du théoricien allemand (et de son ami Friedrich Engels).

 

Marx dans imprimerie.jpg

 

Ensuite, d'un Marx qui n'est pas réduit à un penseur en chambre, distant du bruit et de la fureur du monde. Marx était avant tout un militant révolutionnaire ! Il considérait que son travail théorique devait être mis au service de la lutte de la classe ouvrière. Marx n'écrivait pas pour être publié dans la Bibliothèque de la Pléiade ! Il n'a pas consacré de nombreuses années de son existence pour accoucher de son opus magnum, Das Kapital, dans le but de laisser une oeuvre majeure destinée à être étudiée dans les universités du futur, aux côtés de celles de Platon, Aristote, Spinoza, Kant ou Pascal !  Non, Marx était profondément impliqué dans les combats de son temps. Du libéralisme de gauche au communisme, de la «gauche hégélienne» à la Ligue des Communistes, de la «Société universelle des communistes révolutionnaires» à 9782253014911-fr.jpgl'Association Internationale des Travailleurs, de la révolution de 1848 à la Commune de Paris, Marx (et Engels) s'est (se sont) engagé(s) durant plus de 40 ans pour essayer de commencer à changer le monde. Concrètement. Car Marx refusait de «faire bouillir les marmites de l'histoire» et il n'épousait pas la démarche d' «utopistes» s'acharnant à dessiner les contours d'une société future idéale.

En 2018, l'actualité de Marx reste l'actualité persistante de la domination du capital et des luttes multiformes contre cette domination.

Oui, le capitalisme a évolué au cours de ces deux siècles, notamment sous la pression des batailles menées par les salariés, qui leur ont permis d'arracher d'importantes conquêtes sociales et politiques. Oui, il est devenu de plus en plus complexe, et oui il a perfectionné ses méthodes pour consolider son hégémonie idéologique et assurer sa pérennité. Mais il n'est pas parvenu à surmonter ses contradictions et ses turbulences, il n'a pas abandonné ses caractéristiques essentielles :

 

  • Le capitalisme demeure un système de production marchande généralisée.

  • Le capitalisme demeure un système reposant sur la propriété privée des principaux moyens de production. Les grandes structures économiques n'appartiennent pas à la collectivité et ne sont pas contrôlées par le plus grand nombre. Elles sont toujours concentrées dans les mains d'une minorité de possédants. Corollaire : la persistance de la «séparation des producteurs d'avec les moyens de production».

  • Le capitalisme demeure un système qui a pour seul «mobile social» l'argent. La course aux profits, la priorité à la rentabilité financière, la rémunération maximale du capital, constituent des dogmes intangibles. Au prix du maintien de l'étau de l'exploitation et du renouvellement de mécanismes alimentant de gigantesques inégalités.

  • Le capitalisme demeure un système obsédé par la compétitivité où la concurrence reste l'alpha et l'omega de son développement. Ainsi encouragée, la lutte de tous contre tous favorise les comportements égoïstes au détriment de la solidarité et des coopérations entre êtres humains.

  • Le capitalisme demeure un système où rien n'est jamais acquis définitivement et où toutes les conquêtes historiques peuvent être remises en cause à n'importe quel moment, en fonction d'une conjoncture et de rapports de force donnés.

 

marx oeil.jpgC'est dire si les travaux de Marx, ses intuitions et ses recommandations, représentent encore maintenant un point d'appui et des éléments de réflexion utiles dans la difficile recherche de solutions de rechange au désordre du capital. Et plus que jamais, sa méthode d'analyse des rapports sociaux constitue un fil conducteur précieux pour celles et ceux qui s'emploient à bouleverser un statu quo mortifère.

L'héritage de Marx, c'est l'héritage d'une pensée critique et révolutionnaire, pleine de vitalité, mobilisée pour transformer la société, rompre avec la domination bourgeoise, et ouvrir le chemin à l'abolition du salariat et à l'émancipation humaine.

Un vaste chantier toujours ouvert 200 ans après sa naissance.

 

@

 

[1] Voir à ce sujet le remarquable article écrit en 1978 par George Haupt, «Marx et le marxisme», repris dans George Haupt, L'historien et le mouvement social, Maspéro, Paris, 1980, pages 77-107

 

 

 

A lire également, sur ce blog :

 

http://rouge-ecarlate.hautetfort.com/archive/2016/12/04/d...

http://rouge-ecarlate.hautetfort.com/archive/2015/03/04/o...

 

 

 

 

 

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08 novembre 2017

100 années de controverses (II)

 

Comme attendu, la commémoration du centenaire de la Révolution d'Octobre 1917 entraîne la multiplication de publications de toute nature : rééditions, livres inédits, numéros spéciaux de revues. Ainsi que la programmation de nombreux documentaires et émissions de télévision, disponibles ensuite sur le net. L'occasion de se rappeler que cet événement majeur a fait couler beaucoup d'encre depuis un siècle, et suscité d'âpres débats et de virulentes polémiques. Rapide survol avec des extraits choisis. En toute subjectivité bien entendu...

 

train armée rouge reds.jpg

 

Les chefs du bolchevisme des grandes années n’ont manqué ni de savoir ni d’intelligence, ni d’énergie : ils ont manqué d’audace révolutionnaire toutes les fois qu’il eût fallu chercher (après 1918) des solutions dans la liberté des masses et non dans la contrainte gouvernementale. Ils ont systématiquement bâti non l’Etat-Commune qu’ils avaient annoncé, mais un Etat fort, au sens vieux du mot, fort de sa police, de sa censure, de ses monopoles, de ses bureaux tout-puissants.

Victor Serge, 1938



Il ne faut pas commettre l'erreur de croire que l'évolution russe dépendait uniquement de la présence de tel ou tel individu, de la vilenie ou de la noblesse (selon le point de vue de chacun) de Staline, par exemple. Si Lénine avait vécu, les choses n'auraient sans doute pas été très différentes.

James Burnham, 1940



Dans deux domaines capitaux, le léninisme aboutit en effet à un échec. Il n'a pas réussi à répondre aux nombreuses interrogations que pose la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière en système capitaliste avancé. Il n'est pas davantage parvenu à poser correctement les problèmes de construction d'une société prolétarienne. En particulier : une fois passée la période des grandes conquêtes révolutionnaires, Lénine a gravement sous-estimé l'importance de la démocratie ouvrière : il n'a pas compris à quel point était indispensable une opposition soumettant le pouvoir, quel qu'il soit, à une vigilante et incessante critique.

Marcel Liebman, 1976



Finalement, le développement du mouvement de masse en RDA et en Tchécoslovaquie, et la croissance réelle, bien que plus lente, du mouvement de masse en URSS et dans plusieurs autres pays d'Europe de l'Est pourraient déboucher dans les années à venir sur la victoire de la révolution politique. Réalisée sur une base matérielle et culturelle beaucoup plus élevée que celle de la Russie de 1917, ou de l'Europe de l'Est de 1945, sans parler de la Chine de 1949, elle confronterait rapidement les masses laborieuses du monde avec un modèle de société plus libre, plus juste et plus égalitaire que le capitalisme le plus développé.

mandel 1.jpgLa crise de crédibilité du projet socialiste serait ainsi définitivement surmontée. C'est ainsi qu'apparaît la nature contradictoire de cette crise de crédibilité. Elle résulte de la banqueroute irrémédiable du stalinisme et du post-stalinisme, de toute tentative d'imposer aux masses des projets politiques sans leur libre consentement majoritaire. Mais elle débouche non seulement sur le rejet résolu de tout "verticalisme", elle intègre aussi une dimension anti-bureaucratique puissante et durable à la conscience de classe élémentaire d'une grande majorité du prolétariat. Ce rejet de la manipulation bureaucratique libère et libérera des forces colossales, qui peuvent se réorienter vers une action émancipatrice contestant la société bourgeoise dans son ensemble.

Tout ce processus contradictoire traduit historiquement la capacité auto-critique et auto-rectificatrice des révolutions prolétariennes, que Marx avait déjà soulignée dans le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte. Il assure, lui aussi, l'avenir du communisme. Mieux, il implique la possibilité, voire la probabilité de la victoire.

Mais, à une condition: que les communistes/socialistes révolutionnaires se dégagent définitivement de toute théorie et de toute pratique substitutionniste, paternaliste, autoritaire à l'égard du mouvement d'émancipation des salariés, sans pour autant retomber dans le spontanéisme.

Ernest Mandel, 1989



Si le stalinisme n’était, comme certains le soutiennent ou le concèdent, qu’une simple «déviation» ou «un prolongement tragique» du projet communiste, il faudrait en tirer les conclusions les plus radicales quant au projet lui-même.

C’est bien d’ailleurs ce que visent les promoteurs du Livre noir. On pourrait s’étonner en effet du ton de guerre froide, passablement anachronique, de Stéphane Courtois et de certains articles de presse. Alors que le capitalisme, pudiquement rebaptisé «démocratie de marché», se proclame volontiers sans alternative après la désintégration de l’Union soviétique, vainqueur absolu de la fin de siècle, cet acharnement révèle en réalité une grande peur refoulée : la crainte de voir les plaies et les vices du système d’autant plus criants qu’il a perdu, avec son double bureaucratique, son meilleur alibi. Il importe donc de procéder à la diabolisation préventive de tout ce qui pourrait laisser entrevoir un autre avenir possible.

C’est en effet au moment où sa contrefaçon stalinienne disparaît dans la débâcle, où s’achève sa confiscation bureaucratique, que le spectre du communisme peut à nouveau revenir hanter le monde.

Combien d’anciens staliniens zélés, faute d’avoir su distinguer stalinisme et communisme, ont-ils cessé d’être communistes en cessant d’être staliniens, pour rallier la cause libérale avec la ferveur des convertis ? Stalinisme et communisme ne sont pas seulement distincts, mais irréductiblement antagoniques. Et le rappel de cette bensaid.jpgdifférence n’est pas le moindre devoir que nous ayons envers les nombreuses victimes communistes du stalinisme.

Le stalinisme n’est pas une variante du communisme, mais le nom propre de la contre-révolution bureaucratique. Que des militants sincères, tout à l’urgence de la lutte contre le nazisme, ou se débattant dans les conséquences de la crise mondiale de l’entre-deux-guerres, n’en aient pas pris immédiatement conscience, qu’ils aient continué à offrir généreusement leurs «existences déchirées», ne change rien à l’affaire.

Daniel Bensaid, 1997



Quand on examine l'histoire de la révolution d'Octobre, il faut se garder d'oublier qu'elle a eu des adversaires révolutionnaires qui avaient une base et une légitimité. Une base, car au cours de l'année 1918, lorsque se multiplièrent les réquisitions forcées et que s'instaura la terreur bolchévique, un nouveau basculement se produisit dans l'opinion et un nombre croissant de soviets élirent des majorités menchéviques et SR. Qu'a fait alors le pouvoir bolchévik ? Il a dissout ces soviets ou les a empêché de siéger. Dès 1918 donc, la pratique du pouvoir soviétique et du parti unique se mit en place, en éliminant y compris ceux qui étaient prêts à former une opposition constructive. Dans ce sens, le bolchévisme a toujours tourné le dos au mouvement d'auto-émancipation des masses populaires, quand il ne pouvait pas l'instrumentaliser.

Claudie Weil, 1997



Si le spectre communiste avait eu raison des puissances du capital au terme d'une guerre civile particulièrement meurtrière, une apparition effrayante, sorte d'image inversée, reflet négatif déformé, était née de ce combat. Le communisme était hanté à son tour par un spectre, celui d'une bureaucratie qui le parasitait progressivement. Le communisme de guerre avait eu raison de la guerre, mais peut être aussi du communisme.

Olivier Besancenot, 2017



La NEP était absolument justifiée par la nécessité de remettre l’industrie en marche, y compris avec des investissements étrangers, et de relancer la production agricole en en redonnant la maîtrise à une paysannerie payant l’impôt. Mais la meilleure protection contre les dérives ultérieures de cette NEP (l’enrichissement rapide de certains koulaks, paysans moyens et commerçants) résidait sans doute dans un régime réactivé d’ouverture politique parallèlement à cette ouverture économique. Une NEP politique pour tous les partisans de la révolution, après la victoire sur la contre-révolution interne et externe. Cela aurait stimulé une renaissance de la vie politique, soviétique, syndicale, associative qui aurait trouvé dans la renaissance de ses droits une motivation pour accompagner la réactivation de l’économie et du pays.

Mais c’est le contraire qui fut mis en œuvre. D’abord, par la terrible répression contre les marins et les ouvriers de Kronstadt. Quels que soient les dangers que ces derniers faisaient courir à la révolution en s’insurgeant, la violence de cette répression était injustifiable. Ensuite, par un «processus de répression moléculaire» qui s’étend dans le pays comme le rapporte Boris Souvarine. Enfin par les décisions du Xe congrès bolchévique qui vont étouffer la discussion politique dans le parti et dans le pays. L’interdiction des tendances et fractions au sein du Parti devenu communiste répondait sans doute à la crainte d’un déchirement ou d’une explosion après les crises qui l’avaient traversé. Le remède fut évidemment pire que le mal. De plus, il entérina, hors du Parti et pour toute la société, le monolithisme d’un Parti unique encadré par ces mesures disciplinaires.

A la fin des années vingt, quand Staline et sa bureaucratie nourrie de ces «règles» mettront le Parti en coupe réglée, ils n’auront pas à aller chercher loin pour trouver ces justifications «léninistes», que Lénine mettait en cause à la fin de sa vie et que Trotsky commença trop tard à dénoncer.

Charles Michaloux et François Sabado, 2017



Je voudrais insister sur un point qui aujourd’hui, depuis l’apparent triomphe du capitalisme à l’échelle mondiale, semble oublié : la révolution russe de 1917 est un événement sans précédent dans l’histoire de l’espèce humaine.

Alain Badiou, 2017



Les échecs révolutionnaires accumulés depuis 1917 ont rendu les militants sceptiques. Le mot même de communisme a perdu sa force émancipatrice telle qu’elle avait été forgée dès 1840.

Michèle Riot-Sarcey, 2017



Ce siècle est clos et, s’il est un modèle dont il faut s’abstraire, peut-être est-ce du bolchevisme, quelle qu’ait été sa grandeur. Non pas se débarrasser du communisme, mais de la forme que le XXe siècle lui donna.

Roger Martelli, 2017



 

lenine2.jpg















 

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07 novembre 2017

Renouveler notre logiciel politique

Ah ! ils nous en ont fait approuver des massacres
Que certains continuent d'appeler des erreurs
Une erreur, c'est facile comme un et deux font quatre
Pour barrer d'un seul trait des années de terreur
Ce socialisme était une caricature
Si les temps ont changé, des ombres sont restées
J'en garde au fond du cœur la sombre meurtrissure
Dans ma bouche, à jamais, la soif de vérité

 

Jean Ferrat, Le bilan

 

 

Putilov.jpg

 

 

Il y a 100 ans, un immense espoir. Une révolution populaire authentique. Les révolutionnaires au pouvoir !

Et puis, déceptions.

Pas de «dictature du prolétariat» mais une dictature sur le prolétariat. Pas de grand bond en avant démocratique, mais l'anesthésie des formes et des organes d'auto-organisation du peuple. Pas d'Assemblée constituante mais l'extinction du pluralisme politique et l'interdiction progressive de toutes les formations, socialistes comprises.

Et aussi, création d'une police politique. Arrestations arbitraires. Procès expéditifs et truqués. Tortures. Disparitions. Exécutions sommaires. Premières déportations vers des camps. Ecrasement de toute opposition. Cronstadt.

Et puis, contrôle total de l'Etat par un parti unique, le Parti communiste. Mise au pas des oppositions internes. Interdiction des tendances et fractions. Monolithisme idéologique.

Certes, des explications existent. Et de taille. Le climat de violence extrême de l'époque. La première guerre mondiale de l'histoire, boucherie d'une ampleur inédite. Une «paix infâme» imposée par l'empire allemand. La guerre civile et l'intervention des puissances impérialistes. La contre-révolution à l'offensive, sur tous les fronts. Le chaos généralisé, dans un pays souffrant déjà de retards économiques. Une classe ouvrière famélique et une immense paysannerie. La «révolution mondiale» qui ne vient pas. L'inexpérience des nouveaux dirigeants.

 

trotsky armée rouge.jpg

 

Mais des explications ne peuvent constituer des justifications.

Les Bolchéviks au pouvoir ont très vite tourné le dos aux idéaux des Bolchéviks dans l'opposition. Les proclamations programmatiques volontaristes ont cédé le pas aux «nécessités de l'urgence », rapidement transformées en un système figé et durable de mesures arbitraires. Une politique dure, coercitive, est mise en oeuvre pour rester aux commandes, coûte que coûte.

Dès lors, la révolution se métamorphose en contraire d'une révolution. Ses accents libertaires s'évaporent. Une bureaucratie tenace se déploie sur tout le territoire.

Se constitue alors le terreau sur lequel va prospérer le «stalinisme». Entre les années trente et les premières années post-révolutionnaires, pas de changement de nature mais un énorme changement d'échelle. Avec un ordre répressif qui frappera finalement des «communistes» eux-mêmes, dont la plupart des grandes figures de 1917 !

Totalitarisme, goulag, nomenklatura tentaculaire, victimes innombrables : tout cela ne contrariera pas, durant des décennies, au sein même des mouvements ouvriers, la ténacité d'innombrables soutiens aveuglés, ne tarissant pas d'éloges sur un prétendu «bilan globalement positif» des pays du «socialisme réellement existant» !

 

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Impossible ici d'entrer dans les détails des 74 années tumultueuses qui ont précédé la disparition de l'URSS, issue des «10 jours qui ébranlèrent le monde». Entraînant d'ailleurs dans sa chute le bloc des régimes structurellement assimilés au lendemain de la seconde guerre, qui ne pouvaient décidément exister sans la «protection du Grand Frère» !

Au total donc, un gâchis terrible. Avec de lourdes conséquences pour le mouvement social opposé au capitalisme depuis tant de décennies. Car avec l'échec du «projet émancipateur» au XXème siècle, c'est la perspective de solutions de rechange crédibles à l'oppression et à l'exploitation capitalistes qui a été discréditée. De nos jours, il est devenu bien difficile de se revendiquer positivement du communisme !

Bien sûr, 2017 n'est pas/plus 1917 ! La différence ? Cent ans ! Boutade ? Non ! En un siècle, que de bouleversements gigantesques, avec des avancées sociales et démocratiques indéniables, issues de la lutte des classes.

Mais aussi avec la domination consolidée d'un capitalisme -financiarisé et globalisé- plus arrogant que jamais, l'hégémonie de l'idéologie «néo-libérale», la colonisation de l'imaginaire collectif, la promotion de l'individualisme et de l'affrontement de tous contre tous, le développement du productivisme et d'un consumérisme aliénant, de sombres perspectives pour le devenir de notre espèce, hypothéqué par le dérèglement climatique et la crise sans précédent des écosystèmes !

C'est dire si les enjeux -en terme d'émancipation humaine et de sauvegarde d'un environnement viable- ne sont pas moins grands aujourd'hui que lors de l'Octobre rouge.

En prenant appui sur les enseignements des échecs de toutes les tentatives de transformation sociale et politique tout au long du «court XXème siècle», il importe maintenant de préparer l'avenir en construisant des alternatives «révolutionnaires» adaptées à notre époque et à nos sociétés. Un vaste chantier qui mobilise déjà divers mouvements dans de nombreux pays.

 

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Comme le proclamait la jeunesse, il y a près de 50 ans, lors d'un joli mois de mai : «ce n'est qu'un début, le combat continue».

Une formule toujours d'actualité, et pour un bon bout de temps...

 

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