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12 septembre 2018

Actions syndicales contre le gouvernement Michel : pour faire quoi ?

 

ballons.jpgDe nouvelles mobilisations syndicales sont annoncées, notamment pour le mardi 2 octobre. Elles serviront peut-être de prélude à un «plan d'action» plus vaste, plus tard dans l'année. Avec l'objectif d'une manifestation nationale ou d'une grève générale de 24 heures, en... décembre, à quelques jours de la traditionnelle trêve des confiseurs, Noël et Nouvel An obligent ?

La remarque peut paraître désabusée, mais ce scénario a déjà été écrit tant de fois que l'on ne peut l'exclure. Avec un scepticisme accru, car il n'a jamais empêché le gouvernement NVA-MR de mettre en exécution ses projets socialement rétrogrades !

 

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Alors, incapacité de tirer les leçons du passé, incapacité de se mettre en mouvement avec l'ensemble des salariés, absence de volonté d'affronter réellement l'exécutif fédéral ou attentisme contraint faute d'une alternative politique concrète à courte échéance ?

Il semble aujourd'hui évident que les décideurs qui «représentent» une «majorité sociale» potentielle préfèrent occuper une dernière fois «le terrain»... avant les élections législatives (et européennes) de 2019. Dans l'espoir, sans doute, qu'une nouvelle configuration parlementaire issue des urnes débouche sur la constitution d'un gouvernement «moins à droite» qui mettrait en oeuvre un programme moins violent contre le «monde du travail» et contre les «exclus» de celui-ci...

Toutefois, ce ne sont pas les participations gouvernementales du PS, voire même d'Ecolo, qui ont manqué au cours des 30 dernières années. Et celles-ci n'ont jamais permis une remise en cause des politiques d'austérité exigées par l'Union européenne, en vertu d'engagements et de traités pourtant contestés par les peuples, à maintes reprises !

Mais il y a longtemps que la perspective rêvée d'une révolution permanente a été supplantée par la plate réalité d'une impasse permanente !

Le «mouvement social» a décidément beaucoup de difficultés à avancer de manière équilibrée, sur ses deux jambes : les luttes ont besoin d'un débouché institutionnel et celui-ci ne peut prendre vie qu'en s'appuyant sur une action populaire au long cours.

 

 

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Le problème majeur reste la construction d'une force politique à vocation hégémonique, porteuse d'un programme alternatif ambitieux qui puisse bénéficier d'un soutien majoritaire parmi les travailleurs/travailleuses- citoyens/citoyennes.

Hélas, en Belgique, nous en sommes toujours réduits à piétiner autour d'un clivage classique «gauche/droite» (guillemets vraiment d'usage) et à devoir observer des échanges d'invectives concernant des étiquettes qui ont pourtant beaucoup perdu de leur signification et de leur portée subversive. Dans la foulée du siècle dernier, ce début de troisième millénaire a -en effet- consolidé une fâcheuse tendance : les renoncements bousculent les idéaux, les compromissions se jouent des compromis, toute perspective de transformation du monde est priée de s'effacer derrière quelques misérables rafistolages de celui-ci !

Face à la droite et à l'extrême-droite, les solutions de rechange sont donc ténues et les possibilités d'une rupture avec le désordre du capital sont plus qu'aléatoires. Entre Ecolo qui cultive un «ni... ni...» opaque susceptible d'ouvrir la voie à n'importe quelles alliances, entre le PS bienveillant accompagnateur des orientations austéritaires chères aux puissants, entre le PTB ancien (?) parti mao-stalinien à la trajectoire politique sinueuse, le chemin d'un renouvellement stratégique et programmatique fécond est très étroit. Le décalage constaté avec des pays comme l'Espagne ou la France -et les stimulantes innovations engagées par Podemos ou par la France Insoumise-  est évident.

 

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Une situation d'autant plus complexe, -déconcertante même-, que nous vivons dans un «pays petit», disparate, taraudé par une vieille «question nationale», avec une cohabitation historiquement forcée de deux peuples, et avec des centres de gravité politiques différents suivant les régions et les communautés.

Les campagnes électorales à venir pourraient être l'occasion -pour les adversaires de l'actuel mode de production/consommation dominant-  d'une clarification concernant les perspectives stratégiques fondamentales.

Malheureusement cet enjeu ne semble pas être une préoccupation prioritaire au sein de partis plus soucieux de se disputer le titre de «champion de la gauche», ou plus ardents pour «gagner l'hégémonie dans un camp», que de chercher une voie inédite adaptée à notre époque chahutée et capable de rassembler majoritairement pour un changement de cap radical.

Nous pourrons de toute façon vérifier très rapidement ce qu'il en est réellement.

A suivre...

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04 septembre 2018

Toilettage

 

Lorsque j'ai ouvert ce «blog», en 2013, j'ai rédigé un petit texte de présentation, repris dans la rubrique «A propos», située sur la page d'accueil, tout en haut, à ... gauche.

5 années plus tard, voici venu le temps de «rafraîchir» ces quelques lignes. Il s'agit plus d'aménagements, « homéopathiques », que d'une refonte totale qui -sur le plan politique- ne s'imposait pas.

Voici donc la nouvelle version.

 

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Ce blog annonce la couleur : rouge !

C'est donc à partir d'un engagement assumé que sont abordées ici l'actualité conflictuelle du monde  -sous ses multiples facettes-, la politique, l'histoire ou la littérature...

Quelques mots pour me situer.

Je me réclame de la "pensée/action Marx".

L’analyse et les interprétations critiques de la société doivent s'inscrire dans une perspective transformatrice de celle-ci.

Le combat pour l’émancipation humaine ne peut faire l’économie d’une rupture avec le capitalisme pour l’instauration d’une société sans classes, profondément égalitaire et démocratique, débarrassée de toute oppression et de toute exploitation, où le libre développement de chacun(e) sera le garant du libre développement de tou(te)s, dans le respect des grands équilibres écologiques.

Plus que jamais : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE !

Sans démocratie réelle pas de vraie LIBERTE possible !

Une véritable démocratie directe, car aucun projet politique visant à changer le monde ne peut aboutir s’il n’est pas porté par la grande majorité des hommes et des femmes, des citoyens et des citoyennes, des travailleurs et des travailleuses, des jeunes et des moins jeunes.

Une société "post-capitaliste", quel que soit le nom plébiscité, ne pourra être que radicalement démocratique. Elle constituera une avancée qualitative par rapport à la situation actuelle où la liberté est trop souvent la liberté pour les plus puissants de pouvoir écraser les plus faibles. Elle mettra fin au despotisme du marché afin de permettre à chacun(e) d’intervenir dans tous les domaines qui influencent la destinée humaine, à commencer par le contrôle des processus de production qui déterminent les types de consommation  -destructeurs ou non !-  de notre environnement terrestre. Elle mettra en valeur de rôle des individus, car le libre développement de chacun(e) est la condition du libre développement de tou(te)s.

Sans solidarité effective pas de vraie FRATERNITE possible !

Une véritable solidarité est incontournable dans un monde qui ne peut se réduire à une somme d’individus atomisés, alors que les êtres humains entretiennent d’étroites relations qui les lient les uns aux autres.

L’intérêt collectif doit l’emporter sur l’égoïsme, d’autant que nous sommes également confrontés au défi de maintenir une planète viable pour les générations futures.

Le "chacun pour soi" doit céder la place au "tous ensemble" !

Sans remise en cause radicale de ce monde intolérable parce que terriblement inégalitaire, pas de vraie EGALITE possible !

Le combat contre les inégalités est un combat contre les mécanismes et rapports sociaux qui sont responsables de ces inégalités.

Il ne s’agit pas de rechercher un peu plus de cette "équité" qui s’accommode facilement des inégalités et qui se contente de limiter celles-ci ou de les rendre "acceptables". Il s’agit de permettre à chaque être humain de développer ses possibilités et sa créativité, de réaliser ses désirs, de pouvoir s’épanouir, de vivre pleinement. Ce qui passe par l’accès à l’éducation, au savoir, à la nourriture ou au logement et, par conséquent, par une égalité  "multi-dimentionnelle", économique, sociale ou culturelle.

Concrétiser ces objectifs ambitieux, ici et maintenant : par où commencer ?

Il n’existe pas de "recette miraculeuse". Hélas !

Un constat d’abord : l’échec, au XXème siècle,  de toutes les tentatives de sortie du capitalisme, que ce soit par la "voie réformiste" ou par la "voie révolutionnaire".

Dans le premier cas, nous avons eu au mieux une gestion "sociale" du capitalisme ; dans le second cas, des caricatures totalitaires et mortifères du "socialisme/communisme".

Ce bilan négatif  -malgré quelques aspects "positifs" (comme les conquêtes sociales favorisées par les mobilisations révolutionnaires et la "peur du rouge", aux lendemains des guerres mondiales, notamment)-   est aujourd'hui un terrible handicap pour toutes celles et tous ceux qui continuent à s'activer pour transformer le monde !

3 éléments clé sont à souligner :

  1. L'absence de possibilité rapide de révolution communiste !

  1. L’impasse totale d’un réformisme sans réformes, qui a basculé sans complexes du côté de l’ordre capitaliste !

  1. Les difficultés de faire émerger une véritable alternative crédible,  attractive, et refondée (qui a tiré les leçons des défaites du passé et qui est capable de changer un "logiciel politique" hérité de la première moitié du siècle dernier !) !

Le temps des partis uniques, des avant-gardes éclairées qui détiennent seules toute la sagesse politique du monde et qui, fortes de celle-ci, assènent la vérité, est désormais révolu !

Non seulement, le combat pour l’émancipation est un combat de longue haleine, mais c’est un combat extrêmement difficile et parfaitement aléatoire. "L’histoire ne fait rien"  (Friedrich Engels). Et il n'existe pas de radieux scénario du futur planifié par on ne sait quels Dieu, César ou Tribun  !

Dans ces conditions, comment progresser ?

Quelques pistes.

Articuler la lutte dans les institutions et les mobilisations sociales, car sans mobilisations pas de rapports de forces corrects dans le combat institutionnel, mais sans débouché(s) politique(s), les luttes (grèves, manifestations, ...) ne sont que des barouds d’honneur à répétition !

Notre but reste de "transformer la société et changer la vie" (André Breton), autant que possible et le plus vite possible, pas dans un siècle !

Nous ne pouvons attendre un hypothétique "grand soir" en nous contentant de "témoigner", en diffusant une propagande millénariste, ou en prenant une posture révolutionnariste.

La gauche qui s'auto-proclame "de gauche", ses organisations et ses sympathisants, mais aussi les "non-encartés", ont donc une lourde responsabilité.  L’enjeu  -aujourd'hui-   n’est plus de savoir qui est le plus "rouge", qui est le plus "anticapitaliste", qui est le plus "combatif"... L'enjeu n'est plus de savoir s'il existe une "vraie" gauche et une "fausse" gauche (qui devrait dès lors être "dénoncée",  "démasquée" ou "démystifiée")...

Il s'agit maintenant d'abandonner les querelles stériles d'étiquettes et de chapelles pour dégager une voie pour une réponse stratégique et programmatique originale, adaptée à notre époque et capable d'enfin répondre aux multiples et complexes enjeux de notre temps !

Ce blog a pour   -modeste-  ambition d'apporter une toute petite contribution dans cette vaste perspective.

 

 

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25 août 2018

Marx et la religion : pas d'embrouillamini !

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C'est entendu, Marx était athée.

C'est entendu, sa conception de la religion -même dans ses années de formation- était bien plus dialectique que celle qui lui est imputée par des commentateurs pressés. La complexité du phénomène religieux ne peut être réduite à une formule lapidaire ramenant ladite religion à «un opium du peuple» et tel n'a d'ailleurs jamais été le propos simplificateur de Marx [1]

C'est entendu, Marx ne prônait pas l'abolition arbitraire de la religion car c'est la société qui la produit qu'il faut combattre.

 

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Mais la religion n'est pas réservée à des philosophes en mal de discussion spéculative. La religion ne se résume pas à une simple conception de la vie et de la mort, à laquelle on adhère ou que l'on conteste. La religion n'est pas seulement une croyance parmi d'autres, au même titre que les croyances en la réincarnation, au Père Noël, à l'existence du Monstre du Loch Ness ou à l'ancrage du PS à gauche.

En réalité, la «fantasmagorie religieuse» [2] est portée et propagée par des institutions (les Eglises, qui disposent de leur propre hiérarchie, leur personnel, leurs richesses, leurs relais au sein de la machinerie étatique, ...) et des millions d'adeptes. Elle est donc une force matérielle bien réelle ; et, face à cette puissance terrestre qui prétend représenter une puissance du ciel, se pose la question de l'attitude à adopter.

Marx n'a pas éludé cette problématique -politique!- car il était avant tout un militant communiste et révolutionnaire agissant, qui ne séparait pas la théorie de la pratique, et dont l'oeuvre était au service d'une classe (ouvrière) et d'un combat (pour l'émancipation humaine). [3]

marx thor.jpgEn fait, Marx  -qui ne fit preuve d'aucune indulgence envers «l'aliénation religieuse»- [4], n'a jamais remis en cause la liberté de conscience de chacun(e) et il défendait des principes relevant de ce que l'on nomme aujourd'hui la laïcité, c'est-à-dire un système d'organisation de la société reposant sur la séparation du temporel et du spirituel, de la puissance publique et des institutions religieuses.

Ainsi, en 1848, Marx, Engels et leurs amis revendiquaient la «séparation totale de l'Eglise et de l'Etat» et exigeaient que «le clergé de toutes les confessions» soit «uniquement rétribué par sa communauté volontaire» [5].

Ainsi, en 1871, Marx appuya les décisions de la Commune de Paris [6]. Dans sa fameuse «Adresse» écrite au nom du «Conseil Général de l'Association Internationale des Travailleurs», il notait -non sans une touche d'humour- ceci : « Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée » [7].

 

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Bref, même si l'interprétation des phénomènes religieux resta finalement une question «secondaire» dans son existence, ses combats et ses écrits, [8] Marx y fut néanmoins toujours attentif et le vieux barbu ne se fit pas prier pour tancer le Parti ouvrier allemand à ce sujet. Dans sa célèbre Critique du Programme de Gotha [9], il rappela ainsi clairement une position de principe : «chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins aussi bien religieux que corporels sans que la police y fourre son nez. Mais le Parti ouvrier devait à cette occasion exprimer sa conviction que la 'liberté de conscience' bourgeoise n'est rien d'autre que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, alors que lui s'efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. Mais on se garde bien de dépasser le niveau 'bourgeois' (c'est moi qui souligne). [10]

Le matérialiste athée et communiste Marx a parfois fait l'objet de tentatives de «récupération» d'exégètes se réclamant entre autre du christianisme. [11] Il leur appartient évidemment d'utiliser leur liberté intellectuelle comme ils l'entendent et de développer leurs «interprétations» de l'immense travail de l'auteur de Das Kapital. Ce qui démontre au passage toute la force attractive et toute la fécondité de son oeuvre.

 

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D'autres, dans le monde des croyants, n'ont pas hésité à s'engager sur la voie révolutionnaire en s'inspirant de Marx, et en refusant d'abandonner la religion à la réaction. Ce fut par exemple massivement le cas dans le dernier quart du siècle dernier, en Amérique latine [12].

L'occasion de rappeler ici que dans les luttes anticapitalistes personne n'est tenu à justifier ses convictions philosophiques et religieuses, et personne ne devra jamais y être contraint car le rassemblement est essentiel si l'on veut pouvoir gagner les indispensables combats émancipateurs. C'était la position de Marx (et d'Engels), et celle-ci était d'autant plus constante que leurs convictions matérialistes étaient fermes.

Entre Marx et la religion, ni confusion ni aucune obsession de sa part.

Juste une distance critique et une compréhension claire des phénomènes religieux, ancrées dans une réflexion théorique intense, une «pensée en révolution permanente» (Isabelle Garo) et un engagement militant de toute une vie pour bouleverser réellement le monde.

 

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[1] Citons le fameux extrait de texte de manière plus complète : «Le fondement de la critique irréligieuse est : c'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. (...) Mais l'homme, ce n'est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. La religion (...) est la réalisation fantasmagorique de l'essence humaine, parce que l'essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter contre le monde dont la religion est l'arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.» Karl Marx, Critique du droit politique hégélien, Editions Sociales, Paris, 1975, pages 197-198.

[2] Karl Marx, Critique du programme de Gotha, Les Editions Sociales (GEME), Paris, 2008, page 78.

[3] Soulignons, une fois encore sur ce blog, que Marx n'écrivait pas pour la postérité. Il n'a pas sacrifié sa santé et le bien-être de sa famille pour rédiger Le Capital avec comme finalité une publication future dans la Bibliothèque de la Pléiade ou pour que celui-ci soit lu (et discuté) dans les universités du XXème ou du XXIème siècles ! Marx était pleinement engagé dans son époque pour transformer le monde et souhaitait que le prolétariat s'approprie son opus magnum dans cette perspective...

[4] Une thématique chère à Ludwig Feuerbach qui inspira le jeune Karl avant sa mutation communiste, et sur laquelle il s'appuya pour ses premières analyses politiques et sociales...

[5] «Revendications du Parti Communiste en Allemagne» in Karl Marx, Oeuvres, Economie I, Bibliothèque de la Pléiade, Paris 1972, page 1462. Il s'agit d'un texte imprimé sous forme de tract en mars 1848, et signé de K.Marx, F. Engels, K. Schapper, H. Bauer, J.Moll et W.Wolff.

[6] Décret de 2 avril 1871 voté à l'unanimité du Conseil de la Commune : « La Commune de Paris, Considérant que le premier des principes de la République française est la liberté ; Considérant que la liberté de conscience est la première des libertés ; Considérant que le budget des cultes est contraire à ce principe, puisqu'il impose les citoyens contre leur propre foi ; Considérant en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté. Décrète : Article 1er : L'Eglise est séparée de l'Etat. Article 2 : Le budget des cultes est supprimé. Article 3 : Les biens dits de mainmorte, appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriétés nationales. Article 4 : Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens, pour en constater la nature et les mettre à la disposition de la nation

[7] Karl Marx, La guerre civile en France, Editions Sociales, Paris, 1972, page 42.

[8] Marx et Engels, fondateurs du matérialisme historique, expliquaient la conscience religieuse par les conditions matérielles de l'existence, et la religion -en tant que reflet de la structure économique de la société- n'était qu'une «idéologie» parmi d'autres idéologies, destinée à disparaître avec la société de classes. Voir à ce sujet : Nguyen Ngoc Vu, Idéologie et religion d'après Marx et Engels, Aubier Montaigne, Paris, 1975.

[9] il s'agit en fait de « commentaires en marge du programme du Parti ouvrier allemand » repris dans une lettre envoyée à Bracke le 5 mai 1875.

[10] Karl Marx, Critique du Programme de Gotha, op cit., page 78.

[11] Voir par exemple : Jean-Yves Calvez, La pensée de Karl Marx, Seuil, Paris, 1956 ; Henri Desroche, Marxisme et religions, PUF, Paris, 1962 ; Jean Guichard, Le marxisme, théorie de la pratique révolutionnaire, Chronique Sociale de France, Lyon, 1976 ; Denis Lecompte, Marx et le baron d'Holbach, PUF, Paris, 1983.

[12] Michael Löwy, Marxisme et théologie de la libération, Cahiers d'étude et de recherche, IIRF, n°10, 1988.

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01 juillet 2018

Marx dans le texte (12)

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Au cours des deux années révolutionnaires 1848-49, la Ligue s'est doublement affirmée ; une fois par le fait que ses membres ont en tous lieux énergiquement pris part au mouvement ; que dans la presse, sur les barricades et les champs de bataille ils ont été au premier rang du prolétariat, la seule classe vraiment révolutionnaire. La Ligue s'est encore affirmée en ce sens que sa conception du mouvement, telle qu'elle était exposée dans les circulaires des congrès et du Comité central de 1847, ainsi que dans le Manifeste communiste, est apparue comme la seule vraie ; que les espoirs formulés dans ces documents se sont entièrement vérifiés, et le point de vue sur la situation actuelle que la Ligue ne propageait auparavant qu'en secret, est maintenant dans la bouche de tous les hommes et est prêché sur la place publique. En même temps, l'ancienne et solide organisation de la Ligue s'est sensiblement affaiblie. Un grand nombre de membres, directement engagés dans le mouvement révolutionnaire, ont cru que le temps des sociétés secrètes était passé et que l'action publique pouvait seule suffire. Certains cercles et communes ont laissé leurs relations avec le Comité central se relâcher et s'assoupir peu à peu. Tandis que le parti démocratique, le parti de la petite bourgeoisie, s'organisait de plus en plus en Allemagne, le parti ouvrier perdait son seul appui solide ; c'est tout au plus s'il conservait, dans quelques localités, son organisation pour des buts locaux ; et c'est ainsi que, dans le mouvement général, il est tombé complètement sous la domination et la direction des démocrates petits-bourgeois. Il faut mettre fin à un tel état de choses ; l'indépendance des ouvriers doit être rétablie. Le Comité central a compris cette nécessité et c'est pourquoi, dès l'hiver 1848-49, il a envoyé en Allemagne un émissaire, Joseph Moll, afin d'y réorganiser la Ligue. La mission de Moll resta cependant sans effet durable, soit que les ouvriers allemands n'eussent pas encore acquis à l'époque assez d'expérience, soit que l'activité de Moll fût interrompue par l'insurrection de mai dernier, Moll prit lui-même le fusil, entra dans l'armée de Bade-Palatinat et tomba le 29 juillet au combat de la Murg. En lui, la Ligue perdait un de ses membres les plus anciens, les plus actifs et les plus sûrs, qui avait pris une part active à tous les congrès et Comités centraux et avait antérieurement déjà accompli avec grand succès une série de voyages-missions. Après la défaite des partis révolutionnaires d'Allemagne et de France en juillet 1849, presque tous les membres du Comité central se sont retrouvés à Londres, ont complété leurs rangs par de nouvelles forces révolutionnaires et poursuivi avec une nouvelle ardeur la réorganisation de la Ligue.

La réorganisation ne peut s'opérer que par un émissaire, et le Comité central estime éminemment important que l'émissaire parte précisément à cette heure où une nouvelle révolution est imminente, où le parti ouvrier doit se présenter avec le plus d'organisation, le plus d'unité et le plus d'indépendance possible, s'il ne veut pas à nouveau, comme en 1848, être pris à la remorque et exploité par la bourgeoisie.

Nous vous avons déjà dit, en 1848, que les bourgeois libéraux allemands allaient accéder au pouvoir et tourneraient aussitôt leur puissance nouvellement acquise contre les ouvriers. Vous avez vu comment la chose s'est faite. Ce furent, en effet, les bourgeois qui, après le mouvement de mars 1848, s'emparèrent immédiatement du pouvoir d'État et s'en servirent aussitôt pour refouler tout de suite les ouvriers, leurs alliés de la veille au combat, dans leur ancienne situation d'opprimés. Si la bourgeoisie n'a pu atteindre ce but sans faire alliance avec le parti féodal écarté en mars et sans même, en fin de compte, abandonner à nouveau le pouvoir à ce parti féodal absolutiste, elle s'est du moins assurée des conditions qui, par suite des embarras financiers du gouvernement, mettraient enfin tout le pouvoir entre ses mains et lui garantiraient tous ses intérêts, si le mouvement révolutionnaire se trouvait à même, dès à présent, de s'engager dans une évolution dite pacifique. La bourgeoisie n'aurait même pas besoin, pour asseoir sa domination, de se rendre odieuse par des mesures de violence dirigées contre le peuple, toutes ces mesures de violence ayant déjà été exécutées par la contre-révolution féodale. Mais l'évolution ne suivra pas cette voie pacifique. La révolution qui doit la précipiter est, au contraire, imminente, qu'elle soit provoquée par le soulèvement autonome du prolétariat français, ou par l'invasion de la Babel moderne révolutionnaire par la Sainte-Alliance.

Et le rôle que les bourgeois libéraux allemands ont, en 1848, joué vis-à-vis du peuple ce rôle si perfide, sera, dans la révolution prochaine, assumé par les petits bourgeois démocrates, qui occupent actuellement dans l'opposition la même place que les bourgeois libéraux avant 1848. Ce parti, le parti démocratique, bien plus dangereux pour les ouvriers que l'ancien parti libéral, se compose de trois éléments :

  1. Les fractions les plus avancées de la grande bourgeoisie qui se proposent comme but la subversion immédiate et totale du féodalisme et de l'absolutisme. Cette tendance a pour représentants les conciliateurs de Berlin qui préconisaient autrefois le refus de l'impôt.

  1. Les petits bourgeois démocrates-constitutionnels qui ont surtout poursuivi, pendant le dernier mouvement, l'établissement d'un Etat fédéral plus ou moins démocratique, tel que le voulaient leurs représentants, la gauche de l'Assemblée de Francfort et, plus tard, le Parlement de Stuttgart, et aussi eux-mêmes dans leur campagne en faveur d'une constitution d'empire.

  1. Les petits bourgeois républicains dont l'idéal est une république fédérative allemande dans le genre de la Suisse, et qui se donnent aujourd'hui le nom de rouges et de sociaux-démocrates, parce qu'ils se bercent de la douce illusion de supprimer l'oppression du petit capital par le gros capital, du petit bourgeois par le gros bourgeois. Les représentants de cette fraction furent membres des congrès et comités démocratiques, dirigeants des associations démocratiques, rédacteurs des journaux démocratiques.

 

Maintenant, après leur défaite, toutes ces fractions s'intitulent républicaines ou rouges, tout comme en France les petits bourgeois républicains se donnent aujourd'hui le nom de socialistes. Là où, comme au Wurtemberg, en Bavière, etc., la possibilité s'offre encore à eux de poursuivre leurs buts dans la voie constitutionnelle, ils profitent de l'occasion pour s'en tenir leur ancienne phraséologie et démontrer dans les faits qu'ils n'ont pas le moins du monde changé. Il va de soi d'ailleurs que le changement de nom de ce parti ne modifie nullement son attitude à l'égard des ouvriers, mais prouve simplement qu'il est actuellement obligé de faire front contre la bourgeoisie alliée à l'absolutisme et de prendre appui sur le prolétariat.

Le parti petit-bourgeois démocratique est très puissant en Allemagne, il n'embrasse pas seulement la grande majorité des habitants bourgeois des villes, les petits commerçants industriels et les maîtres-artisans ; il compte parmi ses adhérents les paysans et le prolétariat rural, tant que ce dernier n'a pas encore trouvé d'appui dans le prolétariat autonome des villes.

L'attitude du parti ouvrier révolutionnaire vis-à-vis de la démocratie petite-bourgeoise est la suivante : il marche avec elle contre la fraction dont il poursuit la chute ; il la combat sur tous les points dont elle veut se servir pour s'établir elle-même solidement.

Les petits bourgeois démocratiques, bien loin de vouloir bouleverser toute la société au profit des prolétaires révolutionnaires, tendent à modifier l'ordre social de façon à leur rendre la société existante aussi supportable et aussi commode que possible. Ils réclament donc avant tout que l'on réduise les dépenses publiques en limitant la bureaucratie et en reportant les principales impositions sur les grands propriétaires fonciers et les bourgeois. Ils réclament ensuite que la pression exercée par le grand capital sur le petit soit abolie par la création d'établissements de crédit publics et des lois contre l'usure, ce qui leur permettrait, à eux et aux paysans, d'obtenir, à des conditions favorables des avances de l'Etat, au lieu de les obtenir des capitalistes. Ils réclament enfin que, par la suppression complète du système féodal, le régime de propriété bourgeois soit partout introduit à la campagne. Pour réaliser tout cela, il leur faut un mode de gouvernement démocratique, soit constitutionnel ou républicain, qui leur assure la majorité, à eux-mêmes et à leurs alliés, les paysans, et une autonomie administrative, qui mettrait entre leurs mains le contrôle direct de la propriété communale et une série de fonctions actuellement exercées par les bureaucrates.

Quant à la domination et à l'accroissement rapide du capital, on aura soin de faire obstacle, soit en limitant le droit de succession, soit en remettant à l'Etat autant de travaux que possible. Pour ce qui est des ouvriers, il est avant tout bien établi qu'ils resteront, comme avant, des salariés ; mais ce que les petits bourgeois démocratiques souhaitent aux ouvriers, c'est un meilleur salaire et une existence plus assurée ; ils espèrent y arriver soit au moyen de l'occupation des ouvriers par l'Etat, soit par des actes de bienfaisance ; bref, ils espèrent corrompre les ouvriers par des aumônes plus ou moins déguisées et briser leur force révolutionnaire en leur rendant leur situation momentanément supportable. Les revendications résumées ici ne sont pas défendues en même temps par toutes les fractions de la démocratie petite-bourgeoise, et rares sont ceux pour qui elles apparaissent, dans leur ensemble, comme des buts bien définis.

Plus des individus ou des fractions vont loin, et plus ils feront leur une grande partie de ces revendications ; et les rares personnes qui voient, dans ce qui précède, leur propre programme, se figureraient avoir ainsi établi le maximum de ce qu'on peut réclamer de la révolution. Ces revendications toutefois ne sauraient en aucune manière suffire au parti du prolétariat. Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite et après avoir tout au plus réalisé les revendications ci-dessus, il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu'à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays régnants du monde l'association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s'agir pour nous de transformer la propriété privée, mais seulement de l'anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d'abolir les classes ; ni d'améliorer la société existante, mais d'en fonder une nouvelle. Que la démocratie petite-bourgeoise, au fur et à mesure du développement incessant de la révolution, exerce pour un temps une influence prépondérante en Allemagne, ceci ne laisse subsister aucun doute. Il s'agit donc de savoir quelle sera, à son égard, la position du prolétariat et spécialement de la Ligue :

1. pendant que durera la situation actuelle où les démocrates petits-bourgeois sont également opprimés ;
2. dans la prochaine lutte révolutionnaire qui leur donnera la prépondérance ;
3. après cette lutte, aussi longtemps que durera cette prépondérance des démocrates petits-bourgeois sur les classes déchues et sur le prolétariat.

 

  1. En ce moment où les petits bourgeois démocratiques sont partout opprimés, ils prêchent en général au prolétariat l'union et la réconciliation ; ils lui tendent la main et s'efforcent de mettre sur pied un grand parti d'opposition, qui embrasserait toutes les nuances du parti démocratique ; en d'autres termes, ils s'efforcent de prendre les ouvriers au piège d'une organisation de parti où prédomine la phraséologie social-démocrate générale, qui sert de paravent à leurs intérêts particuliers et où, pour ne pas troubler la bonne entente, les revendications particulières du prolétariat ne doivent pas être formulées. Une telle union tournerait au seul avantage des petits bourgeois démocratiques et absolument tout au désavantage du prolétariat. Le prolétariat perdrait toute sa position indépendante, conquise au prix de tant de peines, et retomberait au rang de simple appendice de la démocratie bourgeoise officielle. Cette union doit donc être repoussée de la façon la plus catégorique. Au lieu de se ravaler une fois encore à servir de claque aux démocrates bourgeois, les ouvriers, et surtout la Ligue, doivent travailler à constituer, à côté des démocrates officiels, une organisation distincte, secrète et publique du parti ouvrier, et faire de chaque communauté le centre et le noyau de groupements ouvriers où la position et les intérêts du prolétariat seraient discutés indépendamment des influences bourgeoises. Combien peu les démocrates bourgeois prennent au sérieux une alliance où les prolétaires auraient la même puissance et les mêmes droits qu'eux-mêmes, c'est ce que montrent par exemple les démocrates de Breslau qui, dans leur organe, la Neue Oder-Zeitung, attaquent furieusement les ouvriers qu'ils appellent socialistes, groupés en organisations distinctes. S'il s'agit de livrer combat à un adversaire commun, point n'est besoin d'union particulière. Dès qu'il faut combattre directement un tel adversaire, les intérêts des deux partis coïncident momentanément ; et dans l'avenir, comme jusqu'à ce jour, cette alliance prévue simplement pour l'heure s'établira d'elle-même. Il va de soi que, dans les conflits sanglants imminents, ce sont surtout les ouvriers qui devront remporter, comme autrefois, la victoire par leur courage, leur résolution et leur esprit de sacrifice. Comme par le passé, dans cette lutte, les petits bourgeois se montreront en masse, et aussi longtemps que possible, hésitants, indécis et inactifs. Mais, dès que la victoire sera remportée, ils l'accapareront, inviteront les ouvriers à garder le calme, à rentrer chez eux et à se remettre à leur travail ; ils éviteront les prétendus excès et frustreront le prolétariat des fruits de la victoire. Il n'est pas au pouvoir des ouvriers d'empêcher les démocrates petits-bourgeois d'agir ainsi ; mais il est en leur pouvoir de rendre difficile cette montée des démocrates en face du prolétariat en armes, et de leur dicter des conditions telles que la domination des démocrates bourgeois renferme, dès son origine, le germe de sa déchéance et que son éviction ultérieure par la domination du prolétariat s'en trouve singulièrement facilitée. Il importe surtout que les ouvriers, pendant le conflit et immédiatement après le combat, réagissent autant que faire se peut contre l'apaisement préconisé par les bourgeois et forcent les démocrates à mettre à exécution leurs présentes phrases terroristes. Leurs efforts doivent tendre à ce que l'effervescence révolutionnaire directe ne soit pas une nouvelle fois réprimée aussitôt après la victoire. Il faut, au contraire, qu'ils la maintiennent le plus longtemps possible. Bien loin de s'opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction. Pendant et après la lutte, les ouvriers doivent en toute occasion formuler leurs propres revendications à côté de celles des démocrates bourgeois. Ils doivent exiger des garanties pour les ouvriers, dès que les bourgeois démocratiques se disposent à prendre le gouvernement en main. Il faut au besoin qu'ils obtiennent ces garanties de haute lutte et s'arrangent en somme pour obliger les nouveaux gouvernants à toutes les concessions et promesses possibles ; c'est le plus sûr moyen de les compromettre. Il faut qu'ils s'efforcent, par tous les moyens et autant que faire se peut, de contenir la jubilation suscitée par le nouvel état de choses et l'état d'ivresse, conséquence de toute victoire remportée dans une bataille de rue, en jugeant avec calme et sang-froid la situation et en affectant à l'égard du nouveau gouvernement une méfiance non déguisée. Il faut qu'à côté des nouveaux gouvernements officiels ils établissent aussitôt leurs propres gouvernements ouvriers révolutionnaires, soit sous forme d'autonomies administratives locales ou de conseils municipaux, soit sous forme de clubs ou comités ouvriers, de façon que les gouvernements démocratiques bourgeois non seulement s'aliènent aussitôt l'appui des ouvriers, mais se voient, dès le début, surveillés et menacés par des autorités qui ont derrière elles toute la masse des ouvriers. En un mot, sitôt la victoire acquise, la méfiance du prolétariat ne doit plus se tourner contre le parti réactionnaire vaincu, mais contre ses anciens alliés, contre le parti qui veut exploiter seul la victoire commune.

  1. Mais, pour pouvoir affronter de façon énergique et menaçante ce parti dont la trahison envers les ouvriers commencera dès la première heure de la victoire, il faut que les ouvriers soient armés et bien organisés. Il importe de faire immédiatement le nécessaire pour que tout le prolétariat soit pourvu de fusils, de carabines, de canons et de munitions et il faut s'opposer au rétablissement de l'ancienne garde nationale dirigée contre les ouvriers. Là où ce rétablissement ne peut être empêché, les ouvriers doivent essayer de s'organiser eux-mêmes en garde prolétarienne, avec des chefs de leur choix, leur propre état-major et sous les ordres non pas des autorités publiques, mais des conseils municipaux révolutionnaires formés par les ouvriers. Là où les ouvriers sont occupés au compte de l'Etat, il faut qu'ils soient armés et organisés en un corps spécial avec des chefs élus ou en un détachement de la garde prolétarienne. Il ne faut, sous aucun prétexte, se dessaisir des armes et munitions, et toute tentative de désarmement doit être repoussée, au besoin, par la force. Annihiler l'influence des démocrates bourgeois sur les ouvriers, procéder immédiatement à l'organisation propre des ouvriers et à leur armement et opposer à la domination, pour le moment inéluctable, de la démocratie bourgeoise les conditions les plus dures et les plus compromettantes : tels sont les points principaux que le prolétariat et par suite la Ligue ne doivent pas perdre de vue pendant et après l'insurrection imminente.

  1. Dès que les nouveaux gouvernements se seront quelque peu consolidés, ils engageront immédiatement leur lutte contre les ouvriers. Pour pouvoir alors affronter avec force les petits bourgeois démocratiques, il faut avant tout que les ouvriers soient organisés et centralisés dans leurs propres clubs. Après la chute des gouvernements existants, le Comité central se rendra, dès que possible, en Allemagne, convoquera sans retard un congrès auquel il soumettra les propositions indispensables concernant la centralisation des clubs ouvriers sous une direction établie au siège du mouvement. La rapide organisation, au moins d'une fédération provinciale de clubs ouvriers, est un des points les plus importants pour renforcer et développer le parti ouvrier. La subversion des gouvernements existants aura pour conséquence immédiate l'élection d'une représentation nationale. Ici le prolétariat doit veiller:

  1. A ce qu'un nombre important d'ouvriers ne soient sous aucun prétexte écartés du vote par suite d'intrigues des autorités locales ou des commissaires du gouvernement.

  1. A ce que partout, à côté des candidats démocratiques bourgeois, soient proposés des candidats ouvriers, choisis autant que possible parmi les membres de la Ligue, et dont il faudra, pour assurer leur élection, utiliser tous les moyens possibles, Même là où il n'y a pas la moindre chance de succès, les ouvriers doivent présenter leurs propres candidats, afin de sauvegarder leur indépendance, de dénombrer leurs forces et de faire connaître publiquement leur position révolutionnaire et les points de vue de leur parti. Ils ne doivent pas en l'occurrence se laisser séduire par la phraséologie des démocrates prétendant, par exemple, que l'on risque de la sorte de diviser le parti démocratique et d'offrir à la réaction la possibilité de la victoire. Toutes ces phrases ne poursuivent finalement qu'un but : mystifier le prolétariat. Les progrès que le parti prolétarien doit réaliser par une telle attitude indépendante sont infiniment plus importants que le préjudice qu'apporterait la présence de quelques réactionnaires dans la représentation populaire. Si, dès le début, la démocratie prend une attitude décidée et terroriste à l'égard de la réaction, l'influence de celle-ci aux élections sera d'avance réduite à néant.

Le premier point sur lequel les démocrates bourgeois entreront en conflit avec les ouvriers portera sur l'abolition du régime féodal. Comme dans la première Révolution française, les petits bourgeois remettront aux paysans les terres féodales à titre de libre propriété ; en d'autres termes, ils voudront laisser subsister le prolétariat rural et former une classe paysanne petite-bourgeoise, qui devra parcourir le même cycle d'appauvrissement et d'endettement croissant, où le paysan français se trouve encore à l'heure actuelle.

Dans l'intérêt du prolétariat rural et dans leur propre intérêt, les ouvriers doivent contrecarrer ce plan. Ils doivent exiger que la propriété féodale confisquée reste propriété de l'Etat et soit transformée en colonies ouvrières que le prolétariat rural groupé en associations exploite avec tous les avantages de la grande culture. Par là, dans le cadre des rapports déséquilibrés de la propriété bourgeoise, le principe de la propriété commune va acquérir aussitôt une base solide. De même que les démocrates font alliance avec les cultivateurs, de même les ouvriers doivent faire alliance avec le prolétariat rural. Ensuite, les démocrates chercheront directement soit à instaurer la république fédérative, soit, s'ils ne peuvent éviter la république une et indivisible, à paralyser au moins le gouvernement central en donnant aux communes et aux provinces le maximum d'indépendance et d'autonomie. A l'opposé de ce plan, les ouvriers doivent non seulement poursuivre l'établissement de la république allemande une et indivisible, mais encore essayer de réaliser, dans cette république, la centralisation la plus absolue de la puissance entre les mains de l'Etat. Ils ne doivent pas se laisser induire en erreur par tout ce que les démocrates leur racontent de la liberté des communes, de l'autonomie administrative, etc. Dans un pays comme l'Allemagne, où il reste encore à faire disparaître de si nombreux vestiges du moyen âge et à briser tant de particularisme local et provincial, on ne saurait en aucune circonstance tolérer que chaque village, chaque ville, chaque province oppose un nouvel obstacle à l'activité révolutionnaire, dont toute la puissance ne peut émaner que du centre. On ne saurait tolérer que se renouvelle l'état de choses actuel qui fait que les Allemands sont obligés, pour un seul et même progrès, de livrer une bataille particulière dans chaque ville, dans chaque province. On ne saurait tolérer surtout qu'une forme de propriété, qui se situe encore derrière la propriété privée moderne avec laquelle, de toute nécessité, elle finit par se confondre, c'est-à-dire la propriété communale avec ses querelles inévitables entre communes riches et communes pauvres, ainsi que le droit du citoyen de l'Etat coexistant avec le droit du citoyen de la commune avec ses chicanes, se perpétue au préjudice des ouvriers, par une réglementation communale soi-disant libre. Comme en France en 1793, la réalisation de la centralisation la plus rigoureuse est aujourd'hui, en Allemagne, la tâche du parti vraiment révolutionnaire.

Nous avons vu comment les démocrates accéderont au pouvoir lors du prochain mouvement et comment ils seront contraints de proposer des mesures plus ou moins socialistes. La question est de savoir quelles mesures y seront opposées par les ouvriers. Il va de soi qu'au début du mouvement les ouvriers ne peuvent encore proposer des mesures directement communistes. Mais ils peuvent :

  1. Forcer les démocrates à intervenir, sur autant de points que possible, dans l'organisation sociale existante, à en troubler la marche régulière, à se compromettre eux-mêmes, à concentrer entre les mains de l'Etat le plus possible de forces productives, de moyens de transport, d'usines, de chemins de fer, etc.

  1. Ils doivent pousser à l'extrême les propositions des démocrates qui, en tout cas, ne se montreront pas révolutionnaires, mais simplement réformistes, et transformer ces propositions en attaques directes contre la propriété privée. Si, par exemple, les petits bourgeois proposent de racheter les chemins de fer et les usines, les ouvriers doivent exiger que ces chemins de fer et ces usines soient simplement et sans indemnité confisqués par l'Etat en tant que propriété de réactionnaires. Si les démocrates proposent l'impôt proportionnel, les ouvriers réclament l'impôt progressif. Si les démocrates proposent eux-mêmes un impôt progressif modéré, les ouvriers exigent un impôt dont les échelons montent assez vite pour que le gros capital s'en trouve compromis. Si les démocrates réclament la régularisation de la dette publique, les ouvriers réclament la faillite de l'Etat. Les revendications des ouvriers devront donc se régler partout sur les concessions et les mesures des démocrates.

Si les ouvriers allemands ne peuvent s'emparer du pouvoir et faire triompher leurs intérêts de classe sans accomplir en entier une évolution révolutionnaire assez longue, ils ont cette fois du moins la certitude que le premier acte de ce drame révolutionnaire imminent coïncide avec la victoire directe de leur propre classe en France et s'en trouve accéléré.

Mais ils contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu'ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner -par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques- de l'organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être :

La révolution en permanence !

 

[Karl Marx et Friedrich Engels, Adresse du Comité Central à la Ligue des Communistes, mars 1850]

 

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25 juin 2018

Marx dans le texte (11)

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(...). En France la danse va recommencer au printemps. L'infâme république bourgeoise a continué sur sa lancée et tous ses péchés n'ont fait que croître et embellir.

 

[Lettre de Marx à Eduard Müller-Tellering, 15 janvier 1849]

 

 

(...). Ici règne une réaction royaliste, plus impudente que sous Guizot, qui ne saurait être comparée qu'à celle d'après 1815. Paris est morne. En plus le choléra, qui fait des ravages extraordinaires. Cependant jamais le volcan de la révolution n'a été si près d'une éruption colossale que maintenant à Paris. Des détails à ce sujet plus tard. Je suis en contact avec le parti révolutionnaire tout entier et dans quelques jours j'aurai tous les journaux révolutionnaires à ma disposition.

 

[Lettre de Marx à Engels, 7 juin 1849]

 

 

(...). Je te le dis, si je ne reçois pas d'aide d'un côté ou de l'autre, je suis perdu, vu que ma famille est également ici et que le dernier bijou de ma femme a déjà pris le chemin du mont-de-piété.

 

[Lettre de Marx à Joseph Weydemeyer, 13 juillet 1849]

 

 

(...). Les libre-échangistes anglais sont des bourgeois radicaux qui veulent rompre radicalement avec l'aristocratie, pour pouvoir régner sans partage. Ce qu'ils oublient de voir, c'est que, ce faisant, ils font entrer en scène, malgré eux, le peuple et le portent au pouvoir. Pas d'exploitation des peuples par la guerre moyenâgeuse, mais uniquement par la guerre commerciale, voilà le parti de la paix. L'attitude de Cobden dans l'affaire hongroise avait un point de départ directement pratique. La Russie cherche actuellement à contracter un emprunt. Cobden, représentant de la bourgeoisie industrielle, interdit cette affaire à la bourgeoisie d'argent, et en Angleterre, c'est l'industrie qui règne sur la banque, tandis qu'en France la banque règne sur l'industrie.

(...)

Le colosse absolutiste ne peut par conséquent rien faire, proclame l'orgueilleux bourgeois anglais, sans notre fric, et nous ne lui en prêtons pas. Nous menons, par des moyens entièrement bourgeois, encore une fois la guerre de la bourgeoisie contre l'absolutisme féodal. Le veau d'or est plus puissant que tous les autres veaux qui siègent sur les trônes du monde.

 

[Lettre de Marx à Ferdinand Freiligrath, 31 juillet 1849]

 

 

(... ). Je suis assigné à résidence dans le département du Morbihan : les Marais Pontins de Bretagne. Tu comprendras que je n'accepte pas cette tentative camouflée d'assassinat. Je quitte donc la France.

On ne me donne pas de passeport pour la Suisse, il me faut donc aller à Londres ; je pars demain. Du reste, la Suisse sera bientôt hermétiquement fermée et les souris seraient prises au piège d'un seul coup.

En outre, j'ai des perspectives positives de fonder à Londres un journal allemand. Une partie de l'argent m'est assurée.

Il faut donc que tu viennes immédiatement à Londres. De plus, il y va de ta sécurité.

(...)

Je compte positivement sur ta venue : tu ne peux pas rester en Suisse. A Londres, nous ferons des affaires.

 

[Lettre de Marx à Engels, 23 août 1849]

 

 

(...). Un autre événement qui n'est pas encore visible sur le continent est l'approche d'une énorme crise industrielle et commerciale. Si le continent reporte sa révolution après le déclenchement de cette crise, l'Angleterre devra peut-être, même si cela ne lui plaît pas, être d'emblée l'alliée du continent révolutionnaire. Si la révolution éclatait plus tôt -à moins que ce ne soit motivé par une intervention russe- ce serait, à mon avis, un malheur ; en effet, maintenant que le commerce va toujours ascendant, les masses ouvrières et tout le petit commerce, etc. en France, Allemagne, etc. sont peut-être révolutionnaires en paroles, mais sûrement pas en réalité.

 

[Lettre de Marx à Joseph Weydemeyer, 19 décembre 1849]

 

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04 mars 2018

Marx dans le texte (5)

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Venons-en maintenant aux oracles du « Prussien » [Arnold Ruge] à propos des ouvriers allemands.

« Les Allemands pauvres » raille-t-il « ne sont pas plus astucieux que les pauvres allemands ; c’est-à-dire : ils ne voient nulle part au delà de leur foyer, de leur fabrique, de leur district ; toute la question a été jusqu’à maintenant délaissée par l’âme politique qui pénètre tout. »

Pour pouvoir établir une comparaison entre la situation des ouvriers allemands et la situation des ouvriers français et anglais, le « Prussien » aurait dû comparer la première forme, le début du mouvement ouvrier en France et en Angleterre, avec le mouvement débutant actuellement en Allemagne. Il néglige cela. Son raisonnement aboutit donc à une trivialité dans le genre de celle-ci, l’industrie allemande est encore moins développée que l’industrie anglaise, ou un mouvement à ses débuts ne ressemble pas à un mouvement en cours de développement. Il voulait parler de la particularité du mouvement ouvrier allemand. Il ne souffle pas mot de tout cela.

Que le « Prussien » se place au point de vue exact. Il trouvera que pas un seul des soulèvements ouvriers en France ou en Angleterre n’a présenté de caractère aussi théorique, aussi conscient, que la révolte des tisserands silésiens.

Qu’on se rappelle d’abord la chanson des tisserands, ce hardi mot d’ordre de guerre, où il n’est même pas fait mention du foyer, de la fabrique, du district, mais où le prolétariat clame immédiatement, de façon brutale, frappante, violente et tranchante, son opposition à la société de la propriété privée. Le soulèvement silésien commence précisément par là où finissent les insurrections ouvrières anglaises et françaises, avec la conscience de ce qu’est l’essence du prolétariat. L’action même a ce caractère de supériorité. On ne détruisit pas seulement les machines, ces rivales de l’ouvrier, mais encore les livres de commerce, les titres de propriété ; et tandis que les autres mouvements ne sont d’abord dirigés que contre le patron industriel, l’ennemi visible, ce mouvement se tourne également contre le banquier, l’ennemi caché. Enfin, pas un soulèvement ouvrier anglais n’a été conduit avec autant de vaillance, de supériorité et d’endurance.

En ce qui concerne la culture des ouvriers allemands en général, ou leur aptitude à se cultiver, je rappellerai les écrits géniaux de Weitling qui, au point de vue théorique, dépassent même, souvent, les ouvrages de Proudhon, tout en y étant bien inférieurs quant à l’exécution. Où donc la bourgeoisie — y compris ses philosophes et ses savants — peut-elle nous présenter — au sujet de l’émancipation bourgeoise, de l’émancipation politique — un ouvrage comparable à celui de Weitling (...) ?

Que l’on compare la médiocrité mesquine et prosaïque de la littérature politique allemande avec ce début littéraire énorme et brillant des ouvriers allemands. Que l’on compare cette gigantesque chaussure d’enfant du prolétariat avec la chaussure politique éculée et naniforme de la bourgeoisie allemande, et l’on devra prédire une forme athlétique à la cendrillon allemande. On doit admettre que le prolétariat anglais en est l’économiste et le prolétariat français le politicien. On doit admettre que l’Allemagne possède autant une vocation classique pour la révolution sociale qu’une incapacité pour une révolution politique. Car de même que l’impuissance de la bourgeoisie allemande est l’impuissance politique de l’Allemagne, les aptitudes du prolétariat allemand — sans parler même de la théorie allemande — sont les aptitudes sociales de l’Allemagne. La disproportion entre le développement politique et le développement philosophique de l’Allemagne n’a rien d’anormal ; c’est une disproportion nécessaire. Ce n’est que dans le socialisme qu’un peuple philosophique peut trouver sa pratique adéquate ; ce n’est donc que dans le prolétariat qu’il peut trouver l’élément actif de sa libération.

Mais, en ce moment, je n’ai pas le temps, ni l’envie d’expliquer au « Prussien » le rapport de la « société allemande » au bouleversement social et de dégager de ce rapport, d’une part la faible réaction de la bourgeoisie allemande contre le socialisme, et d’autre part les aptitudes excellentes du prolétariat allemand pour le socialisme. Les premiers éléments pour l’intelligence de ce phénomène, il les trouvera dans mon Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel (Annales franco-allemandes).

L’intelligence des Allemands pauvres est donc en raison inverse de l’intelligence des pauvres allemands. Mais les publics, aboutissent, par cette activité formelle à un contenu renversé, tandis que, de son côté, le contenu renversé impose, de nouveau, à la forme le cachet de la trivialité. Aussi la tentative du « Prussien » — dans une occasion comme celle des événements de la Silésie- de procéder sous forme d’antithèses — l’a conduit à la plus grande antithèse avec la vérité. L’unique tâche d’un homme qui pense et aime la vérité consistait — en face de la première explosion du soulèvement ouvrier de Silésie — non à jouer au maître d’école mais plutôt à étudier le caractère qui lui est propre. Pour cela il faut avant tout une certaine perspicacité scientifique et un certain amour des hommes, tandis que pour l’autre opération une phraséologie tout prête, immergée dans un creux égoïsme, suffit amplement.

Pourquoi le « Prussien » juge-t-il avec tant de mépris les ouvriers allemands ? Parce qu’à son avis « toute la question » — c’est-à-dire la question de la misère des ouvriers allemands — est « jusqu’à maintenant » délaissée « par l’âme politique qui pénètre tout ».

(...)

Que notre « Prussien » nous permette d’abord une remarque sur son style. Son antithèse est incomplète. Dans la première moitié il est dit : la misère engendre l’intelligence, et dans la seconde : l’intelligence politique découvre les racines de la misère sociale. La simple intelligence de la première moitié de l’antithèse devient, dans la seconde moitié, l’intelligence politique, comme la simple misère de la première moitié de l’antithèse devient, dans la seconde moitié, la misère sociale. Pourquoi notre orfèvre en style a-t-il ordonné si inégalement les deux moitiés de l’antithèse ? Je ne crois pas qu’il s’en soit rendu compte. Je vais interpréter son instinct véritable. Si le « Prussien » avait écrit : « la misère sociale engendre l’intelligence politique, et l’intelligence politique découvre la racine de la misère sociale », le non-sens de cette antithèse n’aurait pu échapper à aucun lecteur impartial. Chacun se serait demandé d’abord pourquoi l’anonyme ne joint pas l’intelligence sociale à la misère sociale et l’intelligence politique à la misère politique, comme le réclame la plus simple logique. Au fait, maintenant !

Il est tellement faux que la misère sociale engendre l’intelligence politique, que c’est tout au contraire le bien-être social qui produit l’intelligence politique. L’intelligence politique est une spiritualiste ; elle est donnée à celui qui possède déjà, à celui qui est douillettement installé.

(...)

Nous avons déjà démontré au « Prussien » à quel point l’intelligence politique est incapable de découvrir la source de la misère sociale. Ajoutons encore un mot, au sujet de sa manière de voir. Le prolétariat, du moins au début du mouvement, gaspille d’autant plus ses forces dans des émeutes inintelligentes, inutiles et étouffées dans le sang, que l’intelligence politique du peuple est plus développée, plus générale. Parce qu’il pense dans la forme politique, il aperçoit la raison de tous les abus dans la volonté, tous les moyens d’y remédier dans la violence et le renversement d’une forme d’Etat déterminée. Exemple : les premières explosions du prolétariat français. Les ouvriers de Lyon croyaient ne poursuivre que des buts politiques, n’être que des soldats de la république, alors qu’ils étaient en réalité des soldats du socialisme. C’est ainsi que leur intelligence politique masquait la racine de la misère sociale, faussait chez eux la compréhension de leur véritable but ; c’est ainsi que leur intelligence politique trompait leur instinct social.

Mais si le « Prussien » s’attend à ce que la misère engendre l’intelligence, pourquoi associe-t-il : «étouffement dans le sang» et « étouffements dans l’incompréhension » ? Si la misère en général est un moyen, la misère sanglante est un moyen très aigu d’engendrer l’intelligence. Le « Prussien » devait donc dire : l’étouffement dans le sang étouffera l’inintelligence et procurera à l’intelligence un souffle nécessaire.

Le « Prussien » prophétise l’étouffement des émeutes qui éclatent dans l’ « isolement funeste des hommes de l’être collectif et dans la séparation de leurs idées vis-à-vis des principes sociaux ».

Nous avons montré que, dans l’explosion de l’émeute silésienne, il n’y avait nullement séparation des idées et des principes sociaux. Nous n’avons donc plus à nous occuper que de l’ « isolement funeste des hommes de l’être collectif ». Par être collectif, il faut entendre ici l’être collectif politique, l’être de l’Etat (Staatswesen). C’est le vieux refrain de l’Allemagne non politique.

Mais toutes les émeutes, sans exception, n’éclatent-elles pas dans l’isolement funeste des hommes de l’être collectif ? Toute émeute ne présuppose-t-elle pas nécessairement cet isolement ? La Révolution de 1789 aurait-elle pu avoir lieu sans cet isolement funeste des bourgeois français de l’être collectif ? Elle était précisément destinée à supprimer cet isolement.

Mais l’être collectif dont le travailleur est isolé est un être collectif d’une tout autre réalité, d’une tout autre ampleur que l’être politique. L’être collectif dont le sépare son propre travail, est la vie même, la vie physique et intellectuelle, les mœurs humaines, l’activité humaine, la jouissance humaine, l’être humain. L’être humain est le véritable être collectif des hommes. De même que l’isolement funeste de cet être est incomparablement plus universel, plus insupportable, plus terrible, plus rempli de contradictions que le fait d’être isolé de l’être collectif politique ; de même la suppression de cet isolement — et même une réaction partielle, un soulèvement contre cet isolement — a une ampleur beaucoup plus infinie, comme l’homme est plus infini que le citoyen et la vie humaine que la vie politique. L’émeute industrielle si partielle soit-elle, renferme en elle une âme universelle. L’émeute politique si universelle soit-elle, dissimule sous sa forme colossale un esprit étroit.

Le « Prussien » termine dignement son article par cette phrase : «Une révolution sociale sans âme politique (c’est-à-dire sans compréhension organisatrice opérant au point de vue de la totalité) est impossible.»

Nous l’avons vu : quand bien même elle ne se produirait que dans un seul district industriel, une révolution sociale se place au point de vue de la totalité, parce qu’elle est une protestation de l’homme contre la vie déshumanisée, parce qu’elle part du point de vue de chaque individu réel, parce que l’être collectif dont l’individu s’efforce de ne plus être isolé est le véritable être collectif de l’homme, l’être humain. Au contraire, l’âme politique d’une révolution consiste dans la tendance des classes sans influence politique de supprimer leur isolement vis-à-vis de l’être de l’Etat et du pouvoir. Leur point de vue est celui de l’Etat, d’une totalité abstraite qui n’existe que par la séparation de la vie réelle, qui serait impensable sans la contradiction organisée entre l’idée générale et l’existence individuelle de l’homme. Conformément à sa nature limitée et ambiguë, une révolution à âme politique organise donc une sphère dominante dans la société, aux dépens de la société.

Nous allons dire au « Prussien » ce qu’est une «révolution sociale à âme politique» ; nous lui révélerons le secret de son incapacité à s’élever avec ses beaux discours, au-dessus du point de vue politique borné.

Une révolution « sociale » à âme politique est : ou bien un non-sens complexe, si le «Prussien» comprend par révolution sociale une révolution «sociale» opposée à une révolution politique, et prête néanmoins à la révolution sociale une âme politique au lieu d’une âme sociale ; ou bien une simple paraphrase de ce qu’on appelait d’ordinaire une « révolution politique » ou une « révolution tout court ». Toute révolution dissout l’ancienne société : en ce sens, elle est sociale. Toute révolution renverse l’ancien pouvoir : en ce sens, elle est politique.

Que notre « Prussien » choisisse entre la paraphrase et le non-sens ! Mais, autant une révolution sociale à âme politique est paraphrastique ou absurde, autant une révolution politique à âme sociale est quelque chose de rationnel. La révolution en général, — le renversement du pouvoir existant et la dissolution des anciens rapports- est un acte politique. Mais, sans révolution, le socialisme ne peut se réaliser. Il a besoin de cet acte politique, dans la mesure où il a besoin de destruction et de dissolution. Mais là où commence son activité organisatrice, et où émergent son but propre, son âme, le socialisme rejette son enveloppe politique.

Il nous a fallu tout ce long développement pour déchirer le tissu d’erreurs dissimulées dans une seule colonne de journal. Les lecteurs ne peuvent tous avoir la culture et le temps pour se rendre compte d’une telle charlatanerie littéraire. Le « Prussien » anonyme n’a-t-il donc pas l’obligation, vis-à-vis de son public de lecteurs, de commencer par renoncer à toute élucubration littéraire dans le domaine politique et social, comme aux déclamations sur la situation allemande, et de se mettre plutôt à l’étude consciencieuse de son propre état ?



[Gloses critiques marginales à l’article : « Le roi de Prusse et la réforme sociale par un Prussien», Vorwärts ! N° 64, 10 août 1844]



(...) Vous avez -j'ignore si c'est délibérément- donné dans ces écrits un fondement philosophique au socialisme, et c'est dans cet esprit que les communistes ont tout de suite compris ces travaux. L'unité entre les hommes et l'humanité, qui repose sur les différences réelles entre les hommes, le concept de genre humain ramené du ciel de l'abstraction à la réalité terrestre, qu'est-ce sinon le concept de société.

(...)

C'est un phénomène remarquable de voir que, à l'inverse du 18ème siècle, la religiosité est devenue le fait des classes moyennes et de la classe supérieure, alors que par contre l'irreligion -j'entends par là celle de l'homme, qui se sent homme véritablement- est devenue l'apanage du prolétariat français. Il faudrait que vous ayez assisté à une des réunions d'ouvriers français pour pouvoir croire à la fraîcheur juvénile, à la noblesse qui se manifestent chez ces ouvriers éreintés. Le prolétaire anglais fait aussi des progrès gigantesques, mais il lui manque le caractère cultivé des Français. Mais je ne dois pas oublier de souligner les mérites des ouvriers allemands en Suisse, à Londres, à Paris sur le plan théorique. Seulement l'ouvrier allemand reste encore trop ouvrier.



[Lettre de Karl Marx à Ludwig Feuerbach, 11 août 1844]

 

 

En quoi consiste l’aliénation du travail ?

D’abord, dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s’affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l’aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l’ouvrier n’a le sentiment d’être auprès de lui-même qu’en dehors du travail et, dans le travail, il se sent en dehors de soi. Il est comme chez lui, quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas chez lui. Son travail n’est donc pas volontaire, mais contraint, c’est du travail forcé. Il n’est donc pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur, le travail dans lequel l’homme s’aliène, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin, le caractère extérieur à l’ouvrier du travail apparaît dans le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas, que dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas lui-même, mais appartient à un autre. De même que, dans la religion, l’activité propre de l’imagination humaine, du cerveau humain et du cœur humain, agit sur l’individu indépendamment de lui, c’est-à-dire comme une activité étrangère divine ou diabolique, de même l’activité de l’ouvrier n’est pas son activité propre. Elle appartient à un autre, elle est la perte de soi-même.

On en vient donc à ce résultat que l’homme (l’ouvrier) ne se sent plus librement actif que dans ses fonctions animales, manger, boire et procréer, tout au plus encore dans l’habitation, qu’animal. Le bestial devient l’humain et l’humain devient le bestial.

 

[Manuscrits de 1844]



















 



























































 

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18 février 2018

Vitalité de Marx

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Marx, le coup de jeune

 

 

Humanité - Marx.pngCe numéro «hors-série» de l'Humanité reprend une trentaine de contributions qui alimenteront à coup sûr les débats autour du révolutionnaire allemand, né il y a près de 200 ans.

Des textes relativement brefs qui laissent parfois le lecteur sur sa faim mais qui constituent autant d'invitations à aller plus loin, en premier lieu à lire et à relire Marx lui-même.

Au fil des pages, on retrouve ainsi les belles plumes d'Etienne Balibar, Jacques Bidet, Jean-Numa Ducange, Isabelle Garo, Raymond Huard, Michael Löwy, Yvon Quiniou et quelques autres excellents connaisseurs de l'oeuvre de l'auteur du Capital.

Inutile d'entrer ici dans le détail de tous ces apports. Je me contenterai d'épingler l'entretien accordé par le doyen Lucien Sève qui, à 92 ans, n'a rien perdu de sa verve ni de sa pertinence [1].

Pour lui, «le coup de jeune» du célèbre barbu, suite notamment au beau film de Raoul Peck [2], illustre surtout un regain d'intérêt pour le «Marx révolutionnaire du Manifeste du Parti Communiste».

Il ne faut toutefois pas se raconter d'histoires : «Marx ne pensera jamais à notre place ». Par conséquent, «à nous de penser notre présent avec lui», car «sa pensée est encore opératoire à un point rare».

Certaines controverses sont rapidement abordées telle la problématique de l'aliénation [3] ou la question de la place de l'individu dans le projet communiste. Il développe également sa position au sujet du recours fréquent (et abusif ?) aux concepts de «marxisme»  et de «marxistes» :

«Le scandaleux interdit culturel qui a pesé durant trente ans sur le marxisme aura eu contre son gré un effet positif -c'est la dialectique... Il a fait place presque nette de tant de faux Marx qui ont plus ou moins altéré notre réflexion théorique et politique jusqu'en ce début de XXIème siècle. Sur les nouvelles générations ne pèse plus cette doctrine de parti ni plus guère ce discours d'allure savante à travers lesquelles étaient fléchés de très contestables chemins vers Marx. Je souhaite, quant à moi, que, tout en prenant bonne connaissance de ce que furent les divers marxismes d'hier -on ne dépasse que ce qu'on connaît-, elles se gardent de vouloir édifier un nouveau « marxisme » d'aujourd'hui, le -isme ouvrant à mon sens la voie à de redoutables altérations de la pensée-Marx. Je ne prétends imposer à personne cette façon de voir, je connais de très bons auteurs des deux sexes qui persistent à se dire marxistes. Mais, quant à moi, je plaide cette cause avec vigueur : tout «marxisme» tend à imposer universellement une façon particulière de comprendre Marx, ce qui est toujours dommageable, et qui a été catastrophique dans le monde dit socialiste du siècle dernier. Donc, oui, vive la liberté dans la lecture et l'usage de la pensée marxienne ! Mais attention, c'est une liberté qui coûte très cher en temps de travail, en sérieux dans l'appropriation, en responsabilité dans la mise en oeuvre. Tout rabais est ruineux ».

Je partage largement ce point de vue mais il en existe d'autres, à découvrir entre autre dans cette publication.

L'Humanité Hors-Série, Marx le coup de jeune, 10 € (11 en Belgique !). Avec « en cadeau le livre politique le plus diffusé au monde », à savoir Le Manifeste du Parti Communiste (classé, en 2014, au patrimoine de l'humanité par l'UNESCO).

 

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Images du film réalisé par Raoul Peck

 

 

 

[1] Le tome IV de sa tétralogie « Penser avec Marx aujourd'hui » devrait paraître dans le courant de cette année aux éditions La Dispute.

[2] Le Jeune Karl Marx, sorti en 2017, avec August Diehl, Stefan Konarske et Olivier Gourmet. Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=93ptytoEG5M

[3] « Je conteste depuis cinquante ans que le concept d'aliénation, central chez le jeune Marx en 1844, ait disparu dans Le Capital, comme le soutenait Althusser, alors qu'il y prend au contraire un sens bien plus mûr ». La correspondance entre Louis Althusser et Lucien Sève, dont la publication (partielle) est annoncée par les Editions Sociales, vaudra sans doute le détour...

 

 

 

 

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05 février 2018

Le Manifeste du Parti Communiste a 170 ans (III)

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A propos du Manifeste

 

 

Bien que les circonstances aient beaucoup changé au cours des vingt-cinq dernières années, les principes généraux exposés dans ce Manifeste conservent dans leurs grandes lignes, aujourd'hui encore, toute leur exactitude. Il faudrait revoir, çà et là, quelques détails. Le Manifeste explique lui-même que l'application des principes dépendra partout et toujours des circonstances historiques données, et que, par suite, il ne faut pas attribuer trop d'importance aux mesures révolutionnaires énumérées à la fin du chapitre II. Ce passage serait, à bien des égards, rédigé tout autrement aujourd'hui. Etant donné les progrès immenses de la grande industrie dans les vingt-cinq dernières années et les progrès parallèles qu'a accomplis, dans son organisation en parti, la classe ouvrière, étant donné les expériences, d'abord de la révolution de février, ensuite et surtout de la Commune de Paris qui, pendant deux mois, mit pour la première fois aux mains du prolétariat le pouvoir politique, ce programme est aujourd'hui vieilli sur certains points. La Commune, notamment, a démontré que "la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'Etat et la faire fonctionner pour son propre compte" (voir La guerre civile en France, Adresse de l'AIT, où cette idée est plus longuement développée). En outre, il est évident que la critique de la littérature socialiste présente une lacune pour la période actuelle, puisqu'elle s'arrête à 1847. Et, de même, si les remarques sur la position des communistes à l'égard des différents partis d'opposition (chapitre IV) sont exactes aujourd'hui encore dans leurs principes, elles sont vieillies dans leur application parce que la situation politique s'est modifiée du tout au tout et que l'évolution historique a fait disparaître la plupart des partis qui y sont énumérés.

Cependant, le Manifeste est un document historique que nous ne nous attribuons plus le droit de modifier. Une édition ultérieure sera peut-être précédée d'une introduction qui comblera la lacune entre 1847 et nos jours; la réimpression actuelle nous a pris trop à l'improviste pour nous donner le temps de l'écrire.



Karl Marx et Friedrich Engels, 1872



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Bien que le Manifeste soit notre œuvre commune, j'estime néanmoins de mon devoir de constater que la thèse principale, qui en constitue le noyau, appartient à Marx. Cette thèse est qu'à chaque époque historique, le mode prédominant de la production économique et de l'échange, et la structure sociale qu'il conditionne, forment la base sur laquelle repose l'histoire politique de ladite époque et l'histoire de son développement intellectuel, base à partir de laquelle seulement elle peut être expliquée; que de ce fait toute l'histoire de l'humanité (depuis la décomposition de la communauté primitive avec sa possession commune du sol) a été une histoire de luttes de classes, de luttes entre classes exploiteuses et exploitées et opprimées; que l'histoire de cette lutte de classes atteint à l'heure actuelle, dans son développement, une étape où la classe exploitée et opprimée - le prolétariat - ne peut plus s'affranchir du joug de la classe qui l'exploite et l'opprime - la bourgeoisie - sans affranchir du même coup, une fois pour toutes, la société entière de toute exploitation, oppression, division en classes et lutte de classes.



Friedrich Engels, 1888

 

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Il nous donne dans sa simplicité classique l'expression réelle de cette situation : le prolétariat moderne est, se pose, croît et se développe dans l'histoire contemporaine comme le sujet concret, comme la force positive, et le communisme devra nécessairement être l'aboutissement de son action inévitablement révolutionnaire. Et c'est pour cela que cette oeuvre, en donnant à sa prédiction une base théorique, et en l'exprimant en formules brèves, rapides, concises et mémorables, forme un recueil, bien plus, une mine inépuisable de graines de pensée, que le lecteur peut féconder et multiplier indéfiniment.



Antonio Labriola, 1895



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Cette plaquette vaut des tomes : son esprit fait vivre et se mouvoir, jusqu'à nos jours, l'ensemble du prolétariat organisé et combattant du monde civilisé.

 

Lénine, 1896

 

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Cet ouvrage expose avec une clarté et une rigueur remarquables la nouvelle conception du monde, le matérialisme conséquent étendu à la vie sociale, la dialectique, science la plus vaste et le plus profonde de l'évolution, la théorie de la lutte des classes et du rôle révolutionnaire dévolu dans l'histoire mondiale au prolétariat, créateur d'une société nouvelle, la société communiste.

 

Lénine, 1913

 

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A l'heure présente le socialisme est l'ultime planche de salut de l'humanité. Au dessus des remparts croulants de la société capitaliste on voit briller en lettres de feu le dilemme prophétique du Manifeste du Parti Communiste : socialisme ou retombée dans la barbarie !

 

Rosa Luxemburg, 1918

 

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Le Manifeste n'était pas une révélation, il ne faisait que refléter sous la forme la plus limpide et la plus ramassée les conceptions du monde acquises par ses auteurs. Pour autant qu'on puisse en juger par le style, c'est Marx qui a pris la plus grande part à la rédaction définitive, bien qu'Engels, comme le montre son premier projet, n'ait rien à envier à Marx quant à la compréhension des problèmes, et doive être légitimement considéré comme coauteur à part entière du Manifeste.

 

Franz Mehring, 1918

 

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Ce document renferme tous les résultats du travail scientifique que Marx et Engels, en particulier le premier, avaient accompli de 1845 à 1847.

 

David Riazanov, 1922

 

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Quel autre livre pourrait se mesurer même de loin avec le Manifeste communiste ? Cependant, cela ne signifie nullement qu'après 90 années de développement sans exemple des forces productives et de grandioses luttes sociales, le Manifeste n'ait pas besoin de rectifications et de compléments. La pensée révolutionnaire n'a rien de commun avec l'idolâtrie. Les programmes et les pronostics se vérifient et se corrigent à la lumière de l'expérience, qui est pour la pensée humaine l'instance suprême. Des corrections et des compléments, ainsi qu'en témoigne l'expérience historique même, ne peuvent être appliqués avec succès qu'en partant de la méthode qui se trouve à la base du Manifeste.

 

Léon Trotsky, 1937

 

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Le processus révolutionnaire n'apparaît pas encore, au moment du Manifeste et dans le Manifeste, avec tous ses problèmes et toute son ampleur. Tout en pensant que l'avènement du communisme dépend de conditions multiples et ne peut être que l'aboutissement d'une période historique, Marx semble penser que cet avènement est proche. Il semble imaginer, après la prise du pouvoir politique par le prolétariat, lors d'une crise européenne, une marche continue vers le communisme, sans arrêts, sans régressions momentanées. Il semble donc encore se représenter une période de «révolution permanente» consistant d'abord en une révolution politique, puis en une transformation sociale continue et rapide par le moyen de l'Etat politique ainsi conquis. Seule l'étude du capitalisme, lorsqu'il aura rétabli la situation après l'ébranlement des années 48, permettra à Marx d'approfondir et de différencier ces notions fondamentales ; en particulier, il développera l'analyse de la crise économique dans le Capital. La ligne générale, l'essentiel du Manifeste restera, mais les affirmations qu'il contient dans ce cadre général seront par la suite revues et approfondies (non pas révisées!).

 

Henri Lefebvre, 1947

 

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Le Manifeste ne contient rien que les auteurs n'aient exprimé auparavant dans d'autres écrits. Mais ils y résumèrent leurs convictions sous une forme accessible à tous et en une langue massive, précise et dégagée de toute formule hégélienne. C'est peut-être, avant tout, la puissance suggestive du style qui a assuré à cet écrit sa place au premier rang des écrits politiques populaires de tous les temps : rien dans ce genre, au cours du XIXème siècle, ne peut lui être comparé. Le Manifeste est un appel enthousiasmant, non un lourd traité de science sociale.

 

Werner Blumenberg, 1962

 

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Trop d'intellectuels universitaires, dits «sérieux», sont disposés à la rigueur à admirer le Marx scientifique du Capital mais ferment les yeux et font les dégoûtés devant les pages crues et toutes politiques du Manifeste. Celui-ci demeure pour nous un modèle d'intervention pratique du point de vue ouvrier dans la lutte de classes.

 

Mario Tronti, 1966

 

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Le Manifeste n'a pas joué un très grand rôle dans le développement de la Révolution de 1848. Les idées qu'il exprimait étaient très en avance sur la conscience du prolétariat, et les communistes représentaient à l'époque une infime minorité. Mais il venait à point nommé. En juin 1848, la classe ouvrière parisienne montait sur les barricades et sa lutte était maintenant ouvertement dirigée contre la bourgeoisie. L'histoire allait montrer que la question posée désormais était l'antagonisme entre le travail et le capital. Le prolétariat trouvait au moment où il entrait sur la scène politique l'arme décisive qui le mènerait à la victoire. On sait quel rôle le Manifeste a joué par la suite et celui qu'il joue encore dans le monde. Rarement texte n'a connu une telle audience et n'a connu une telle efficacité. Il est un des accoucheurs du monde contemporain.

 

Emile Bottigelli, 1967

 

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Le Manifeste n'a pas son origine dans un certain nombre d'esquisses rédigées indépendamment les unes des autres par Marx-Engels ou dans l'unique esquisse d'Engels d'octobre-novembre 1847, mais remonte à un projet de profession de foi de juin 1847 auquel participa Engels et qui fut soumis aux communes pour discussion.

 

Bert Andréas, 1972

 

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Le Manifeste n'est pas une simple exposition de doctrine -ce qui a été la manière la plus courante de le traiter, en dehors des circonstances de temps et de lieu- mais la plate-forme programmatique et politique des communistes en vue d'une révolution spécifique, celle dont l'explosion leur paraît imminente dans certains pays et proches dans d'autres.

 

Fernando Claudin, 1976

 

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Ce ne sont pas les classiques qui peuvent nous dire ce que nous avons à faire aujourd'hui ; c'est ce que nous avons à faire aujourd'hui qui nous dit ce qui demeure vivant chez eux.

 

Lucien Sève, 1983

 

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Si, dans l'Idéologie allemande et surtout dans Misère de la philosophie, Marx a redécouvert la politique en tant que moyen nécessaire de la révolution prolétarienne, cette démarche se confirme et s'amplifie dans le Manifeste Communiste, qui réintroduit même la notion d'Etat, constamment critiquée auparavant. Préparée par les oeuvres antérieures, cette insistance sur la dimension politique marque une étape importante dans l'évolution de la pensée marxienne.

 

Maurice Barbier, 1992

 

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Le Manifeste Communiste est un des principaux textes de l'histoire mondiale. C'est le document fondateur du courant communiste (marxiste-révolutionnaire) du mouvement ouvrier. En rupture avec toutes les autres idéologies en vogue au début du XIXème siècle, il donne pour la première fois une base rationnelle, objective, scientifique à l'existence et à l'activité de la classe ouvrière. Dans ce sens, il s'agit aussi d'un tournant capital dans l'histoire du mouvement ouvrier naissant. Voilà pour le contenu. Et puis il y a le style. La force du raisonnement est portée par un élan et une pugnacité sans pareil. Les contemporains, de haut en bas de l'échelle sociale, ne s'y sont pas trompés.

 

François Vercammen, 1998

 

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Quand la lutte quitte le champ de l'analyse historique pour intégrer le présent, le Manifeste est un document sur les choix, les possibilités, et a fortiori les certitudes. Entre «maintenant» et ce temps imprévisible où «au cours du développement» apparaîtra «une association où le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous», se trouve le domaine de l'action politique.

 

Eric Hobsbawm, 1998

 

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Le Manifeste est l'illustration développée de la thèse d'une révolution communiste, imminente et inéluctable. En même temps, la portée de ce texte dépasse largement la conjoncture de sa commande, en raison de l'écho et de la diffusion considérables qu'il connaîtra, le plus souvent longtemps après sa rédaction (...). Texte de loin le plus célèbre de Marx -et l'on oublie souvent la part prise par Engels à sa rédaction-, souvent lu comme le bréviaire des révolutions passées et à venir, il doit être pour cette raison tout spécialement replacé dans son contexte historique ainsi que dans le mouvement propre de la recherche marxienne de cette époque.

 

Isabelle Garo, 2000

 

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C'est un texte fondateur, inaugural, déclaratif. Prophétique et performatif, il mêle inextricablement le constat de ce qui est et l'énoncé de ce qui doit être, le pronostic et le programme, la déduction logique et le but de l'effort à fournir. Le déclarer actuel ou dépassé n'a guère de sens : ces jugements supposent un simple jeu d'avancées et de retards sur un même fil chronologique du temps. Or, le Manifeste brise cette ligne temporelle et s'offre aux perpétuelles remises en jeu de sa réception.

 

Daniel Bensaid, 2000

 

 

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